Robert Bertrand n’est pas un inconnu pour qui s’intéresse aux grandes découvertes. Dans ce dernier opus, il part du récit du voyage des frères Parmentier vers Sumatra, en 1529, écrit par l’un des marins de l’expédition, Pierre Crignon, pour les suivre pas à pas en plaçant l’expédition dans le contexte de son époque. Pour cela, il commence dans son avant-propos par rappeler que la découverte du manuscrit dans les années 1830 s’inscrit dans la reconstitution progressive d’un nouvel empire colonial. Les deux capitaines dieppois deviennent des légendes glorieuses au service de la France. Cette vision se perpétue mais il convient de l’éclairer dans un contexte plus large en suivant le récit du voyage.
Auparavant, l'auteur rappelle un autre contexte, celui de cette partie de la Normandie. A la fin de la guerre de Cent Ans, la Normandie n’est plus que ruine et misère. Pourtant, en 70 ans, le redressement est stupéfiant. La société change et les principaux et véritables bénéficiaires de la reprise sont les négociants de la vallée de la Seine et du littoral cauchois parmi laquelle figure la famille de Jehan Ango. Romain Bertrand analyse sa montée sociale tout en rappelant que l’armateur des navires des frères Parmentier, le Sacre et de La Pensée n’est à la base qu’un notable dieppois qui doit sa fortune au mareyage, à la course et à la contrebande vers le Brésil et l’Afrique les Normands voguent à leurs risques et périls. Sa place dans les rares expéditions d’exploration française est minime. Ses relations avec quelques membres de l’entourage royal et occasionnellement avec le roi ne durent qu’en fonction des profits qu’ils peuvent en tirer.
Le second chapitre cherche à déterminer qui est Jean Parmentier. Retrouver des documents mentionnant le chef de l’expédition est une mission périlleuse. Romain Bertrand s’efforce de déterminer son parcours en s’attachant à comprendre le milieu dieppois: la ville, les écoles - le capitaine a un bon niveau d’éducation – le milieu de la pêche aux harengs et ses usages qui permettent de glisser vers les mentalités des marins. Le marin a vraisemblablement acquis son savoir astronomique et nautique par la pratique de la navigation plus que la fréquentation d’une hypothétique école d’hydrographie dieppoise placée sous la direction de l’abbé Descelliers. Reste que Jean Parmentier s’est illustré dans la poésie mariale convenue, il n’est certes pas Clément Marot ou Ronsard, mais a une certaine réputation qui lui permet de compter dans le milieu littéraire normand en remportant à plusieurs reprises les concours de poésies constituant l’un des points d’orgue des »puys« de Dieppe et de Rouen. De fait, Jean Parmentier n’appartient pas au groupe des notables dieppois qu’il fréquente sans autre considération locale que ses capacités.
Le troisième chapitre débute par une comparaison entre la mise en place du monopole portugais sur l’épice et l’organisation de l’empire dans le Dune de Frank Herbert. Sauf que le cours des épices s’affaiblit et que le Sacre et la Pensée ne sont pas l’avant‑garde d’une remise en cause de l’empire commercial lusitanien, ils partent à le recherchent de l’or dont Sumatra est un grand producteur. L’auteur commence par estimer l’équipage des deux bâtiments et l’organisation des deux navires à leur départ définitif de Dieppe, le 2 avril 1529. Il suit leur parcours et la remise en cause progressive de leurs certitudes où les marins normands découvrent petit à petit des sociétés tout aussi bien organisées que la leur et un commerce maritime qui ne doit rien aux Européens si ce n’est les Portugais.
Leur arrivée à Ticou et la suite de leur commerce montre un état qui cherche à limiter l’interaction entre les commerçants étrangers et la population pour des raison de stabilité. L’incompréhension du système par les frères Parmentier conduit à l’échec de l’expédition. Les deux capitaines dieppois meurent et le peu de marchandises que les survivants rapportent est loin de couvrir les mises et provoque l’abandon de tentatives ultérieures. Cet faillite conduit Romain Bertrand à décrire les diverses mutations qui sont alors en cours sur l’île de Sumatra. L’échec dieppois y apparaît plus certain pour une autre raison: L’Europe et l’Insulinde sont deux mondes en pleine mutation, l’un au nom de l’évangile, l’autre, au nom d’Allah.
Ainsi, le voyages des frères Parmentier sert de ligne de vie à un solide travail de contextualisation qui montre qu’il y était moins question de Renaissance et d’humanisme, même si Jean Parmentier est féru d’Antiquité, mais d’un évènement singulier qui souligne une parenthèse, à peine entrouverte, qui se ferme pour la France qui n’a guère brillé dans les grandes découvertes et dans leur exploitation. Il convient de souligner, en dernier lieu, l’imposant appareil critique parfaitement maitrisé tout en regrettant l’absence d’un catalogue des sources et d’une bibliographie de synthèse.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Eric Barré, Rezension von/compte rendu de: Romain Bertrand, Les Grandes Déconvenues. La Renaissance, Sumatra, les frères Parmentier, Paris (Éditions du Seuil) 2024, 384 p. (L’univers historique), ISBN 978-2-02-154531-9, EUR 24,50., in: Francia-Recensio 2025/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.1.109489





