À Pavie, pour l’étude du droit, le XIe siècle a été particulièrement riche. Depuis le milieu du siècle précédent, une collection de capitulaires ordonnée par souverain comme l’était la loi des Lombards elle-même, s’était peu à peu imposée. Cette compilation, où les attributions volontiers fautives sont nombreuses, de même que les sélections dans le matériel et, inversement, peut-être, les inventions d’articles de loi destinées à donner une forme écrite à des règles en usage, a reçu dans l’historiographie le nom de Capitulare Langobardorum, ou Capitulare Italicum. C’est l’association de l’édit lombard et du capitulare qu’on appelle Liber legis Langobardorum ou, comme l’a baptisée Johannes Merkel (1850), Liber Papiensis (L.P.). Le plus ancien témoin manuscrit du L.P. est conservé à Milan, Biblioteca Ambrosiana, O 53 sup. et O 55 sup. (1er/2e quart du XIe siècle), et se présente en deux unités codicologiques dues au même notaire piémontais Secundus – avec peut-être un léger décalage chronologique entre l’une et l’autre. Il témoigne d’une séparation encore nette entre les lois lombardes d’une part et les textes francs et ottoniens d’autre part. Il fournit un texte souvent fautif, pourvu d’un commentaire minimal sous forme de gloses interlinéaires ou marginales. Quatre autres témoins – Paris, BNF, lat. 9656 (3e quart du XIe siècle); Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod. 471 (3e quart du XIe siècle); Londres, British Library, Add. MS 5411 (milieu du XIe siècle); Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Plut. 89 sup. 86 (fin du XIe siècle) – livrent la Walcausina, commentaire dû au juge et notaire du sacré palais de Pavie Walcausus. Celui-ci est attesté de 1055 à 1079 dans des réunions de justice du royaume d’Italie; son nom apparaît dans un court poème initial, comme celui qui a rendu son »vrai sens« à la loi lombarde. La Walcausina a aussi servi pour un manuscrit tardif, Modène, Archivio di Stato, 130, de la fin du XVe siècle, et l’on en trouve encore une trace palimpseste au dos d’un acte de Santa Croce di Sassovivo, en Ombrie, daté de 1101.
Le travail de Walcausus est contemporain, ou postérieur de quelques années à peine, de celui de l’Expositio au L.P. – qui cite le nom de Walcausus à quatre reprises – transmise par Naples, Biblioteca Nazionale Vittorio Emanuele III, Branc. I. B. 12 (XIIe siècle) et dont les développements sont beaucoup plus étoffés, peut-être parce qu’elle a pu se déployer à l’origine de manière autonome vis-à-vis du texte législatif lui-même, comme un texte d’accompagnement. Contrairement à l’Expositio, la Walcausina n’a pas été l’objet d’une grande attention et Charles Radding en est depuis longtemps l’un des rares, sinon le seul spécialiste. C’est dire que son édition était attendue. Elle vient remplacer celle d’Alfred Boretius (1868), qui avait livré à la fois l’Expositio et la Walcausina (celle-ci placée »sous« la première sur le plan typographique), de manière certes ingénieuse mais trompeuse, tant parce qu’il n’a pas rendu compte de nombre de gloses que parce qu’il laisse penser qu’il y avait comme une hiérarchie entre les deux commentaires et que la Walcausina, plus succincte dans ses formulations, n’occupait qu’une position secondaire. Le volume vaut donc en quelque sorte, réhabilitation. Sa copieuse introduction fournit tous les éléments nécessaires à la compréhension du contexte. Elle permet d’abord de mesurer le chemin parcouru par rapport au manuscrit milanais dans l’établissement du texte de la loi. Radding rappelle ensuite que le texte de la Walcausina n’a rien de figé, chaque manuscrit se signalant par ses ajouts ou ses soustractions par rapport aux autres. Les manuscrits de Paris et de Vienne, eux, sont étroitement liés, en ce que l’écriture d’un notaire du sacré palais, Jean, par ailleurs attesté en 1070 a pu être reconnue dans l’un comme dans l’autre: tous deux émanent donc directement de Pavie et ont un modèle commun. Cependant, le manuscrit de Londres remonte à un état du texte plus ancien et, sur bien des points, fournit des leçons meilleures. Quant au manuscrit de Florence, il ne montre pas d’évolution notable du texte, ce qui confirme que le pic d’activité dans l’étude de la loi lombarde date bien des années 1060–1070.
Dans son effort d’établir un texte principal meilleur que celui qui circulait au milieu du XIe siècle, Walcausus a d’une part consulté des exemplaires anciens de l’Édit lombard. Il a d’autre part apporté des corrections – la liste de ces interventions est donnée en appendice –, le plus souvent dans les mots ou l’ordre des mots, destinées à faciliter la compréhension logique du texte, à laquelle concourt de son côté la ponctuation. Il fait par ailleurs suivre de nombreux articles de loi par un dialogue entre P[ierre] et M[artin] relatif au cas juridique envisagé, l’appellatio ou actio du second – P., te appellat M., quod... – étant suivie de la réponse du premier: comme si la situation se présentait devant un tribunal, non sans se priver d’exprimer un avis sur telle ou telle conjecture, selon qu’elle paraît adaptée ou émane d’asini. À cela s’ajoutent des gloses, les unes en interligne ou insérées dans le texte principal, mais distinguées de lui par des signes graphiques, et destinées à éclairer l’application de la loi, les autres en marge, destinées à expliciter le commentaire et à fournir des renvois internes à la loi lombarde, aux capitulaires ou à la loi romaine. Un savant jeu d’autres signes graphiques, dont il faut reconnaître que le sens n’est pas toujours pleinement élucidé, permet de savoir si des passages ont été rendus obsolètes ou ont été au contraire confirmés par la législation postérieure, s’ils sont devenus inutiles avec le temps, si leur portée est générale, etc. Enfin, près de 170 diagrammes placés dans les marges – présentés dans l’édition de manière séparée par commodité –, des plus simples aux plus complexes, permettent de visualiser les distinctions juridiques, la logique du raisonnement et de sa progression, les renvois aux articles se rapportant au même sujet.
Comme l’Expositio, la Walcausina témoigne par ailleurs d’une belle familiarité avec le droit romain. La terminologie employée par Walcausus en est imprégnée, quand il ne le paraphrase pas ou ne le cite pas directement. Il s’agit principalement des Institutes et du Code – à travers son Épitomé, dont les auteurs attribuent depuis longtemps la réalisation au XIe siècle et plus précisément au milieu des juges et notaires, sans susciter toujours l’adhésion –, mais sont présentes aussi les Novelles (à travers l’Epitome Juliani) et, plus rarement, le Digeste: soit les mêmes éléments déjà mobilisés dans les Quaestiones ac monita, ensemble décousu de notes probablement rassemblées par le notaire Secundus sur les sujets de droit les plus divers et placées en annexe du manuscrit milanais du L.P. Dès avant 1030, les juristes de Pavie maîtrisaient ainsi une bonne partie de l’héritage romain, à défaut d’en faire leur sujet d’étude principal.
L’édition de la Walcausina est complétée par une série de pièces annexes, dont on retiendra surtout la nouvelle édition des Quaestiones ac monita (par Antonio Ciaralli); du Cartularium Langobardicum, recueil de formules fournissant de manière dialoguée les échanges présidant aux actions juridiques, selon moi antérieur à l’an mil; enfin des deux »traités« de droit romain du manuscrit Cologne, Historisches Archiv, W 38, qui renvoient aux mêmes sources et aux mêmes méthodes d’exposition que la Walcausina.
Témoin, avec l’Expositio, de la fécondité de la science juridique telle qu’elle était pratiquée à Pavie au milieu du XIe siècle, sans équivalent ailleurs, et des techniques intellectuelles qu’elle mobilisait, la Walcausina méritait bien d’être mise en avant. S’il faut maintenir une certaine prudence face à la tendance à ramener toutes les innovations à un même moment chronologique, il n’empêche que l’entreprise éditoriale est pleinement réussie. La richesse du matériau et de la casuistique, dont le propos pouvait servir à la fois l’école et la pratique, ne fait que souligner davantage la standardisation des comptes rendus judiciaires italiens de la même époque, qui tendent à gommer tout ce qui relève d’un débat contradictoire dans la procédure.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
François Bougard, Rezension von/compte rendu de: Charles Radding (ed.), The Recensio Walcausina of the Liber Papiensis, in collaboration with Antonio Ciaralli, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2024, CXXVI–482 p. (MGH LL nat. Germ., 7), ISBN 978-3-447-11967-2, EUR 180,00., in: Francia-Recensio 2025/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.1.109385