Initié en 1887, le projet des Acta Borussica, visant à mettre à disposition du public une édition scientifique de sources concernant l’histoire de la Prusse, continue depuis trois décennies à s’enrichir de nouveaux volumes. Après une première série de 38 volumes, portant essentiellement sur l’histoire politique et économique de la Prusse, l’Académie des sciences de Berlin‑Brandebourg a publié à partir de 1994 une deuxième collection portant sur les archives du gouvernement (Staatsministerium) du royaume de Prusse de 1817 à 1938, puis a lancé en 2022 une troisième série, intitulée »pratiques de la monarchie«: édité par Annelie Große et Bärbel Holtz, archivistes et chercheuses à cette même académie, le présent ouvrage en constitue le deuxième volume, consacré au financement de la cour du royaume de Prusse de 1786 à 1918.

Suivant les principes de la collection des Acta Borussica, le volume comprend une introduction, une série de 24 tableaux et cinq graphiques, et l’édition de documents. La volumineuse introduction (166 pages) d’Annelise Große propose un aperçu très détaillé de l’évolution des finances de la cour de la mort de Frédéric II à la fin de la Première Guerre mondiale, en abordant successivement l’état des sources, les sources de recettes de la cour, le développement de la fortune domestique et privée des monarques et les dépenses de la cour et de la dynastie régnante. L’autrice allie dans cette introduction une érudition et une précision extrêmes à la volonté constante de replacer la question des finances de la cour dans son contexte politique et économique afin d’en montrer les grands enjeux. Les finances de la cour souffrent au début du XIXe siècle d’une organisation défaillante à la fois en raison de la pluralité des caisses qui alimentent leurs recettes et de l’absence d’un contrôle rigoureux, en dépit des intentions réformatrices de Frédéric-Guillaume III. C’est avec la crise de 1806 et le train de réformes mises en œuvre de 1807 à 1820 que s’opère la réorganisation des finances de la cour que la seule volonté royale n’avait pu imposer. L’édit de 1820 sur l’amortissement de la dette publique représente une césure décisive dans cette évolution. Il stipule qu’une partie des domaines d’État seront consacrés à la couverture des besoins de la famille royale à hauteur de 2,5 millions de thalers par an. Le financement des besoins de la cour se fait donc suivant un modèle de rente, financée par les ressources d’État et non à partir des ressources d’un domaine spécifique de la couronne. Durant plusieurs années, cette question fait cependant au sein des instances gouvernementales l’objet de longues discussions dont plusieurs sources permettent de saisir le contenu. Le financement à l’aide d’un domaine propre de la couronne aurait permis de soustraire le financement de la cour à tout contrôle, notamment d’une représentation parlementaire, issue qu’une partie des ministres réformateurs souhaitait éviter. De fait, les différents épisodes d’augmentation de dotation de la couronne ont donné lieu à des débats agités. Ceci explique en partie pourquoi les monarques prussiens et les responsables des finances de la cour se sont attachés à développer les ressources propres, issues des biens de la cour et des membres de la dynastie, lesquels se sont parfois livrés à des spéculations hasardeuses et coûteuses.

Quant aux dépenses de la cour, elles manifestent une tendance séculaire à la hausse d’abord en raison de l’augmentation du nombre de postes de dépenses, mais aussi en lien avec l’expansion de la monarchie prussienne car l’incorporation de nouveaux territoires impose de nouvelles dépenses (comme l’illustre la question du financement des anciens théâtres princiers de Hanovre, Wiesbaden et Kassel après 1866). La proclamation de l’Empire en 1871 et surtout la volonté de Guillaume II de donner à la vie de cour un luxe et une pompe dont ses prédécesseurs avaient continuement mis en avant leur refus confortent cette tendance à la hausse des dépenses, laquelle est examinée par l’opinion publique et la représentation parlementaire (notamment sociale-démocrate) avec un œil de plus en plus critique.

Forte de plus de sept cents pages, la partie consacrée aux sources comprend 183 entités que les éditrices appellent »documents«. Il convient de préciser qu’un »document« comprend parfois plusieurs sources, portant sur une même question: les débats sur l’institution de la dotation de la couronne entre 1818 et 1820 sont ainsi l’objet du document 6 qui comprend douze pièces (numérotées de 6a à 6l, 293–329). Ces documents sont regroupés en neuf thèmes à l’intérieur desquels les éditrices ont adopté une progression chronologique, l’économie de ces neufs thèmes suivant globalement le plan de l’introduction. Les éditrices ont eu le souci compréhensible d’éviter de retenir des documents déjà publiés, dont certains sont mentionnés dans les notes de l’introduction. On regrettera cependant l’absence d’inventaire des cotes d’archives d’où sont issus les documents publiés, alors que figure un inventaire des sources non publiées citées dans l’introduction (237–239).

Ce volume est une réussite à plusieurs titres. D’une part, il met à disposition des lectrices et lecteurs un grand nombre de documents qui peuvent être utilisés dans des contextes diversifiés (recherche propre, illustration d’un cours, intitiation au travail sur archives pour un public étudiant), documents dont l’édition est d’une très grande qualité. D’autre part, l’introduction, outre ses qualités scientifiques intrinsèques, a le mérite de proposer une contextualisation très précise des documents édités qui sont mentionnés dans les notes infrapaginales.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Guillaume Garner, Rezension von/compte rendu de: Annelie Große, Bärbel Holtz (Hg.), Die Hoffinanzierung in der preußischen Monarchie von 1786 bis 1918, Paderborn, München, Wien, Zürich (Ferdinand Schöningh) 2022, 1130 S. (Acta Borussica. Neue Folge, 3. Reihe, 2), ISBN 978-3-506-79544-1, EUR 289,00., in: Francia-Recensio 2025/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.1.109497