En 1879, Jules Verne est troublé par l’oubli dans lequel sont tombés l’explorateur Nicolas Baudin (1754–1803) et ses grandes campagnes océaniques. Un siècle et demi plus tard, Sophie Muffat entreprend de lever le voile sur l’histoire oubliée du »marin naturaliste au service du Consulat«, Nicolas Baudin , qui a fait l’objet d’une importante collaboration scientifique entre chercheurs australiens et européens. Professeure de lettres modernes et conférencière, l’autrice entend faire une juste place à Nicolas Baudin, natif de Saint-Martin-de-Ré dans l’histoire du littoral atlantique et de l’actuelle région de Nouvelle-Aquitaine (6–8). Elle met d’abord en lumière la famille dont est originaire Nicolas Baudin et ses implications dans la guerre d’Amérique (1776–1781). Ensuite, elle aborde le rôle de Baudin dans la constitution de collections pour l’Autriche. Sophie Muffat s’attarde aussi sur son voyage à bord de La Belle Angélique (1796–1798). Enfin, cet ouvrage présente les préparatifs et les enjeux d’une »nouvelle expédition« vers la Nouvelle-Hollande (82–116). Au total, la vie de Nicolas Baudin est étudiée en sept chapitres couvrant la période de 1754 à 1803.
Le premier chapitre retrace les origines de Nicolas Baudin à travers son ancêtre, le capitaine marchand Josué Baudin (1693‑1749). L’autrice poursuit avec l’étude de la jeunesse de Nicolas Baudin, qu’elle présente comme un explorateur né. Ce chapitre met également en lumière son frère, Louis Augustin Baudin (1758‑1821), ainsi que ses travaux sur la plante Ayapana. Dans cette partie, Sophie Muffat insiste également sur la course effrénée de Nicolas Baudin pour obtenir une promotion d’officier naval, une course qui restera sans succès.
Dans un second chapitre, l’autrice s’attache à révéler le rôle de Nicolas Baudin dans la guerre d’Amérique (19). En duo avec l’armateur Jean Peltier Dudoyer (1734–1803), Baudin prend le parti des Américains. Il cherche surtout à tirer profit du conflit, à travers le commerce avec les »insurgents«. L’autrice évoque les nombreuses lettres échangées entre Baudin et Benjamin Franklin (1706–1790) concernant les avantages du commerce avec l’île de Ré. Ici, il s’agit de suivre la promotion de Baudin en tant que »lieutenant auxiliaire« pour la France et ses nombreuses campagnes au nom des Américains contre les Britanniques. Malheureusement, celles-ci ne sont pas heureuses. Après avoir été fait prisonnier à deux reprises, il devient »capitaine marchand«. Jusqu’en 1785, ses navires redistribuent des cargaisons entre la Nouvelle-Orléans, Saint-Domingue et le Cap-Français (24).
Le troisième chapitre offre une histoire de Nicolas Baudin et de ses collections naturalistes. Cet engouement pour l’histoire naturelle chez Baudin débute au service de l’Autriche (29–33). Au Cap‑Français, Nicolas Baudin est sensibilisé aux pratiques naturalistes par les botanistes autrichiens: Franz Boos (1753‑1832) et Georges Scholl (1751–1831). Mandaté par l’empereur Joseph II (1741‑1790) pour réunir une collection, Boos s’appuie sur Baudin pour ramener en Europe une partie des spécimens. Véritable réussite, le retour de cette collection conduit Baudin à se mettre au service de Joseph II. Ici, l’autrice évoque deux expéditions scientifiques confiées par l’Autriche au capitaine Baudin, notamment son voyage vers la Chine à bord de La Jardinière (1789–1791). Contre vents et marées, Baudin parvient alors à sauver les cargaisons de ses voyages, c’est‑à‑dire »les échantillons des collections et les 185 esclaves« (33).
Le quatrième volet développe aussi la »passion naturaliste« de Nicolas Baudin sur La Belle Angélique (37–74). Ce chapitre s’ouvre sur les négociations entre Baudin et le Muséum d’histoire naturelle de Paris pour un projet visant à enrichir les collections de l’institution. Ces négociations conduisent à l’organisation et au financement par le Directoire d’une expédition aux Caraïbes, dont Baudin est le commandant en chef. Les »trois mois de préparatifs« sont ensuite abordés. L’ensemble du matériel indispensable à la construction de savoirs naturalistes est énuméré. L’implication du Muséum est également développée, notamment par la promulgation d’instructions et la nomination des scientifiques de l’expédition. Enfin, Sophie Muffat traite du voyage et de ses conditions, en particulier le manque de vivres et de financement lors de ce périple. Du Havre jusqu’à Porto Rico, toutes les escales et les récoltes de spécimens sont évoquées. À Porto Rico, l’immense collection de La Belle Angélique se compose de plus de 15 000 échantillons (73). Triomphant à son retour en 1798, Baudin est en »route pour la gloire«.
Les chapitres cinq, six et sept se consacrent au devenir de Baudin en tant que »capitaine de vaisseau« (75–77). Promu à ce grade par le ministre de la Marine, Baudin planifie une nouvelle circumnavigation vers la Nouvelle-Hollande, l’Australie actuelle. Cette expédition lui est confiée par le consul Napoléon Bonaparte et Joséphine de Beauharnais, dont l’intérêt pour les savoirs naturalistes est certain. Les instructions scientifiques du voyage sont alors fournies par des institutions savantes comme la Société des observateurs de l’homme. Les derniers chapitres traitent donc du déroulement du voyage, c’est-à-dire des préparatifs et des conditions de vie à bord (84–98). Confronté aux désertions et aux mutineries, Baudin est très affaibli et meurt à l’île de France (Maurice). Sa figure est ternie et condamnée à l’oubli (101‑103). L’autrice évoque aussi les rivalités politico-savantes entre le voyage de Baudin et celui de l’anglais Matthew Flinders. Elle s’intéresse enfin au voyage de retour de l’immense collection de cette expédition.
Cette biographie réussie offre une histoire de Nicolas Baudin, de ses expéditions et de ses collections. Elle complète utilement les travaux scientifiques sur Baudin et ses voyages, comme ceux du biologiste marin belge Michel Jangoux. La présence d’illustrations doit être soulignée. Les encadrés apportent également aux lecteurs des précisions pour mieux saisir l’histoire du capitaine Baudin. Seul regret, le livre aurait pu davantage prendre en compte la riche bibliographie existant sur les voyages de Baudin et inclure des notes de bas de page pour permettre aux lecteurs d’aller plus loin.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Léonie Boissière, Rezension von/compte rendu de: Sophie Muffat, Nicolas Baudin. Un marin naturaliste au service du consulat, Bordeaux (Memoring Éditions) 2023, 120 p. (Figures de Nouvelle-Aquitaine, 11), ISBN 979-10-93661-39-1, EUR 13,00., in: Francia-Recensio 2024/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108319