Dans ses recherches qui portent sur la vie politique et la société dans le département de la Manche, Michel Boivin, professeur émérite de l’université de Caen, s’attache à l’étude de la collaboration et de l’épuration dans le département. L’ouvrage dispose de tous les éléments d’un travail scientifique. L’introduction définit les termes liés, livre un état de la recherche et des sources à disposition, et explique la méthode suivie tout au long de cette étude. Le livre est divisé en huit chapitres, les trois premiers concernent la collaboration, les quatre derniers l’épuration.

Les trois chapitres concernant la collaboration s’attachent à étudier celle-ci dans le domaine politique, militaire, policier et quotidien. En ce qui concerne le domaine politique, 405 Manchois adhèrent à un mouvement de collaboration politique (PPF, JPF, Comité ouvrier de secours immédiat, Rassemblement national populaire) ou collaborent au sein d’une partie de la presse. Ces faibles effectifs sont à rapprocher de ceux des ligues d’avant-guerre. Urbains, âgés en moyenne de 38 ans, ils sont le reflet du milieu où ils évoluent, avec une forte proportion d’ouvriers, aux motivations variées.

La collaboration militaire et policière est encore moindre. 98 Manchois rejoignent la Légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF), les amis de la LVF, la Milice ou les formations militaires ou policières allemandes: Schutzkommando (SK) de l’Organisation Todt, le Corps de transports nazi (Nationalsozialistisches Kraftfahrerkorps, NSKK), la Waffen-SSet la Kriegsmarine.À cela, il faut ajouter treize Manchois qui rejoignent la Gestapo. Enfin, certains sont aussi des collaborateurs politiques et, pour la plupart, ils ne sont pas originaires du département. En général, les collaborateurs se trouvent dans les zones de forte occupation allemande à savoir les villes et les côtes. Quant à l’activité des agents de la Gestapo, si elle s’avère utile pour l’occupant, elle fait aussi l’objet d’un œil critique de sa part.

La collaboration au quotidien est plus difficile dans la mesure où elle relève en grande partie de la sphère privée. Elle peut être amicale, passer par des transactions commerciales ou par des dénonciations. Elle touche plus la campagne que la ville. Sur la base des procès de l’épuration, elle concerne 1666 Manchois dont 697 femmes et 969 hommes. Les femmes sont plus concernées par la »collaboration horizontale« et les lettres de dénonciations. Les patrons de l’industrie et de l’artisanat sont proportionnellement cinq fois plus nombreux que dans les autres types de collaboration: ravitaillement des troupes allemandes, contrats liés à l’Organisation Todt ... À l’inverse, les agriculteurs sont peu représentés en raison des structures agraires du département.

Le débarquement et la libération du département donnent lieu, comme partout ailleurs, à une épuration. L’épuration sommaire touche peu la Manche dans la mesure où la population fait confiance aux nouvelles autorités et à l’action rapide des comités de résistance, en coopération avec la police et la gendarmerie. 4593 Manchois sont concernés (parmi une population d’environ 435.000 selon le recensement de 1946). Un seul est exécuté et un autre est accidentellement éliminé par les Allemands. Des femmes sont tondues partout dans le département en raison de leur proximité avec l’occupant. D’autres sont internées au camp de Tourlaville. Dès septembre 1944, le commissaire de la République met en place un système de validation des demandes d’internement. Au plus fort de son activité, ce dernier compte 629 détenus. En dernier lieu, 301 Manchois sont concernés par la mise sous séquestre de biens et les fermetures de commerces: journaux, cafés, entreprises , etc.

L’épuration judiciaire est mise en place par le Gouvernement provisoire de la République française qui modifie le code pénal et aboutit, dans un premier temps, à la constitution d’un tribunal militaire remplacé par une cour de justice au niveau départemental en novembre 1944 suivi de l’établissement d’une chambre civique, le 29 janvier 1945, pour les cas les moins graves. Ces juridictions sont actives jusqu’en mai 1946. La juridiction militaire prononce sept condamnations à mort – aucun des condamnés n’est Manchois – et treize condamnations à perpétuité. Les juridictions civiles sanctionnent 1313 Manchois pour des peines allant de la mort (15 Manchois), à la dégradation nationale (898 condamnés). Par contre, 277 sont acquittés.

L’épuration professionnelle concerne d’abord l’administration. Une commission d’épuration des fonctionnaires est créée le 14 septembre 1944, ainsi qu’une commission spéciale pour l’agriculture. 59 fonctionnaires sont punis avec, entre autres, 51 révocations. Il est à noter qu’une vingtaine d’enseignants sont sanctionnés. Dans le même chapitre, l’auteur évoque l’épuration économique. Un comité départemental des profits illicites est mis en place par le préfet. Le choix privilégié est celui de la sanction financière pour marché noir ou profits illicites. 749 Manchois sont sanctionnés pour un montant total de 1 277 793 504 F. Les journaux quant à eux en réchappent à l’exception des Imprimeries et Editions de l’Ouest dont le gérant est, par ailleurs, poursuivi à titre personnel.

L’épuration des élus passe par l’inéligibilité de quatre parlementaires dont deux seront réhabilités plus tard. Quant au conseil départemental, il est remanié par le préfet qui choisit des ruraux, des médecins et des vétérinaires et des personnalités connaissant le monde ouvrier dans les quelques villes industrielles dont une partie est issue de la Résistance. Les conseils municipaux sont aussi épurés. Une vingtaine de conseils municipaux nommés par Vichy sont remplacés par des délégations spéciales ou municipales. 124 maires sont suspendus: 67 %, pour adhésion active au régime de Vichy ou attitude antinationale, 23,3 %, pour trafic clandestin ou pillage, 9,7 %, pour passivité ou carence. En l’espèce, le préfet fait preuve de modération ce qui ne peut empêcher les protestations.

De fait, l’épuration est jugée par certains administrés comme trop lente, voire trop indulgente, alors que les collaborateurs et leurs familles la qualifient de »terrorisante«. Ces critiques ne tiennent pas compte d’un critère: celui du contexte. Au total, Michel Boivin conclut que le département de la Manche n’a que peu collaboré, eu égard à sa documentation et aux études réalisées qui lui permettent de comparer avec d’autres départements voire au niveau national alors que de nombreuses annexes rendent compte d’un travail méticuleux dont ces quelques lignes ne peuvent donner qu’un aperçu.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Éric Barré, Rezension von/compte rendu de: Michel Boivin, Collaboration et épuration dans la Manche, Marigny-le-Lozon (Eurocibles) 2024, 349 p., ISBN 978-2-35458-116-9, EUR 23,00., in: Francia-Recensio 2025/1, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.1.109733