Parmi les puissants du XVIIe siècle agrippés à la roue de la Fortune, l’électeur Frédéric V du Palatinat a certainement connu une des chutes les plus retentissantes, perdant d’un même coup sa couronne et ses pays – une image que les libelles du temps ne manquèrent pas d’employer pour moquer son échec. L’aventureuse entreprise de ce jeune prince calviniste, qui le conduisit à accepter la couronne de Bohême contre les Habsbourg, est bien connue: sa fin rapide en 1620, lors de la défaite de la Montagne Blanche, lui valut le sobriquet de »roi d’un hiver« (Winterkönig) et marqua le début de la guerre de Trente Ans. Elle força aussi le Palatin à trouver refuge à La Haye après deux années d’errance dans l’Empire.
C’est à cette période d’exil de la famille palatine, peu étudiée à ce jour,1 que s’intéresse ce petit volume issu d’un colloque organisé à Heidelberg en février 2020. Cette relégation alors singulière dans la société des princes dura près de trente ans: après la mort de Frédéric V en 1632, il revint à son héritier Karl Ludwig de lutter pour reprendre l’héritage perdu. Ce n’est qu’en 1648, avec la paix de Westphalie, que ce dernier récupéra l’électorat (une huitième dignité électorale fut créée à cette occasion) et une partie seulement des terres de son père, ravagées par des années de guerre. En se penchant sur les treize enfants de Frédéric V et d’Élisabeth Stuart – onze atteignirent l’âge adulte –, l’ouvrage propose d’étudier ensemble les trajectoires (Lebenswege) et les marges de manœuvre (Handlungsspielräume) des membres de la famille princière pour saisir l’expérience particulière de l’exil et de ses contraintes.
Divers aspects de l’exil sont ainsi abordés par les huit contributions rassemblées dans le volume. Dans un premier article sous forme de bilan, Ronald G. Asch interroge l’échec de la dynastie de Palatinat-Simmern au XVIIe siècle en détaillant les trajectoires des enfants de Frédéric V et le contexte de la défaite du »roi d’un hiver«, qui fut d’autant plus brutale que se brisaient avec elle les prétentions de sa maison à s’élever au rang royal et à unir les puissances réformées contre les Habsbourg. La stimulante contribution de Susan Richter montre justement comment le caractère dramatique de la déchéance obligea la famille palatine à déployer une stratégie pour transfigurer la condamnation à l’exil en un signe d’élection au sein la société des princes. À travers la peinture et le théâtre, la dynastie produisit ainsi un discours destiné d’abord à ses propres membres pour cimenter la solidarité familiale, mais aussi à l’extérieur pour défendre son identité. L’enjeu de la cohésion dynastique durant la période apparaît également à travers les conflits qui opposent parfois certains membres de la famille à Karl Ludwig, le nouveau chef de famille à partir de 1632, dont Michael Roth cherche à illustrer le rôle unificateur. Le champ d’action du nouveau dirigeant dynastique en exil demeure cependant étroit: son emprisonnement par Richelieu en 1639 pour l’empêcher de récupérer le commandement de l’armée de Bernard de Saxe-Weimar montre la fragilité de sa position, dépendante du soutien de quelques alliés (Florian Pfeiffer). Profitant des réseaux familiaux, trois de ses frères embrassèrent quant à eux la carrière des armes, une voie conforme à l’éthos princier, mais pleine de risques: Moritz et Philipp de Palatinat moururent jeunes et seul Ruprecht réussit à se hisser aux plus grands honneurs à la cour de Charles II d’Angleterre (Robert Rebitsch). Les trajectoires déviantes existent aussi. Tel est le cas du prince Édouard, dont la conversion au catholicisme en France fut certes décriée dans la famille palatine, mais lui permit de mener une carrière de courtisan – un choix dont Sven Externbrink montre qu’il n’était en rien dégradant. L’exil, enfin, laisse des traces durables encore après 1648. En témoignent les goûts architecturaux de Sophie du Palatinat, décrits par Klaus Niehr, ou encore la réinterprétation du sort de la dynastie palatine que firent certains auteurs au début de l’Aufklärung, illustrant le glissement des valeurs dans l’Allemagne du XVIIIe siècle (Indravati Félicité).
Des différentes contributions se dessinent ainsi plusieurs thèmes récurrents: l’importance de la cohésion familiale, ses vecteurs, ses limites et ses figures centrales, comme le chef dynastique Karl Ludwig, mais aussi la mère Élisabeth Stuart, dont le rôle de premier plan revient sans cesse. L’ouvrage souligne de manière attendue l’importance des réseaux familiaux et la mobilisation du »capital dynastique« (102–105, 154 note 86) par ses différents acteurs. La dispersion des membres de la famille en Europe permet ainsi de disséminer les relais des intérêts dynastiques: même la conversion au catholicisme du prince Édouard garantit finalement à son frère l’électeur un accès direct aux plus hauts cercles du pouvoir en France.
Les dimensions spatiales de l’exil et les problèmes de la distance entre les membres de la famille palatine ont moins retenu l’attention des auteurs. Les études les plus utiles au lecteur sont certainement celles qui privilégient la problématisation et l’analyse documentaire approfondies à la simple description: on peut parfois regretter à ce titre que le concept de »marge de manœuvre« au cœur du volume n’ait pas toujours donné lieu au travail de contextualisation qu’il laisse supposer pour être pleinement opératoire. Néanmoins, cet ouvrage, à la lecture plaisante, offre un bel aperçu de la richesse thématique que recouvre l’exil de la famille palatine, qu’il s’agisse du rôle des princesses, de l’analyse des réseaux, des stratégies symboliques ou encore de l’histoire des conversions. Il invite donc à des approches transversales et, comme le proposait justement son introduction, à une histoire comparée des exils princiers, élargie à l’étude des disgrâces nobiliaires à l’époque moderne.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Nathanaël Valdman, Rezension von/compte rendu de: Sven Externbrink, Susan Richter (Hg.), Königskinder. Exilerfahrungen und Lebenswege der Pfälzer Wittelsbacher im Europa des 17. Jahrhunderts, Heidelberg (Universitätsverlag Winter) 2024, 205 S. (Heidelberger Abhandlungen zur Mittleren und Neueren Geschichte, 28), ISBN 978-3-8253-4899-1, EUR 54,00., in: Francia-Recensio 2025/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.2.111327