L’ouvrage s’organise autour de quatre pôles ayant structuré le travail d’Élisabeth Lalou: la Normandie médiévale, les écritures, la royauté et enfin le monde du spectacle.
Les deux premières contributions dressent chacune le portrait d’un homme, tout en en tirant des interrogations différentes: Mathieu Arnoux (»Richesses d’un dignitaire. L’inventaire des biens de Jean de Bulles, archidiacre du Grand Caux [1297]«) profite de l’édition de l’inventaire après décès de ce dignitaire d’un des chapitres épiscopaux les plus riches de France pour interroger la notion de richesse au Moyen Âge. L’article de Danny Lake-Giguère (»Un administrateur forestier au début du XIVe siècle. Philippe le Convers, maître des eaux et forêts en Normandie sous Philippe le Bel«) nous montre un administrateur dévoué à la royauté, organisant ce qui apparaît comme une des principales sources de revenus des rois de France, surtout pour la Normandie: les forêts.
L’étude de Lise Levieux (»Le rôle des archevêques et des rois dans l’implantation et le développement des Mendiants à Rouen [XIIIe‑XIVe siècle]«) porte elle sur le bouleversement majeur du paysage urbain médiéval avec l’arrivée des ordres mendiants au XIIIe siècle. Celle de Bruno Nardeux (»Entre haras et résidence royale. Le complexe manorial de la Feuillie-en-Lyons [fin XIIIe‑début XIVe siècle]«) montre que ce lieu constitue un des premiers endroits réservés à l’entretien et la reproduction des chevaux du roi.
Enfin, deux articles concernent, bien évidemment, la rivalité entre France et Angleterre au prisme de la Normandie. Celui de Philippe Lardin (»La guerre maritime à Dieppe au début de la guerre de Cent Ans«) retrace le rôle des Dieppois en reprenant de façon plus modérée les sources locales dithyrambiques. L’antagonisme franco-anglais est aussi au centre de la contribution de Lydwine Scordia (»La ›duchié de Normandie‹, entre France et Angleterre, dans la chronique du Rosier des guerres«) où l’on remarquera que l’Angleterre n’y joue curieusement pas le mauvais rôle, en raison probablement de la situation géopolitique de l’époque.
Dans la partie consacrée aux »écritures«, l’article d’Anna Bellavitis (»Navagero amoureux et femmes sans cervelle: témoins et testaments ›oraux‹ à Venise au XVIe siècle«) pose la question de la valeur probatoire des témoignages oraux en l’absence de preuves écrites. Ces échanges oraux se retrouvent aussi dans l’article de Jacques Berlioz (»Richard Cœur de Lion, croquemitaine oriental. Deux passages de La Vie de Saint Louis de Jean de Joinville«) où le roi d’Angleterre apparaît dans une anecdote de Joinville comme un croquemitaine utilisé pour terrifier les enfants musulmans et rasséréner les chevaux arabes.
Les trois contributions restantes se rattachent plutôt aux pratiques de l’écrit. Celle de Paul Bertrand (»Autour de la diplomatique d’un légat pontifical en terre d’Empire: Hugues de Saint-Cher [1251‑1253]«) se propose d’étudier un moment relativement peu pris en compte dans l’histoire de l’écrit pontifical, alors que le XIIIe siècle est pourtant celui de son explosion et de la naissance d’un souci de conservation. La conservation des documents est au centre de l’article de David Carpenter (»The copies of Magna Carta 1216 in the Archives Nationales in Paris and their political context«), qui révèle que les deux copies de la Magna Carta de 1216 conservées à Paris ont été copiées l’une à partir de l’autre. Enfin, Jacques Dalarun, dans »Un écrit de Claire d’Assise«, se demande pourquoi une procuration en toute apparence écrite par la »petite plante« n’est d’ordinaire pas associée à ses écrits.
La séquence »Royautés« s’organise autour de plusieurs thèmes circonvenants les intérêts d’É. Lalou. L’article de Xavier Hélary (»Le premier testament de Philippe III, roi de France [au camp près de Carthage, 2 octobre 1270]«) édite pour la première fois ce document, rendu caduc par un autre testament fait en 1285, et fournit un éclairage sur l’entourage du nouveau roi ainsi que sur ses préoccupations. Celui de Jean-François Moufflet (»Pro salute anime nostre. Forme et portée du testament de Saint Louis«) explicite les caractéristiques formelles des dispositions de Louis IX et s’interroge sur le rôle de ce document dans la tradition testamentaire capétienne.
La contribution de Marc Bompaire (»Les maîtres des monnaies du roi au temps des derniers Capétiens«) dresse la liste des responsables de la politique et de l’administration monétaire royale et de ce qui les distingue des autres spécialistes des monnaies en montrant l’émergence progressive de leurs compétences. Le travail de Nicholas Vincent (»John of Pontoise, Bishop of Winchester [† 1304]: New Evidence from Paris, Bologna, and Modena«) se concentre, lui, sur une personne en particulier, en reprenant un dossier jusque-là seulement traité grâce aux sources insulaires, et plaide pour une révision de nombre de points biographiques d’un homme déjà européen.
Quatre études peuvent être rapportées à l’analyse iconographique ou textuelle. Celle de Lindy Grant (»Prophecies of the End of Time in the Psalter of Blanche of Castile«) interprète plusieurs illustrations du psautier luxueux appartenant à Blanche de Castille (Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 1186) représentant la fin des temps en relation aux prophéties qui lui sont associées, quand l’article de Anne D. Hedeman (»History and Visual Memory in the Library of King Charles V of France«) étudie le rôle des illustrations dans la construction d’une mémoire et d’un savoir à partir des Grandes chroniques de France de Charles V, légitimant la lignée des Valois. Frédérique Lachaud (»Les Capétiens et leur royaume dans l’œuvre historique de Ralph de Diceto«) s’attarde elle sur la chronique universelle d’un chanoine du XIIe siècle où le regard porté sur les événements continentaux et sur les relations entre Plantagenêts et Capétiens donne lieu à de sévères critiques contre les rois des Francs. Alain Provost (»Le voyageur et le conquérant. Note sur la figure d’Alexandre le Grand dans le Devisement du monde«) s’interroge quant à lui sur la spécificité relative du traitement de la figure d’Alexandre dans l’œuvre de Marco Polo, en y montrant un imaginaire politique où le souverain associé à Kubilaï Khan est montré comme un modèle de gouvernement.
Trois derniers articles concernent l’administration du royaume. La contribution d’Elizabeth A. R. Brown (»Taxation of the Realm and Philip the Fair«) tente d’indiquer comment la recherche de l’origine d’une taxation régulière et systématique a empêché de comprendre la politique fiscale de Philippe le Bel. Grâce à l’édition de deux documents relatifs à la levée d’une taxe se fait jour la propension du roi à collaborer, négocier voire abandonner des réclamations trop brusques. Philippe Contamine (»Du droit des apanages: à propos du don par Charles VII du duché de Touraine à Archibald, dit le Tyneman, quatrième comte de Douglas [1424]«) s’appuie lui sur l’édition de la lettre de Margaret Stuart, veuve d’Archibald Tyneman, qui demandait au roi à titre de douaire le tiers des revenus du duché de Touraine ainsi que les arrérages afin d’exposer de façon limpide le droit des apanages. Enfin, Romain Telliez (»Saint Louis, pacificateur des mœurs? Sur ›l’interdiction‹ des duels judiciaires et des guerres privées«) reprend à nouveau frais certains textes et actes afin de montrer que Saint Louis n’avait pas cherché à interdire duels et guerres particulières mais était plutôt resté fidèle à la coutume.
La dernière partie s’ouvre sur l’étude de Marie Bouhaïk-Gironès (»Un mandement parodique basochien inédit: les Ordonnances de Mauconseil [début du XVIe siècle]«) qui analyse et date le texte parodique, en plus d’en fournir une édition. Elle est suivie de l’article d’Elyse Dupras (»›Ne t’esbahis, ma chiére suer ...‹ Quelques remarques sur Les Miracles de Notre Dame par personnages«) où l’autrice indique le rôle d’intercesseur de Marie, auquel s’ajoute une sorte de »sororité« quand il s’agit de pécheresses.
Deux articles prennent le sel pour thème: Mario Longtin (»L’homme a mes pois: une farce renaissante au goût de sel«) illustre le rôle joué par le grenier à sel dans la farce ainsi que dans la ville de Rouen au XVIe siècle, tandis que Denis Hüe (»Notule amicale sur le sel à Rouen«) étudie la question du sel dans les puys rouennais, en montrant l’entremêlement entre la société urbaine et l'encomiastique des poésies du puy.
Grâce à l’étude de deux documents ouvrant et fermant la période des mystères et pourtant peu utilisés par les historiens du théâtre, Jelle Koopmans (»Le théâtre religieux à Tournai: deux témoignages curieux«) illustre les tensions liées au monde théâtral et à son rapport avec la ville de Tournai. Enfin, dans »Les bélîtres au théâtre et l’exclusion des pauvres« Jean-Louis Roch développe une réflexion sur pauvreté et exclusion en prenant l’exemple d’une moralité du début du XVIe siècle.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Pierre Vermander, Rezension von/compte rendu de: Marie Bouhaïk-Gironès, Alexis Grélois, Xavier Hélary (dir.), Royauté, écriture et théâtre au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur d’Élisabeth Lalou, Mont-Saint-Aignan (Presses universitaires de Rouen et du Havre) 2024, 502 p., plans, portraits, ill., ISBN 979-10-240-1769-3, EUR 34,00., in: Francia-Recensio 2025/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.1.109365