Dédié au Prof. Dr. Jur. Jürgen Regge, ancien président de la commission pour l’histoire de la Poméranie décédé en 2023, ce volume collectif, dirigé par son actuel successeur, le directeur des archives de la ville de Wismar Nils Jörn, est la publication bienvenue des actes d’un colloque rassemblant à Greifswald en 2021 des spécialistes allemands et polonais. Comme l’énonce clairement le titre du livre, le duché de Poméranie dans le premier tiers du XVIIe siècle a connu un apogée, notamment culturel, en même temps que l’amorce d’un basculement sans retour qui l’a conduit en 1648 à être partagé entre Suède et Brandebourg. On peut hésiter entre plusieurs dates pour situer précisément le moment critique: l’irruption de Wallenstein en 1627, le débarquement de Gustave II Adolphe à Usedom en 1630 ou la mort sans héritier du duc Bogislaw XIV en 1637. Mais il s’avère que les années de faiblesse politique qui précédèrent et préparèrent la durable mainmise suédoise furent aussi un temps exceptionnel pour le duché des Griffons. Les douze communications publiées ici nous le montrent très clairement.
Elles nous offrent un panorama à la fois large et varié de ce qu’était alors le duché. Dirk Schleinert en donne une présentation à la fois dynastique et territoriale, mettant en évidence les anciennes convoitises des électeurs de Brandebourg appuyées sur le traité de 1529 (article 5) mais contestées un siècle plus tard par la Suède. Il montre aussi le peu de cohérence d’un ensemble politique dont les morceaux (Poméranie-Wolgast à l’ouest de l’Oder, Poméranie-Stettin à l’est pour l’essentiel mais en deux parties séparées par l’évêché sécularisé de Camin) tiennent surtout par l’effet d’une union personnelle. La dynastie des Griffons (Greif) exerce un rayonnement certain, entretient une réelle vie culturelle, réalise de coûteux voyages, mais est minée par un endettement préoccupant et finalement par la menace de l’extinction biologique, ce qui finit par faire d’elle la proie de la Suède. Haik Thomas Porada met l’accent sur le rôle des diètes comme lieux de discussions et de négociations politiques, liées notamment aux dettes princières. Dans ce pays devenu luthérien, le duc Bogislaw XIV proclama en 1634, avec l’accord des états, la confession d’Augsbourg comme la seule obligatoire et confirma les règlements ecclésiastiques poméraniens. Nils Jörn donne un tableau précis et clair de l’organisation de la justice, ce dont on ne disposait pas auparavant. On doit à Ute Essegern une étude également fouillée de la politique matrimoniale de la maison ducale vers 1600. Elle nous en fait suivre les projets, pas tous devenus réalité; elle met en évidence le rôle des duchesses et de leur parenté dans la conception et la conclusion des alliances, et décortique les contrats de mariage, notamment leurs dispositions financières. Rafal Makala nous donne une étude des pavillons et réserves de chasse de la dynastie autour de Stettin, autre manifestation de la vie et de la représentation princières dans des lieux toujours proches de cet axe majeur qu’est l’Oder.
Tout cela a un coût, et Joachim Krüger examine la politique monétaire ducale dans une communication au titre prometteur: »Entre fausse monnaie et réforme«. Ici, point d’âge d’or, mais de constantes difficultés et une fâcheuse tendance à déborder de la légalité avec des pratiques douteuses qui ne manquent pas de mettre le trouble dans la circulation monétaire et la vie économique. Présentant la situation socio-économique des villes poméraniennes au XVIIe siècle, Stefan Kroll compare la situation des décennies 1620 et 1690. Les guerres successives et la division territoriale ont marqué le pays. La situation générale est bien moins favorable à la fin du siècle. Les effectifs de population d’avant les années 1630 n’ont pas été retrouvés, l’inflation est passée par là et les destructions ont été importantes. Les contributions de guerre ont pesé plus lourd que les profits tirés de la présence des armées. Les villes poméraniennes doivent désormais se conformer aux politiques économiques respectives des États suédois et brandebourgeois. Fritz Petrick donne ensuite une étude de cas circonstanciée: la concession en 1613 de privilèges urbains à la localité de Bergen sur l’île de Rügen par le duc Philipp Julius. On doit à Gunnar Möller une approche originale par l’archéologie du quotidien à Stralsund dans le premier tiers du siècle. Il fait découvrir défenses militaires et sépultures de guerre, monnaies, vaisselle (faïence, porcelaine, verres). Elisabeth Heigl nous présente l’université de Greifswald sous un jour également peu commun: son patrimoine, sa vie économique, ses difficultés croissantes et les tentatives ducales pour y remédier. Là aussi, il serait vain de parler d’un âge d’or. Il faut attendre le siècle suivant pour retrouver des temps plus favorables. Pawel Gut vient ensuite à ce qui est – théoriquement – le cœur de la vie universitaire: non pas l’administration, mais les professeurs, les étudiants (dont le nombre décline depuis le début des années 1610 et ce jusqu’à l’étiage de 1639) et les programmes. C’est avec l’histoire du livre, précisément celle de l’imprimerie de Bogislaw XIII à Barth, que Jürgen Hamel achève ce panorama de la Poméranie d’avant les Suédois.
On l’aura compris, nous disposons grâce à ces actes de colloque d’un tableau divers et nuancé d’un territoire du nord de l’Empire, au moment où la guerre va le bouleverser et le diviser. Au fur et à mesure des communications, on perçoit ce qui est pour de bon un âge d’or culturel et artistique et, économiquement parlant, un temps favorable, et en quoi il se trouve miné par une volonté de représentation princière dépassant les moyens du pays, et par l’extinction de la dynastie devenue inéluctable, à un moment où la guerre frappe à la porte. Le volume est soigné, avec d’assez nombreuses illustrations, y compris en couleurs, des cartes, des plans, des graphiques, des tableaux et des arbres généalogiques qui en facilitent la lecture. Peu de territoires de l’Empire peuvent être aujourd’hui aussi bien connus pour ces années décisives. La commission pour l’histoire de la Poméranie manifeste ici avec bonheur la vitalité de ses travaux. Qu’elle en soit remerciée. Signalons pour finir que les lecteurs francophones s’intéressant à la Poméranie de cette époque peuvent retrouver plusieurs des contributeurs du présent volume dans le numéro 297, novembre 2022 de la revue XVIIe siècle.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Olivier Chaline, Rezension von/compte rendu de: Nils Jörn (Hg.), Pommern im ersten Drittel des 17. Jahrhunderts. Das Land am Meer in seinem Goldenen Zeitalter oder einen Schritt vor dem Abgrund?, Köln (Böhlau Verlag) 2024, 60 S., Abb. (Forschungen zur Pommerschen Geschichte, 62), ISBN 978-3-412-52790-7, DOI 10.7788/9783412527921, EUR 60,00., in: Francia-Recensio 2025/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.1.109501