»Étrange«, »excentrique« (9): voici les termes retenus par Anna Joisten pour qualifier celui qui a fait l’objet d’une étude approfondie dans le cadre de sa thèse de doctorat, soutenue en avril 2022 à la faculté de philosophie et d’histoire de l’université de Stuttgart. Hans von Held (1764–1842) apparaît ainsi dès les premières lignes de l’ouvrage  comme un personnage aussi fascinant que la période durant laquelle il a vécu et qui a fortement influencé ses idées: le tournant du XIXe siècle nommé Sattelzeit par Reinhart Koselleck. Peu d’études furent néanmoins consacrées directement à Hans von Held. À l’exception des ouvrages du diplomate et écrivain, Karl August Varnhagen von Ense, qui lui est contemporain, et de l’historien et archiviste de Breslau, Colmar Grünhagen, à la fin du XIXe siècle, aucune biographie ne lui est consacrée. Certains auteurs ont même justifié ce manque d’intérêt historiographique par l’absence d’efficacité de von Held (11). Cependant, s’inscrivant à la suite de travaux conduits autour de figures secondaires, marginales et hétérodoxes de la fin du XVIIIe siècle, Anna Joisten choisit de s’emparer du parcours de Hans von Held afin de mettre en évidence le rôle qu’il a pu jouer en tant que publiciste et quels échos a eu la censure qui lui fut opposée (13).

Après une présentation générale de certains aspects de l’administration et de la fonction publique en Prusse vers 1800, dans lesquelles von Held exerçait, l’ouvrage retrace les étapes qui jalonnent sa biographie en mettant l’accent sur ses activités journalistiques qui lui valurent souvent d’être censuré (181). Un poème publié à l’occasion de l’anniversaire de Frédéric-Guillaume II, bien qu’il ne figure malheureusement pas en annexe, permet par exemple à l’autrice de mettre en lumière les aspirations de von Held. Ne rendant pas hommage au monarque, le poème honorait l’esprit public et présentait des tendances libertaires et cosmopolites. Censuré et exilé, le pamphlétaire eut néanmoins l’avantage de se trouver à proximité de Berlin, véritable centre culturel autour de 1800. Contrairement à ce que Varnhagen von Ense a pu écrire, Anna Joisten révèle que von Held disposait de »liens actifs dans les cercles journalistiques éclairés de la ville«, dont le célèbre philosophe Fichte, également controversé, et dont l’ouvrage Der geschlossene Handelsstaat était très apprécié par von Held (197).

Avant de publier anonymement Die wahren Jacobiner im preussischen Staate oder actenmässige Darstellung der bösen Ränke und betrügerischen Dienstführungzweyer preussischer Staatsminister en 1801, Hans von Held travailla comme fonctionnaire en Silésie puis au sud de la Prusse (224–328). C’est par ce biais qu’il s’intéressa à l’administration provinciale et devint l’un des premiers publicistes à aborder ce thème dans un ouvrage (324).

Bien qu’ayant publié sous couvert d’anonymat, les autorités publiques l’identifièrent rapidement comme auteur, ce qui entraîna sa détention dans une forteresse et sa révocation. Si von Held trouva désagréable qu’on lui fasse purger sa peine dans la lointaine ville de Kolberg, cet éloignement de la capitale prussienne trouvait sa source dans la volonté du roi à le couper de ses relations berlinoises (324). Les débats autour du poème publié par von Held et son transfert furent au centre de l’attention, comme en témoignent les correspondances entre Johann Daniel Sander et Carl August Böttinger (198) mais également la réaction de l’opinion publique à laquelle Anna Joisten consacre un chapitre entier (329–396).

Enfin, l’autrice aborde l’entourage de von Held à l’époque de la réforme prussienne. Elle y retrace la vie de ce dernier en tant que protégé et biographe de Carl August von Struensee, le ministre prussien des Finances, sans omettre de mettre en évidences ses autres prises de position et polémiques journalistiques, notamment autour de la figure de Napoléon (397–414).

Malgré son retour à Berlin, von Held se retira de la vie publique et ne publia plus que des poèmes ou des comptes rendus occasionnels (483). Il s’efforça néanmoins de retrouver un emploi, ce qu’il obtint finalement en août 1812 à la saline de la capitale prussienne. Cependant, divorcé en 1805 puis remarié (482), les difficultés financières s’accumulèrent progressivement, tant et si bien qu’il mit fin à ses jours en 1842.

L’étude menée par Anna Joisten est le fruit de recherches approfondies et témoigne de l’intérêt du retour à la biographie. Basé sur un dossier complet provenant entre autres des archives secrètes de l’État, cette riche et complexe analyse du parcours d’un fonctionnaire et journaliste permet de mettre en exergue les tensions qui pouvaient exister entre le monde de la presse et un État autoritaire ainsi que le pouvoir croissant de l’opinion publique à l’ère des révolutions. Contribuant à l’histoire de la Silésie mais également à celle du journalisme du XVIIIe et du XIXe siècle, la monographie d’Anna Joisten ouvre également le champ à de futures recherches autour des œuvres de Hans von Held dont un catalogue se trouve en fin d’ouvrage, mais également autour des réseaux et des transferts culturels dont le fonctionnaire-journaliste est un acteur.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Anaïs Nagel, Rezension von/compte rendu de: Anna Joisten, »Vor den Richterstuhl der Zeitgenossen und der öffentlichen Meynung«. Der Fall des preußischen Staatsdieners und Spätaufklärers Hans von Held, Göttingen (V&R) 2023, 557 S., 16 Abb. (Neue Forschungen zur Schlesischen Geschichte, 032), ISBN 978-3-412-52742-6, EUR 80,00., in: Francia-Recensio 2024/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108316