Ce livre est la thèse retravaillée, soutenue par G. Brunnlechner sous la direction de Felicitas Schmieder en 2022, donc une publication rapide sur la carte dite génoise – à cause des armes d’argent à la croix de gueules (la bannière de saint Georges) qui sont celles de la cité – qui porte la date de 1457 et qui n’est pas signée. Il s’agit d’une carte à la forme peu commune, en forme d’amande, de parchemin, de 39,5 cm de haut et de 79,5 cm de large.
Cette recherche a été menée à peu d’années de distance de la publication exhaustive d’Angelo Cattaneo, Mappa Mundi 1457 (Biblioteca nazionale centrale di Firenze, Port. 1). Analisi, trascrizione e commentario, Rome 2008, aussi l’autrice étudie cette carte dans un cadre plus théorique. En effet, la carte est un médium qui ne réplique pas la réalité, mais communique une image spécifique du monde, aussi il faut étudier les cartes dans un processus de communication par les cartographes dans un contexte particulier, un monde ambigu et inconstant; de plus l’autrice tient à parler de cartographes au pluriel pour cette carte unique.
Après une introduction (13–20), où elle expose son projet, G. Brunnlechner aborde dans un premier chapitre les »bases« (»Grundlagen«, 21–65). Celles-ci sont les bases de l’histoire de la cartographie: termes pour désigner la carte (notamment mappa mundi), les différents types de cartes, les différents niveaux de recherche. Puis l’autrice décrit physiquement la »carte génoise«, identifie les deux écus, en haut à gauche celui de Gênes et en bas à gauche celui de la famille Spinola (on se demande pourquoi elles ne sont pas identifiées dans la transcription des données, Anhang I, n° 1 et 7, 345). Enfin, elle présente sa méthode de réflexion sur l’espace et le temps.
Le deuxième chapitre est consacré à la fabrication de la carte, vue comme un espace d’action (»Kartenmachende – Annäherung an den Handlungsraum«, 67–187). L’autrice s’attache au processus de création (a-t-on affaire à un savoir-faire coutumier ou à une innovation?) notamment par l’utilisation d’une projection mathématique. Ensuite, il faut savoir s’il s’agit d’une réalisation individuelle ou du résultat d’une division du travail. Nous pourrions en douter: pour une carte somme toute de dimensions modestes il y a pu n’y avoir qu’un seul cartographe, avec l’aide d’un enlumineur. Sont présentées les sources, notamment pour l’Orient la Lettre du Prêtre Jean et le récent récit du voyage de Niccolò de’ Conti, rapporté dans le livre IV du De varietate fortune du Pogge, les autorités antiques et médiévales. Se pose alors le cas de »marino/Marino« indiqué dans le cartouche de la carte: »Hec est vera cosmographorum cum marino accordata [descri]cio, quorundam [in] frivolis narracionibus reiectis, 1457« (Anhang I, n° 20, 345, où curieusement l’autrice ne suit pas la transcription de référence d’A. Cattaneo): s’agit-il de Marin de Tyr, de Marino Sanudo Torcello, ou d’un marin? C’est cette dernière hypothèse qui est retenue; relevons cependant que »marinus« en latin classique est un adjectif et que »marino« n’est pas non plus un substantif italien. On peut déduire que le milieu dans lequel a été réalisé cette carte était un milieu humaniste toscan (il faudrait alors expliquer la commande génoise, car à Gênes se trouvaient des cartographes); la réception a pu se faire dans différents milieux, ce qui permet à l’autrice de tenter une classification des cartographes.
Le troisième chapitre est centré sur l’image cartographique, selon les structures du monde représenté (»Kartenbild – Strukturen der dargestellten Welt«, 189–254): la terre comme partie du cosmos, les limites du monde pratiqué par l’homme, les structures de ce monde: mesuré, avec des représentations du temps cyclique et historique, aussi une topographie sacrée.
Dans le quatrième et dernier chapitre, l’autrice aborde la question de la communication, celle des voix des cartographes dans la carte (»Kommunikation – Stimmen der Kartenmachenden im Kartenbild«, 255-328). Ainsi qu’indiqué dans le cartouche cité, les cartographes (sic) revendiquent la vérité (qu’est-elle pour les cartographes contemporains?), mais il y a des contradictions à gérer (par exemple l’emplacement du Paradis terrestre, la navigabilité autour de l’Afrique), il se trouve un appel à l’action (la croisade) ou à une purification morale. L’autrice revient sur le cadre de la carte (projection ptoléméenne et transcendance divine), le public visé et les cartographes de la »carte génoise« comme processus de connaissance.
Un court épilogue (329–332) résume le livre. Suit un résumé en anglais (333–341) et les appendices: la transcription avec traduction des 828 notices et représentations de la carte (I, 345–388), une liste des cartes comparables (II, 389–400), une comparaison de la »carte génoise« avec les coordonnées de Ptolémée (III, 401‑406), une comparaison des grandes cartes (IV, 407–408), une copieuse bibliographie (409–457), enfin les index des cartes et des noms. On ne peut que regretter que les seize planches soient de petites dimensions avec les numéros des notices: vu la belle qualité du livre, il aurait été possible d’insérer un dépliant avec une reproduction sans interventions de l’autrice.
Gerda Brunnlechner montre une profonde connaissance de l’histoire de la cartographie »de transition« entre Moyen Âge et Renaissance et son ouvrage est un important apport théorique, riche de comparaisons avec les réalisations des XIVe et XVe siècles.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Gerda Brunnlechner, Die »Genuesische Weltkarte« von 1457. Bild und Stimme einer ambiguen Welt (Portolano I der Biblioteca Nazionale Centrale in Florenz), Turnhout (Brepols) 2024, 504 S., 33 s/w Abb., 17 farb. Abb., Karten (Terrarum Orbis, 17), ISBN 978-2-503-60189-2, EUR 130,00., in: Francia-Recensio 2025/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.2.111084