Le quatrième tome de la série Capitularia regum Francorum, nova series, publié en deux volumes, est consacré à une nouvelle édition et traduction allemande des actes royaux ou capitulaires créés par Louis le Pieux et son fils Lothaire Ier durant la période 814–840. Le groupe de chercheurs réuni autour du projet a bénéficié du travail préparatoire accompli au XXe siècle par un historien majeur du droit du haut Moyen Âge, Hubert Mordek (1939–2006).
Dès les premières lignes de l’introduction, les éditeurs précisent le genre des documents édités. Définis comme des écrits législatifs, les capitulaires s’affirment essentiellement par leur fonction de promulgation et communication des lois du souverain à ses sujets, ce que démontrent parfaitement l’édition des textes et l’appareil critique qui les accompagne. Ils représentent le genre médiéval le plus complexe par leur transmission, parfois leur paternité (l’exemple cité sont les Capitula de Iudaeis, attribués tantôt à Charlemagne tantôt à son fils Louis) et, d’une certaine manière, par leurs formes variées (serment, directive interne, acte de loi, etc.).
Cette édition réunit les actes royaux de deux souverains, numérotés de 1 à 56. Par rapport à l’édition de Boretius, certaines pièces se sont partiellement émancipées et ont reçu un statut indépendant, par exemple: la Constitutio Romanum de Lothaire, portant sur le statut du pape et sa défense contre les abus, et le serment du pape Eugène à Louis et Lothaire, respectivement 25a et 25b. Cette nouvelle subdivision partielle de certains actes (21, 25, 45, 49, 54, 55, 56) ramène le nombre des documents édités à 77 pièces. Déterminé par la logique interne des documents et leurs transmissions manuscrites, ce choix éditorial a réduit la taille de certains à une brièveté extrême: ainsi, le 21b fait trois lignes.
Les capitulaires conservés reflètent les actualités de l’époque. Par exemple, ceux de Louis le Pieux, rédigés entre 818/819 et 828/829, marquent sa volonté de réforme ou bien encore les capitulaires de Lothaire, datant de 822/823, traduisent le processus de stabilisation de la situation politique en Italie après la révolte de Bernard d’Italie. Des lacunes apparaissent pour certaines années de règne des deux souverains, comme en 834/835 pour Louis, ce qui a conduit les éditeurs à conclure à la perte immense de ce type des documents (XVII). Ils observent une continuité entre les capitulaires de Charlemagne et ceux de Louis le Pieux tant par leurs thèmes, comme la volonté de mener une réforme morale propre aux deux souverains, que par la transmission de ces documents dans des manuscrits où les recueils de Charlemagne sont suivis par ceux de son fils (XXV).
Parmi les nombreux points forts de ces deux volumes figurent non seulement l’édition elle-même mais également une étude de la transmission des actes royaux à l’époque concernée, à lire dans l’introduction générale et dans celle accompagnant chaque texte édité. Les auteurs remarquent que la diffusion a varié d’un cas à l’autre. Ainsi, de manière étonnante, la célèbre Admonitio ad omnes regni ordines de 825 n’a pas été largement »publiée« à l’époque de son émission, ce qui permet de conclure que les instructions formulées dans ce document annonçant les principes politiques du gouvernement de Louis auraient été données à l’élite qui, à son tour, a fait connaître oralement ce capitulaire aux autres sujets.
Les éditeurs analysent également quelques témoins significatifs de la transmission géographique des capitulaires, en séparant la provenance en lien avec le royaume de Louis le Pieux (5 cas étudiés) et l’Italie (8 cas). Cet examen permet d’analyser l’étendue de la diffusion ainsi que sa spécificité. Dans certains cas, le contexte permet de supposer leur fonctionnalité: par exemple, le manuscrit de Saint-Denis (Paris, BnF, lat. 4628A) réunissant différents capitulaires et la Lex salica aurait été la possession d’un comte ayant la charge de missus, qu’il aurait exercée aux confins des territoires des Frisons et des Saxons.
La partie introductive propose d’intéressantes remarques sur la forme primitive des documents, telle l’absence fréquente de rubriques ou leurs variations dans la transmission. Très souvent les capitulaires ne portent aucune division textuelle. Pour rendre la plus grande objectivité à ces sources éditées, les éditeurs ont décidé à juste titre d’abandonner les titres attribués à ces capitulaires par leur premier éditeur, Boretius. Pour identifier les documents, ils ont retenu le numéro et la date.
Ils ont choisi de ne pas reprendre la description codicologique et paléographique des manuscrits (116 témoins en tout), qui aurait inutilement alourdi la partie introductive. Les lecteurs se référeront à celle d’Hubert Mordek publiée dans la sous-collection Hilfsmittel (nr. 15) des Monumenta Germaniae Historica, également disponible en ligne. Les données concernant les capitulaires sont également continuellement enrichies sur le site https://capitularia.uni-koeln.de/en/.
L’édition de chaque capitulaire est accompagnée d’une introduction qui résume le thème du document, argumente la datation, donne une liste des manuscrits, rappelle l’histoire de l’édition précédente et se termine par une courte bibliographie. Y sont également rappelés les titres attribués au capitulaire par ses précédents éditeurs. Certaines introductions intègrent les sources indirectes du document, notamment sa citation dans les chroniques et les annales (nr. 5).
Quant à l’édition des textes, sur les quelques échantillons vérifiés, mise à part la ponctuation, la nouvelle édition apporte peu de changement par rapport à Boretius. Toutefois le travail éditorial engagé est impressionnant. Le lecteur peut désormais profiter de la présence des leçons de tous les manuscrits dans appareil textuel, qui est facilement »lisible«. Il permet d’analyser aisément l’évolution du texte.
Le second niveau de l’appareil critique est notablement enrichi par l’identification des sources sur un large spectre. Si, dans l’édition de Boretius, il était modeste voire quasiment inexistant, la nouvelle édition nous fait découvrir l’évolution des capitulaires dans divers contextes, comme par exemple celui des autres lois et des conciles. Cet enrichissement permet aux historiens d’évaluer l’imprégnation des décisions des conciles carolingiens dans la législation royale. Dans ce même registre de l’appareil critique, les éditeurs ont également soigné l’herméneutique des aspects terminologiques, ceux de l’histoire politique et administrative des textes. Très minutieuses, ces précisions sont souvent accompagnées de références bibliographiques.
Pour conclure, la nouvelle édition de cette partie des capitulaires est un événement majeur dans l’étude de l’histoire législative et politique de l’époque carolingienne. Alors qu’ils semblaient déjà bien étudiés, elle ouvre de nouvelles pistes d’interprétation de ces capitulaires.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Kristina Mitalaitė, Rezension von/compte rendu de: Stefan Esders, Sören Kaschke, Britta Mischke, Steffen Patzold, Dominik Trump, Karl Ubl (Hg.), Fränkische Herrschererlasse 814–840, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2024, 2 Bde., CIX–823 S. (MGH Capit. N. S., 4), ISBN 978-3-447-11979-5, EUR 248,00., in: Francia-Recensio 2025/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.2.111089