Alors que l’on commémora le 30e anniversaire du départdes Alliés de Berlin, l’ouvrage de Michael Beyer et Pierre Gernez vient à point nommé pour nous rappeler – ou nous apprendre – ce que fut la liaison entre la République fédérale d’Allemagne et Berlin-ouest par le Train Militaire Français de Berlin (TMFB). Cette traversée de la République démocratique allemande (RDA) fut en effet un curieux et surprenant trajet: curieux car il convenait de respecter des règles strictes, totalement inusitées, et surprenant parce qu’aucun voyage ne procurait de telles impressions. À vrai dire, avant de l’entreprendre, nul ne pouvait imaginer ce que le voyageur pouvait ressentir durant la traversée des 200 km en pays communiste, au-delà du Rideau de fer. Que ce soit à Helmstedt, à la frontière ouest-allemande ou à Potsdam, le passager éprouvait la curieuse et inaccoutumée sensation d’entrer dans un monde différent qui lui était totalement étranger et pouvait, surtout, le déconcerter. C’est là le premier mérite des auteurs que d’avoir su refléter de telles émotions.
Le second mérite de ce livre est d’être fort complet: les auteurs n’ont pas omis de signaler que Britanniques et Américains disposaient d’équipements similaires. The Berliner reliait quotidiennement et dans la journée, le secteur britannique à la gare de Braunschweig en partant de Berlin-Charlottenburg, et couvrait les 232 km en quatre heures. Le voyage pouvait être agrémenté par une visite au wagon-restaurant pour un english breakfast ou un evening formal dinner, où le service était des plus stylé, digne des Wagons-lits/Cook! Les Américains disposaient quant à eux de deux trains quotidiens vers Bremerhaven et vers Francfort-sur-le-Main.
Le troisième mérite de l’ouvrage est d’avoir parfaitement décrit le fonctionnement de cette ligne ferroviaire, originale sous de nombreux aspects: un train militaire français conduit par un cheminot et mené par un convoyeur (Zugführer), tous deux est-allemands; un train surveillé durant son trajet par les VoPos (agents de la Volkspolizei) ou par les GrePo (Grenzpolizei) de la RDA; un train qui n’est contrôlé que par les forces de l’autre allié soviétique! En effet, tout comme les autoroutes, le train ne circulait pas en site exterritorialisé mais empruntait les infrastructures de la RDA. Il fallait donc se plier aux règles est-allemandes qui s’ajoutaient à celles établies par les Soviétiques.
Cet ouvrage de 212 pages est agréable à lire, tout en étant très détaillé. Il est aussi fort bien illustré. Outre une chronologie de la »Guerre froide«, l’ouvrage comprend 12 chapitres couvrant tous les aspects de cette aventure ferroviaire. Après une description du contexte politique et militaire dans lequel opérait le TMFB, les auteurs montrent toute l’importance de ce »cordon ombilical ferroviaire« indispensable aux troupes et à la communauté française, isolées toutes deux dans un territoire, sinon hostile, du moins menaçant. Le blocus de Berlin de 1949 a d’ailleurs parfaitement démontré à quel point la voie terrestre était importante pour la »survie« et la défense des secteurs occidentaux et combien cette voie d’accès était vulnérable. La péripétie qu’a connu un détachement du Cadre noir de Saumur venu participer à un concours hippique est à cet égard significative des chicanes imposées quelquefois aux Alliés. Considérant que les chevaux devaient être munis de certificats sanitaires délivrés par les autorités vétérinaires de la RDA, ces dernières bloquèrent le convoi. Il ne put continuer sa route qu’après de longues discussions avec les autorités soviétiques qui, finalement, acceptèrent de considérer les chevaux du Cadre noir comme relevant de l’équipement des troupes – non comme des animaux – et, de ce fait, ne pouvaient être sujets à une quelconque autorisation est-allemande!
Gestionnaire du réseau, tant en RDA qu’à Berlin-ouest où elle contrôlait la S-Bahn, la Deutsche Reichsbahn (DR) usa ainsi de toutes ses prérogatives techniques à des fins politiques. Le pavoisement des trains, bien décrit par les auteurs, fut par exemple la cause de difficultés récurrentes. Il était en effet de coutume dans les pays communistes, lors des fêtes populaires, de pavoiser aussi les trains. Comme il était impensable que des trains militaires entrent en Allemagne ou dans les secteurs occidentaux en portant des slogans ou signes politiques à la gloire des pays socialistes, leur nettoyage était effectué aux postes frontières! Nettoyage facile lorsqu’il fallait n’enlever que des drapeaux ou banderoles mais fastidieux lorsqu’il fallait effacer des slogans peints sur les locomotives et wagons!
Soumis à des règles strictes comme l’interdiction de photographie, l’obligation de tirer les rideaux lors des arrêts en RDA, la défense d’ouvrir les portières des wagons durant le trajet, le voyageur découvrait une façon de voyager insolite que les auteurs décrivent très bien. Deux gendarmes veillaient en effet au respect des consignes communiquées aux passagers avant le départ. À chacun des postes frontières, c’est aussi un cérémonial étrange qui se déroulait: accompagné de son adjoint, l’officier commandant du train se rendait, avec une démarche toute militaire, auprès de l’officier soviétique pour lui remettre les documents du train ainsi que la liste des passagers et lui montrer leurs pièces d’identité. Selon les cas cette vérification pouvait prendre plus ou moins de temps, sa durée dépendant souvent du climat politique régnant entre l’Est et l’Ouest.
Finalement, le lecteur revivra des aventures vécues ou bien sera surpris par les conditions de voyage imposées aux passagers. Les passionnés de chemins de fer découvriront des modalités de trafic ferroviaire inaccoutumées et aujourd’hui disparues. Assurément, le TMFB, qu’empruntaient tous les deux mois les 250 jeunes conscrits effectuant leur service militaire à Berlin, était vraiment un train »pas comme les autres«!
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Christian Brumter, Rezension von/compte rendu de: Michael Bayer, Pierre Gernez, Le Train Militaire Français de Berlin. TMFB 1945–1994, Berlin (Gleistod) 2024, 217 p., ISBN 979-10-415-3811-9, EUR 30,00., in: Francia-Recensio 2025/1, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.1.109728





