En 1324, Ulrich III de Wurtemberg acquiert le comté de Horbourg et la seigneurie de Riquewihr en Alsace, marquant le début de l’expansion de la dynastie sur la rive gauche du Rhin. Ce volume, dirigé par Erwin Frauenknecht et Peter Rückert, est le catalogue de l’exposition organisée par le Hauptstaatsarchiv Stuttgart et la ville de Riquewihr à l’occasion du 700e anniversaire de cet évènement.1 Destiné à un large public, l’ouvrage se veut un signal de coopération entre la France et l’Allemagne, et met l’accent sur l’histoire commune de l’Alsace, du comté de Montbéliard et du Wurtemberg. Les contributions abordent les liens politiques et dynastiques, mais aussi les échanges religieux, artistiques ou économiques entre les deux régions afin d’esquisser une »histoire culturelle franco-allemande« (21). Dépassant les études historiques sur le Wurtemberg centrées sur le cœur du duché autour de Stuttgart, les auteurs questionnent à nouveaux frais le fonctionnement de cette mosaïque territoriale depuis ses exclaves occidentales.

Dans la première partie de l’ouvrage, les contributions retracent l’histoire des deux régions au Moyen Âge et à l’époque moderne. E. Frauenknecht analyse l’expansion des Wurtemberg sur la rive gauche du Rhin au XIVe siècle, et s’appuie sur deux actes inédits de 1328 pour détailler la prise de possession des terres de Horbourg et de Riquewihr. Il revient ainsi sur les arrangements territoriaux nécessaires au duc par rapport aux seigneurs voisins, et souligne comment la dynastie s’est implantée durablement en Alsace. Ces terres passent cependant au second plan après le mariage d’Eberhard IV avec Henriette de Montfaucon, seule héritière du comté de Montbéliard.

Les trois exposés suivants accordent une place majeure aux acteurs historiques, et plus spécifiquement aux membres de la maison princière, afin de comprendre les échanges entre les deux régions. Malgré leur caractère périphérique, les possessions alsaciennes et montbéliardaises constituent une réserve dynastique utile dans le cadre des divisions et réunifications des terres wurtembergeoises. Elles sont aussi un refuge comme le montre P. Rückert à travers l’exemple du duc Ulrich, contraint de s’installer à Montbéliard en 1519. Sur le chemin de l’exil, ce dernier adhère au mouvement de la Réforme et s’appuie sur ses exclaves occidentales pour diffuser la foi protestante dans le reste du duché. Avec sa biographie de Frédéric Ier (1593–1608), Wolfgang Mährle met en lumière l’apogée des liens entre le cœur du duché et la rive gauche du Rhin. Le duc cherche à consolider son ensemble territorial, et valorise ses possessions de l’Ouest auxquelles il est personnellement attaché. En confiant de nombreux projets au célèbre architecte Heinrich Schickardt, il mène dans ces terres périphériques une politique forte de représentation du pouvoir wurtembergeois. Cette dernière se perpétue au XVIIe siècle à travers la vie de cour que mènent les membres secondaires de la maison princière dans leurs résidences de la rive gauche du Rhin, comme en attestent les traces matérielles étudiées par Louis-David Finkeldei (63–78). Ce dernier revient également sur le rôle des conseillers du duc et des pasteurs en Alsace et à Montbéliard dans les exclaves de l’Ouest au XVIIIe siècle. Ces acteurs sont alors garants de la gestion administrative de ces terres, et constituent un relais important du pouvoir wurtembergeois.

Dans une perspective davantage thématique, les deux contributions suivantes abordent les échanges musicaux ou économiques – à travers l’exemple du vin – au sein des terres wurtembergeoises. En analysant la mobilité des musiciens au XVIIe siècle, Joachim Kremer montre notamment l’existence d’un espace culturel commun qui englobe le cœur du duché et ses périphéries, et plus largement le Rhin supérieur. Il souligne ainsi la nécessité d’appréhender l’histoire commune de ces deux régions en dépassant la seule perspective territoriale.

La dernière étude opère un bon dans le temps à travers les jumelages des villes des deux régions après la Seconde Guerre mondiale. Harald Schukraft insiste sur le poids des initiatives personnelles et de l’histoire partagée dans ces rapprochements, et confère une certaine actualité aux exposés précédents.

Le catalogue de l’exposition constitue la seconde partie de l’ouvrage et propose un commentaire et une reproduction systématique de très bonne facture des pièces présentées. Celles-ci sont très variées: documents d’archives, ouvrages, peintures, gravures, pièces de monnaie, éléments architecturaux (vues et plans anciens, photographies contemporaines) et objets tels que le portrait en cire du duc Georges II issu de son cabinet de curiosité. Cette diversité des supports répond à l’approche culturelle souhaitée par les porteurs de l’exposition.

Ce volume apporte de nouveaux éclairages sur la relation étroite entre le duché de Wurtemberg et ses périphéries alsaciennes et montbéliardaises. Il propose des pistes de réflexion fructueuses sur l’articulation à différents niveaux des possessions d’un ensemble territorial disparate, qui mériteraient d’être transposées à d’autres territoires sis de part et d’autre du Rhin comme le comté de Hanau-Lichtenberg, le duché de Deux-Ponts ou l’évêché de Strasbourg. L’ouvrage s’appuie sur de nombreux exemples précis et circonstanciés, ainsi que sur une bibliographie dense et d’actualité, très marquée par les études allemandes. Au rang des critiques, on peut souligner le peu de détails sur le passage sous souveraineté française des possessions wurtembergeoises en Alsace au milieu du XVIIe siècle, et ses conséquences sur les liens entre le cœur du duché et ses exclaves de Horbourg et de Riquewihr. Si l’ouvrage insiste sur le poids des acteurs historiques, on regrette aussi parfois la faible place accordée aux sujets du duc de Wurtemberg quant à leur perception ou leur rôle dans les relations entre les deux régions; un manque certainement dû à des sources lacunaires.

Dans la perspective de coopération franco-allemande revendiquée par les porteurs de l’exposition, la traduction systématique des exposés et du catalogue permet de toucher un large public et de pallier le manque d’études françaises consacrées aux possessions alsaciennes des Wurtemberg. Le volume constitue ainsi une synthèse originale et utile de l’histoire partagée entre Alsace, pays de Montbéliard et Wurtemberg, encourageant de nouvelles perspectives de recherche.

1 L’exposition s’est tenue à Stuttgart puis à Riquewihr entre mars et octobre 2024. Une visite virtuelle est disponible sur le site du Landesarchiv Baden-Wurtemberg: https://www.landesarchiv-bw.de/de/themen/praesentationen---themenzugaenge/76603.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Raphaël Tourtet, Rezension von/compte rendu de: Erwin Frauenknecht, Peter Rückert (Hg.), Württemberg und das Elsass: 700 Jahre gemeinsame Geschichte. L'Alsace et le Wurtemberg: 700 ans d'histoire commune, Ostfildern (Jan Thorbecke Verlag) 2024, 223 S., ISBN 978-3-7995-2069-0, EUR 20,00., in: Francia-Recensio 2025/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.2.111330