Issu de la thèse soutenue par Clément de Vasselot de Régné en 2018 à Poitiers, sous la direction de John Tolan et de Martin Aurell, ce gros volume est une monographie familiale des Lusignan dans sa dimension transrégionale du point de vue des solidarités internes, à partir du premier acte connu (904) jusqu’à sa disparition, en France vers 1323, en Angleterre en 1324, en Orient en 1267 quand Hugues d’Antioche relève le nom en se mariant avec Isabelle de Lusignan, mais les ponts étaient coupés depuis 1195. Les différentes branches étaient constituées par les comtes de la Marche, les seigneurs de Jarnac, les Valence, les seigneurs d’Exoudun, de Vouvant, d’Angles, de Lezay, de Couhé, les Celle et Vivonne; les femmes ne sont retenues qu’en tant qu’épouses et veuves; sont aussi inclus les religieux et les bâtards. Pour mener son étude, l’auteur forge un néologisme, »parentat«, fondé sur le latin parentatus, »parenté«, que l’on trouve chez le lointain Arnold de Lübeck et qu’il entend comme »la puissance politique et territoriale formée par la cohésion récurrente et structurelle de plusieurs individus unis par des liens de parenté, polarisés autour d’un groupe partageant une identité et des repères familiaux communs, dans le but de défendre ses intérêts politiques et patrimoniaux ou ceux de l’un de ses membres« (29).1
Après une introduction (19–40) rappelant ceci, l’historiographie et les sources – en absence de chronique familiale, elles sont constituées par près de cinq mille documents, dont mille deux cent soixante-dix-sept actes émis ou reçus par les Lusignan –, le livre est divisé en deux parties de trois chapitres chacune. Dans la première partie, »Pouvoir et gestion d’un groupe familial« (41‑339), l’auteur se penche d’abord sur »la propagation arborescente d’un lignage« (le terme lignée serait plus exact) (chapitre I, 45‑154): il étudie avec minutie la montée en puissance des Lusignan par les alliances matrimoniales, qui leur ont permis de s’imposer du Haut-Poitou jusqu’en Normandie, en Bretagne, en Île‑de‑France et dans les Îles Britanniques. Malgré cet éclatement géographique, l’entente entre les différentes branches maintenait leur pouvoir politique, quitte à changer d’allégeance entre le roi d’Angleterre et le roi de France. Dans le deuxième chapitre (155‑265), l’auteur s’intéresse aux moyens et méthodes de domination des Lusignan selon les catégories sociales (vassaux, communautés urbaines et paysannes, Église), aux symboles du pouvoir (sceaux, monnaies, châteaux), et aux hommes par lesquels ils exerçaient leur domination. Cependant, cette montée en puissance ne s’est pas faite sans concurrences ni conflits sur la justice, dans l’économie, vis-à-vis de l’Église, ce qui pouvait mener à la violence, à la suite de laquelle il fallait rétablir la concorde (chapitre III, 267–339).
La seconde partie, »De la parenté vécue au parentat« (341–676), est le cœur même du livre. L’auteur décortique d’abord les structures de la cohésion familiale (chapitre IV, 345–465): marqueurs de l’identité du lignage (par l’onomastique, la mémoire plus difficile à saisir, l’héraldique), appartenance à la haute aristocratie (soulignée par l’adoubement, les manières de vivre) et vécu de la parenté (maintenir l’unité et les solidarités via le patrimoine, l’entraide, l’affectivité). Ces mécanismes devaient d’autre part être perpétués, comme le souligne le chapitre suivant (467–586): d’abord assurer la perpétuité de la lignée (l’auteur traite alors des naissances, de l’éducation, du mariage: où se marier tout en consolidant le lignage et accroissant le patrimoine, du couple, de la mort et de la transmission, ce qui pouvait créer des conflits). Le dernier chapitre est consacré aux pratiques religieuses, par lesquelles les Lusignan s’affirmaient spirituellement et temporellement (587–675): il fallait assurer son salut en se conformant aux modalités qui étaient celles du temps, créer des lieux de mémoire avec les sépultures (notamment à Saint-Maixent), effectuer des pèlerinages et participer à la croisade (occasion de s’intéresser à la branche orientale).
Une courte conclusion générale (677–683) clôt l’ouvrage en le résumant et en évoquant le souvenir des Lusignan (particulièrement par la fée Mélusine). Suivent les sources et une abondante bibliographie (685–758) et un index.
Clément de Vasselot de Régné avait en fait rédigé une thèse aux dimensions d’une thèse d’État. On ne peut que louer l’ampleur de sa recherche et de ses développements, impossibles à résumer ici: il offre une somme exemplaire qui servira de modèle pour toute étude sur les familles nobles au Moyen Âge.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Clément de Vasselot de Régné, Pouvoir et solidarités d’une famille seigneuriale. Le »Parentat« Lusignan entre France, îles Britanniques et Orient latin (Xe–XIVe siècles), Turnhout (Brepols) 2024, 795 p., 17 ill., 22 cartes, 41 graphiques, 3 tab., 34 arbres généalogiques (Histoires de famille, 24), ISBN 978-2-503-59615-0, DOI 10.1484/M.HIFA-EB.5.125102, EUR 125,00., in: Francia-Recensio 2025/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.2.111087