Un colloque avait été organisé autour des actes pontificaux en 2019, à l’occasion du centenaire de l’Union académique internationale (UAI), partenaire depuis quelques années des travaux consacrés à cette documentation essentielle pour l’histoire du Moyen Âge. Le volume d’actes qui en a résulté réunit 13 communications, réparties en quatre sections.
Dans la première section, Klaus Herbers, principal responsable du Papsturkundenwerk, dresse le bilan de l’héritage, c’est-à-dire des décisions prises par Paul Kehr, le fondateur de ce travail. Un bilan très impressionnant, on le sait, mais aussi un poids, certains choix ayant pu se révéler malheureux; dans la mesure du possible, l’équipe actuelle veille cependant à corriger ce qui peut l’être. Rolf Große raconte l’histoire de la Gallia Pontificia, une œuvre à laquelle l’Institut historique allemand de Paris est intimement lié, mais dont l’avancement, malgré le dévouement de quelques chercheurs, reste encore trop modeste. Nicolas Perreaux propose une analyse de la documentation pontificale grâce à des outils numériques travaillant à partir de la base de données de chartes européennes qu’il a constituée.
La deuxième partie est intitulée »Rome et les régions«. Jean‑Charles Bédague présente les premiers résultats du volume de la Gallia Pontificia consacré au diocèse de Thérouanne, qu’il prépare actuellement. Il revient surtout sur la petitio, conservée en original, adressée en faveur de l’abbaye de Chocques par l’évêque Milon Ier en 1147. Robert Friedrich attire l’attention sur un aspect important de l’histoire des voyages pontificaux: la forte, mais vaine, demande adressée par l’archevêque de Reims Gervais (1055–1067) à plusieurs papes successifs de venir tenir un concile à Reims, sur le modèle du concile tenu en 1049 par Léon IX. Daniel Berger présente à grands traits les contacts entre la papauté et les évêchés de Burgos, Palencia, Segovia et Sigüenza. Ces contacts étaient nombreux, en croissance, avec quelques pics correspondant à des légations. Les enjeux majeurs étaient l’abandon de la liturgie et de l’écriture wisigothiques, l’exemption des évêchés et le contrôle des églises paroissiales. La Lotharingie, analysée par Hannes Engl et Michel Margue, est également un espace intéressant, même s’il ne figurait pas comme tel dans les plans initiaux de Paul Kehr. La préparation d’une Lotharingia pontificia, appuyée sur un projet spécifique, permettra de développer plusieurs études monographiques: comparer les interactions des papes avec, respectivement, les évêques de Liège et de Metz, les ordres nouveaux du XIIe siècle (Cisterciens et Prémontrés en particulier), les principautés territoriales; mais aussi confronter les sources diplomatiques avec les sources narratives.
Dans la troisième partie, »Les instruments«, ce sont quelques aspects des actes pontificaux qui sont étudiés. Pascale Bourgain analyse la langue des actes pontificaux à partir des recueils de Papsturkunden pour la région parisienne et la Normandie. Elle note une extrême correction du latin pontifical: les rédacteurs pontificaux n’acceptent qu’avec réticence de jouer avec la place du verbe dans la proposition. Si l’emploi du cursus est bien connu, les rimes sont présentes aussi, de même que les assonances. D’une manière générale, le latin pontifical est surtout mesuré et élégant, éloigné des excès d’auteurs monastiques ou de certains artes dictaminis. Dominique Stutzmann utilise les ressources numériques les plus récentes pour analyser l’écriture des actes pontificaux; son projet est dans un premier temps de développer les outils aptes à permettre une analyse paléographique pertinente de l’écriture des actes et des registres pontificaux. La conclusion de ce travail très méthodologique souligne bien les résultats acquis et les difficultés qui subsistent actuellement. Brigitte Basdevant-Gaudemet montre le poids croissant des papes dans la législation ecclésiastique au XIIe siècle, au point que les canonistes, Gratien en tête, attribuent aux papes les canons des conciles qu’ils ont tenus et présidés. Les compilateurs ont eux aussi eu un rôle capital, en choisissant, mettant en collection et révisant les lettres pontificales. Harald Müller donne une présentation synthétique du fonctionnement de la justice pontificale déléguée: il en rappelle les origines, les justifications, le fonctionnement et les sources, avant de plaider pour une exploitation plus large des nombreuses affaires que les sources nous ont transmises.
La dernière section porte sur la mise en ligne des actes pontificaux. Gerhard Lubich, après avoir rappelé la place que les humanités numériques (quels que soient la valeur et les contours de ce concept) avaient prise en diplomatique et en histoire médiévale, insiste à très juste titre sur la nécessaire, bien que difficile, interopérabilité entre bases de données. Veronika Unger, forte de sa connaissance de la papauté du IXe siècle, expose les principes de fonctionnement d’une base de données des entourages pontificaux de cette période, et l’illustre par un exemple particulièrement éloquent, celui du pape Marin (882–884), dont la longue et riche carrière ecclésiastique peut être mieux connue grâce à cette concentration de données.
La très riche conclusion due à Laurent Morelle remet en perspective les principaux acquis de ce beau volume, en insistant aussi sur la force du diocèse comme cadre ecclésiastique, mais aussi comme cadre historiographique. L’ensemble du volume montre combien les recherches sur la diplomatique pontificale, et par là sur l’Église et la société médiévales, ont profité des travaux de Paul Kehr et de ses successeurs au Papsturkundenwerk, mais aussi combien elles restent fortement actuelles.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Rolf Große, Olivier Guyotjeannin, Laurent Morelle (Hg.), Les actes pontificaux. Un trésor à exploiter, Göttingen (Universitätsverlag Göttingen) 2024, 311 p. (Abhandlungen der Niedersächsischen Akademie der Wissenschaften zu Göttingen. Neue Folge, 55), ISBN 978-3-86395-611-0, DOI 10.17875/gup2024-2512, EUR 50,00., in: Francia-Recensio 2025/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.1.109375