Joseph Owona montre que l’histoire orale peut apporter une contribution importante à la recherche sur l’histoire de la domination coloniale allemande au Cameroun. Il convient toutefois de souligner d’emblée qu’Owona ne parvient pas à apporter une contribution scientifique à l’aide de la tradition orale. On peut toutefois se demander si telle était son objectif. Dans sa préface, l’historien camerounais Kpwang K. Robert qualifie l’ouvrage d’»événement scientifique d’une importance capitale pour la recherche historienne dans notre pays« (9), appréciation qui ferait pâlir d’envie la corporation des historiens et historiennes. Mais Owona lui-même se contente d’écrire qu’il veut sortir de l’oubli ceux qui ont résisté aux Allemands dans le sud du Cameroun.

L’auteur n’est pas historien, mais juriste. Pendant des décennies, jusqu’à sa mort en janvier 2024, il a occupé les plus hautes fonctions politiques dans l’entourage du président à long terme Paul Biya. Le fait qu’Owona ait été un poids lourd politique a probablement contribué aux louanges exubérantes de la préface, mais le livre ne résiste pas à un examen scientifique. Il ne s’agit pas d’un ouvrage historique, même si Kwang K. Robert, du moins, veut le faire croire aux lecteurs. Au lieu de cela, il s’agit d’un livre hautement politique qui, malgré son caractère non scientifique, permet d’acquérir des connaissances importantes sur la culture de la mémoire au Cameroun d’aujourd’hui: de quoi se souvient-on? À quelles conjonctures la mémoire obéit-elle? Comment la mémoire sert-elle à légitimer une certaine forme de société?

En trois parties géographiques couvrant la moitié sud du Cameroun, divisées en 13 chapitres, Owona présente les biographies d’hommes qui ont résisté aux Allemands. La concentration sur le sud, dont Owona est lui-même originaire, est déjà un acte politique dans le Cameroun d’aujourd’hui: jusqu’à présent, le littoral avec la métropole Douala, le Grassland et le Cameroun anglophone étaient au centre de la recherche et de la mémoire du passé colonial. Depuis quelque temps, l’attention se porte de plus en plus sur le sud géographique.1 Cela se produit parallèlement à une revalorisation politique de la région dans le cadre des conflits violents entre le gouvernement central et la partie anglophone du Cameroun, dans lesquels Douala est également considérée comme un canton incertain. La construction du nouveau port en eau profonde de Kribi avec l’aide de la Chine s’inscrit également dans ce contexte. Celui-ci doit rendre le gouvernement central indépendant de Douala agitée. L’auteur évoque à plusieurs reprises sa construction, au cours de laquelle on a manifestement rappelé le souvenir de nombreuses personnalités historiques du sud du Cameroun, qui n’avaient jusqu’à présent guère joué de rôle dans l’imaginaire politique du Cameroun indépendant (18, 23).

Pour la reconstitution des biographies, Owona s’appuie en partie sur les résultats de recherches d’historiens camerounais. Mais, selon l’auteur, la plupart de ses informations reposent sur l’histoire orale. Cependant, il ne cite généralement pas les noms des informateurs ou des informatrices. Dans ces récits, on trouve des détails parfois étonnants, comme les noms corrects des fonctionnaires, militaires et marchands allemands qui étaient en mission dans certains endroits, sans que l’auteur n’aborde la transmission orale de manière critique – par exemple en collectant, comparant et critiquant différentes traditions pour reconstruire des événements historiques. L’auteur ne fait pas appel à des sources écrites, comme les rapports de fonctionnaires, de soldats et de voyageurs allemands, ou les archives allemandes accessibles au Cameroun. De même, il renonce en grande partie à prendre connaissance de la littérature de recherche publiée en dehors du Cameroun – ce qu’il aurait pu faire sans problème compte tenu de sa position sociale.

L’objectif de l’auteur n’est pas de faire une analyse historiographique de la résistance africaine contre la puissance coloniale allemande. Il s’agit pour lui de créer un canon national, sud-camerounais, de héros – pour ne pas dire d’inventer des héros. Les biographies présentées dans l’ouvrage, leur choix et leur conception correspondent aux exigences politiques du Cameroun contemporain et de l’ordre politique actuel. Elles en disent donc plus sur le présent du Cameroun que sur son passé: le héros d’Owona est le chef qui décide de tout, qui règne de manière autoritaire et qui se sacrifie pour son pays et son peuple. Joseph Owona fait exclusivement le portrait d’hommes. Ceux-ci ont une position sociale élevée. Ce sont des patriotes qui défendent leur patrie contre les envahisseurs allemands. Dans leur résistance héroïque, ils laissent leur vie – pour finalement rester des vainqueurs moraux.

Dans les histoires de héros d’Owona, les femmes et les hommes qui n’occupaient pas les plus hauts rangs de la société ne jouent aucun rôle. De même, les conflits entre les différents acteurs au sein des sociétés précoloniales n’apparaissent pas, pas plus que la coopération ou la collaboration avec le pouvoir colonial, dont de nombreuses autorités précoloniales ont profité pour renforcer leur pouvoir et s’enrichir. Les positions sociales et le pouvoir qu’Owona attribue à ses héros étaient en outre très rares dans le Cameroun précolonial. Le chef qu’Owona projette dans le passé est un produit de l’époque coloniale.2 Ailleurs aussi, Owona ne pose guère de limites à l’imagination – le magique ou les théories du complot actuelles ne sont jamais très loin (16).

Le livre d’Owona est un exemple de la manière dont la mémoire de la domination coloniale allemande et de la résistance africaine contre celle-ci est utilisée dans le Cameroun d’aujourd’hui pour créer des récits de héros nationaux et légitimer des formes de domination autoritaires. Pour une analyse du passé, le livre n’offre pas grand-chose. Mais il est d’autant plus intéressant pour une analyse du présent du Cameroun.

1 Eugène Désiré Eloundou, Le Sud-Kamerun face à l’hégémonie allemande 1884–1916, Paris 2016; Lucie Zouya Mimbang, L’Est-Cameroun de 1905 à 1960. De la mise en valeur à la marginalisation, Paris 2013.
2 Peter Geschiere, Chiefs and Colonial Rule in Cameroon. Inventing Chieftaincy, French and British Style, in: Africa 63 (1993), 151–175, DOI 10.2307/1160839.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Tristan Oestermann, Rezension von/compte rendu de: Joseph Owona, Kamerun. Les résistants oubliés de l’hinterland Sud à la pénétration allemande: 1889–1918, Paris (L’Harmattan) 2023, 144 p., ISBN 978-2-14-033696-6, EUR 16,50., in: Francia-Recensio 2025/1, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.1.109749