On le sait, la Saxe a joué un important rôle dans le cours de la guerre de Trente Ans: acquisition précoce des Lusaces en 1623, batailles de Breitenfeld le 17 septembre 1631 et de Lützen le 16 novembre 1632, paix saxonne-impériale de Prague le 30 mai 1635. Pourtant, les études d’ensemble accordent peu d’importance à la Saxe électorale – en dépit de son poids institutionnel et confessionnel –, et surtout, le regard jeté sur elle reste foncièrement négatif. L’historiographie reste en effet d’une part marquée par la valorisation de Frédéric II de Prusse par les historiens du XIXe siècle, intrépide chef de guerre auquel est prêtée une rationalité territoriale, et le dénigrement consécutif des figures moins portées à la confrontation telles que Jean-Georges Ier, présenté comme un ivrogne apathique responsable de la division du camp protestant. D’autre part, le récit sur la guerre de Trente Ans et les sources mobilisées suivent encore trop la perspective impériale.

Cet ouvrage, conçu en parallèle de la préparation à l’exposition Bellum & Artes. L’Europe centrale pendant la guerre de Trente Ans, s’assigne donc pour tâche, premièrement,de traiter de la guerre de Trente Ans depuis le focus de la Saxe électorale, en rupture avec les cadres nationaux, et deuxièmement, de revaloriser et surtout d’étudier la personnalité, l’entourage et le règne de Jean‑Georges Ier, en particulier son rôle dans la conclusion de la paix. Le ton apologétique de l’introduction n’est heureusement pas poursuivi dans le reste de l’impressionnant recueil, qui relève la diversité des réactions dans l’entourage le plus proche de Jean-Georges, entre son épouse qui rejette le rapprochement avec l’empereur catholique en 1635 et ne peut se rallier que tardivement à la politique de Ferdinand III (Ute Essegern), et son fils qui, lui, le soutient d’emblée (Joachim Schneider) à l’égal des pasteurs (Wolfgang Flügel). Auteur de l’unique biographie à jour (en russe) de Jean-Georges Ier de Saxe, Andrei Prokopiev relate l’enfance du prince dans un milieu protestant marqué par les affrontements avec le calvinisme et une sensibilité apocalyptique, son avènement inattendu alors que son frère aîné meurt d’une crise cardiaque à 28 ans, une cour complexe peuplée de petits nobles (les grands nobles restent dans leurs possessions qui seront ravagées), une politique ancrée dans la tradition impériale et faisant primer la politique sur les considérations confessionnelles. Le soutien, non pas inconditionnel, mais circonstanciel et mesuré, de Jean-Georges de Saxe à la politique impériale se lit aussi dans sa quête de l’information: comme d’autres princes mais plus conséquemment, il collationne des journaux manuscrits, quelques journaux imprimés auxquels il accorde moins d’importance, et entretient auprès de l’empereur des informateurs qui n’appuient pas forcément ses décisions (Kateřina Pražáková). La guerre perturbe fortement la vie de cour marquée par l’intégration de la diète et de la cour saxonnes (Josef Matzerath). Elle réduit considérablement les ressources, donc la réputation de la cour, qui peut toutefois en partie compenser ces pertes en recourant au Cercle de Haute-Saxe (Fabian Schulze). Affaiblie, et restant attachée à un système impérial dépassé (l’idée d’une unité entre l’empereur et l’Empire), la Saxe ne peut donc pas s’imposer dans les négociations de Westphalie, malgré les efforts de communication entrepris par ses envoyés (Lena Oetzel). Une discussion sur les enjeux internationaux (Astrid Ackermann, Dorothée Goetze, Michael Rohrschneider, Andreas Rutz, Tomáš Sterneck, Siegrid Westphal) et les nombreuses stations de la vie itinérante du prince électeur (Jochen Vötsch) concluent la première partie d’inspiration politique.

Le deuxième volet de l’ouvrage développe un questionnement plus culturel en se penchant sur la politique de représentation. À la différence des cabinets de curiosité de l’Empire, qui subissent d’importantes destructions ou pertes, celui de Dresde subsiste et est même installé, selon le plan du prince électeur, dans de nouvelles pièces baroquisées (Dirk Syndram). Ariane Koller se penche sur analyse les coupes munies de globes, une armoire de cabinet de curiosité et un manteau couvert d’ornements topographiques par lesquels le pouvoir a été incarné (Ariane Koller). Bien que de très haute valeur, les bijoux portés par le prince et la princesse électoraux sur leur lit de mort sont usuels et sans faste, conformément au souhait des défunts (Christine Nagel). Marius Winzeler montre que les nombreuses résidences et bâtiments construits pendant la guerre pour le prince électeur obéissent à des règles fonctionnelles dans la tradition du style Renaissance pratiqué au nord des Alpes. Mais la misère entraînée par la guerre frappe directement les artistes. Avec des moyens limités, Jean-Georges tente de se mettre en scène, ainsi lors de la campagne de Bautzen en 1620 (Holger Schuckelt, Kai Wenzel).

Une troisième section traite du quotidien et du vécu de la guerre et de ses suites. Alexander Schunka esquisse la complexité des mouvements migratoires entre la Bohême et la Saxe, leurs temporalités, leurs géographies, leurs enchaînements et leurs spécificités confessionnelles, sociales ou genrées. Plus sujettes aux épidémies mais moins aux destructions, les villes, selon Alexander Zirr, ont permis à l’économie de se stabiliser dès le milieu des années 1640. Christian Landrock montre à quel point les tentatives de reconstruction sont restées ténues et personnelles, faute de ressources et de marge de manœuvre.

Michael Kaiser propose un brillant résumé du volume, dans lequel il relève des questions restées ouvertes. Comment a fonctionné le marché des mercenaires? Peut-on parler d’une propagande saxonne? Ni le personnel politique, ni les états représentés à la diète territoriale ne formaient un bloc, si bien qu’on ignore comment la décision politique fonctionnait; à l’évidence, et même s’il a recouru à de nombreuses formes artistiques de façon assez classique, Jean-Georges n’a pas tenté de réduire son immense dette. La Saxe électorale n’est toutefois pas sortie déstabilisée de la guerre de Trente Ans.

Un ultime texte expose le programme de l’exposition Bellum & Artes qui thématise l’art en guerre (Claudia Brink et Susanne Jaeger).

Si le volume laisse des questions ouvertes, il aborde de façon neuve et stimulante la Saxe électorale, une lacune historiographique. Les illustrations qui le parcourent en rendent en outre la lecture très plaisante. On peut espérer qu’il fédèrera une série de nouveaux travaux sur la guerre et la politique à la cour de Saxe. L'ouvrage est au total une très belle réussite qui contribue au renouveau actuel de l'historiographie de la guerre de Trente Ans.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Claire Gantet, Rezension von/compte rendu de: Andreas Rutz, Joachim Schneider, Marius Winzeler (Hg.), Kurfürst Johann Georg I. und der Dreißigjährige Krieg in Sachsen, Dresden (Sandstein Verlag) 2024, 376 S., 160 Abb. (Spurensuche. Geschichte und Kultur Sachsens, Sonderband, 2), ISBN 978-3-95498-802-0, EUR 58,00., in: Francia-Recensio 2025/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.1.109508