Jakob Schönhagen retrace l’émergence et les transformations du champ international de la politique en matière de réfugiés entre 1945 et 1975. Ce livre, issu de la thèse de doctorat de l’auteur défendue à l’université de Fribourg-en-Brisgau, est structuré en cinq parties, auxquelles s’ajoutent une introduction et une conclusion. Il reprend de manière chronologique les origines de ce champ de politique internationale depuis la Première Guerre mondiale (I.), les jalons posés dans les années 1950, notamment par l’établissement d’une double structure entre l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), et la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951 (II.), la mise en place d’interactions potentiellement stabilisées dans les années 1960 (III.), l’émergence des acteurs non-étatiques et le développement de stratégies de communication humanitaire dans les années 1970 (IV.), et enfin la mise en perspective des institutions et structures qui orientent la politique en matière des réfugiés des années 1980 à nos jours (V.).

À travers ces cinq parties, l’auteur répond à la question: »Comment, pourquoi et dans quelles conditions la problématique des réfugiés, perçue au départ comme transitoire, s'est transformée en […] un problème mondial que la communauté internationale a tenté de résoudre par une politique mondiale?« (16). S’appuyant sur un travail d’archives approfondi aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Inde et en France, auprès des organisations internationales (OI) à Genève, New York, Washington, Addis-Abeba, Strasbourg etc. et sur un corpus de littérature grise (17, 375–393), Schönhagen analyse les définitions des problèmes autour des réfugiés, l'institutionnalisation et la formalisation juridique (ou non) des politiques en la matière, leur instrumentalisation (géo-)stratégique et enfin leur mise en pratique (16). À cet égard, le livre fait apparaître la politique en matière de réfugiés comme une politique publique à l’échelle internationale, menée par des OI, des représentants étatiques et des ONG.

En décrivant et en analysant en détail trois exemples historiques (le resettlement des Displaced Persons (DP) de la Seconde Guerre mondiale (partie II), celui des réfugiés algériens en Tunisie et au Maroc entre 1954 et 1962 (partie III) et des réfugiés bengalis en 1971 (partie IV)), l’auteur révèle trois déplacements majeurs dans le cadrage politique, institutionnel, organisationnel et normatif de la politique en matière de réfugiés et sa mise en œuvre. Le premier déplacement concerne la définition que les acteurs internationaux font de la question. En s’appuyant sur les déterminations juridiques de la catégorie »réfugié« de l’entre‑deux‑guerres (partie I), ces acteurs, en premier lieu les gouvernements états-uniens et britannique, ont cherché, après 1945, une solution définitive pour les DP de la Seconde Guerre mondiale et les »ir‑rapatriables« de l’ordre international d’après-guerre (48). Par le resettlement des réfugiés européens, pensé comme une répartition pragmatique des charges d’intégration des DP (42), le problème des réfugiés devrait être résolu de manière définitive pour garantir la sécurité dans le monde (52–54). Ce cadrage du problème, centré sur l’Europe, imprégné par les enjeux de la Guerre froide et prenant acte des déplacements de population pendant et après la Seconde Guerre mondiale, a réaffirmé le principe de la souveraineté nationale comme fondement de l’ordre international. Il renouait en partie avec les efforts de l’homogénéisation nationale de l’entre‑deux‑guerres (48) et reposait sur une définition juridique du réfugié (partie II).

En revanche, à partir de la fin des années 1960 et au plus tard avec la guerre de sécession du Bangladesh et l’exode de dix millions de Bengalis vers l’Inde, en 1971 (partie IV, 256), les acteurs de la scène internationale, divisés par la Guerre froide, ont interprété le problème comme un phénomène mondial à endiguer par la fermeture des frontières et le rapatriement des réfugiés, mais aussi à gérer par l’action humanitaire et la mise en place de camps (partie IV, 283–285).

Ce recadrage de la définition des problèmes s’est conjugué avec une reconfiguration des relations internationales, entamée par la décolonisation dans le contexte de la guerre froide et le nombre grandissant d’États indépendants notamment en Afrique et en Asie (partie III). Cette reconfiguration a impliqué un déplacement institutionnel et organisationnel de la politique internationale en matière de réfugiés. Elle a transformé le HCR en acteur central de ce champ politique international, comme Schönhagen le démontre d’une manière particulièrement intéressante par son analyse de la crise provoquée par des réfugiés algériens qui se déplaçaient en Tunisie et au Maroc suite aux politiques françaises de transfert forcé de populations algériennes (165‑167). L’auteur met en évidence les enjeux géopolitiques de cette crise en soulignant l’interaction entre, d’une part, la concurrence entre les puissances occidentales et l’Union soviétique et, d’autre part, les dynamiques de la décolonisation. Dans ce contexte, la gestion des réfugiés algériens a pu devenir »le modèle pour la réorientation de la politique internationale en matière de réfugiés« (167). Ce renforcement du rôle du HCR s’est poursuivi tout au long des années 1960 et 1970, au détriment d’organisations qui étaient importantes pour la politique du resettlement des DPs dans les années 1950, comme par exemple l’Intergovernmental Committee for European Migration (ICEM, devenue l’International Organization for Migration, IOM).

Le troisième déplacement observable dans l’analyse de Jakob Schönhagen concerne le recadrage normatif de la politique internationale en matière de réfugiés. Alors que »le réfugié« était déterminé juridiquement après 1945 et représentait un statut juridique suite à la convention de Genève de 1951, il a été de plus en plus considéré, à partir des années 1960 et surtout 1970, comme une victime de souffrance et de besoin humanitaire. Certes, les deux cadrages ont coexisté tout au long des trois décennies étudiées par Jakob Schönhagen et coexistent toujours (368), en témoignent, d’une part, la pérennisation de la UNRWA (créé en 1948) et de l’approvisionnement des réfugiés palestiniens dans des camps (134–144, 238) et, d’autre part, l’adoption du protocole de New York concernant le statut de réfugié en 1966 (216–245). Cependant, la définition juridique et le statut légal du réfugié sont passés au second plan de la politique internationale, notamment en raison des dynamiques de la décolonisation et de la valorisation de la souveraineté nationale qui en découle. La détermination des réfugiés par la souffrance et l’aide humanitaire est passée au premier plan, comme l’explique l’auteur en décrivant les stratégies de communication du HCR et des ONG internationales dans les années 1970 (283–311). En s’appuyant sur ce prisme et sur l’approvisionnement de l’aide humanitaire dans des camps de réfugiés, le HCR a gagné en importance dans la politique internationale et a élargi son champ d’intervention.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Nikola Tietze, Rezension von/compte rendu de: Jakob Schönhagen, Geschichte der internationalen Flüchtlingspolitik 1945–1975, Göttingen (Wallstein) 2023, 432 S., 7 Abb. (Moderne Zeit. Neue Forschungen zur Gesellschafts- und Kulturgeschichte des 19. und 20. Jahrhunderts, 37), ISBN 978-3-8353-5369-5, EUR 46,00., in: Francia-Recensio 2025/1, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.1.109754