Issu de deux ateliers de recherche organisés à l’université LMU de Munich en 2021 et 2022 dans le cadre d’un projet de la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG), le volume coordonné par trois spécialistes de la littérature et des arts du Moyen Âge et de l’époque moderne, offre un aperçu du dynamisme de la Flugblattforschung en Allemagne. Supports d’information stratégiques de la première modernité, ces feuilles volantes imprimées d’une page et illustrées s’adressent d’abord à un public urbain. S’il s’agit d’un média »créatif, mouvant et parfois subversif« (20), d’une grande variété thématique et formelle et teinté ici d’une coloration protestante, il est marqué par une ambiguïté fondamentale: capable de faire circuler les nouvelles à grande échelle, il incarne par définition l’instabilité de l’information, celle de son contenu et celle de son support dans l’espace. Les moments de crise qui scandent la période – de la Réforme aux guerres ottomanes, en passant par la guerre de Trente Ans – font à la fois ressortir la fragilité du média et sa capacité à interroger sa propre fiabilité, autrement dit, à proposer une forme de critique médiatique. À ce titre, les feuilles volantes peuvent être considérées comme des »sismographes de l’histoire« (9 et 137). En posant la double question de la production de la confiance et du discours que le média fait porter sur lui-même, le recueil se veut une contribution à l’histoire sémantique (historische Semantik) de la notion de confiance (13–14).

Si la confiance possède une dimension affective, comme l’avaient souligné les travaux de et autour de l’historienne Ute Frevert, elle est ici appréhendée comme une »ressource interactionnelle« (16). L’ambition est moins de dessiner une évolution linéaire de la notion, mais d’interroger l’agencement entre ses formes interpersonnelles et institutionnelles, ainsi qu’entre une confiance »verticale« (celle portée en Dieu, selon Luther, serait la seule vraie confiance) et une confiance »horizontale« (celle que se vouent les hommes et les femmes entre eux). Le regard ne porte donc pas sur la distinction entre vérité et mensonge, mais sur les »stratégies langagières, médiatiques et performatives« (9) qui permettent à la confiance de se formuler, souvent d’ailleurs en opposition à la méfiance.

Mises en perspective par une introduction particulièrement bien menée, onze contributions scrutent les différentes »formes implicites et explicites de la confiance et de la méfiance« et leur »spécificité historique« (19). Elles sont regroupées en quatre ensembles thématiques. Le premier examine les modalités de production de la confiance sur le plan politique et juridique: Pia Fuschlberger met en évidence la démarche déployée au sein d’une feuille de la guerre de Trente Ans pour légitimer l’intervention de la Suède de 1630, et qui consiste à transposer sur le personnage de Gustave II Adolphe des motifs couramment utilisés pour produire de la confiance; Anna Axtner-Borsutzky et Herfried Vögel se penchent sur la mise en scène des figures du juge et de l’avocat et y décèlent les éléments rhétoriques visant à renforcer la confiance des sujets envers les autorités. La deuxième section aborde la confiance en matière économique, profondément ébranlée par l’instabilité monétaire du premier XVIIe siècle: dans son analyse très fine d’une série de feuilles accusant les agents du change de la dévaluation monétaire, Maximilian Bergengruen identifie les références au domaine diabolique comme une double remise en cause, celle des autorités et celle du média lui-même. Susanne Reichlin confronte deux façons de mettre en discours l’inflation des années 1620: tandis qu’une feuille s’alarme de l’effondrement de tous les repères, d’autres font commenter la crise par les monnaies elles-mêmes, stratégie littéraire qui ouvre à la confiance des voies nouvelles. Si la dimension réflexive du média transparaît en filigrane à travers le volume, la troisième partie l’envisage comme un support de choix de la critique médiatique, qui accompagne la montée en puissance de l’information imprimée. Michael Schilling observe le rôle structurant qui revient à la formule »Qui sait si c’est vrai« (»Wer weis obs war ist«) pour contrer la censure et le reproche de dire faux; en adoptant une posture sceptique vis-à-vis de son propre contenu, le jeune média contribue ainsi à forger l’idée d’une valeur propre de la fiction, élément fondateur du statut autonome de la littérature au sens moderne du terme. En dressant le »paysage d’information inter-médiatique« à l’échelle européenne, Paola Molino expose les enjeux de la circulation des nouvelles à travers les frontières linguistiques. Dans son étude d’une feuille publiée en plusieurs versions entre 1632 et 1636 pour dénoncer les ravages de la guerre, Daniel Bellingradt dissèque les ressorts de la critique médiatique à travers l’analyse du procédé visuel et textuel de l’exagération, qui prend ici la forme d’un violon géant et de sa résonance aussi démesurée: course à l’actualité, crédulité vis-à-vis de ce qui fait (du) bruit, voici des motifs communs par la suite, pour pointer les dangers de l’essor de la presse périodique. La section s’achève par la contribution de Romana Kaske, qui montre comment l’appel à la méfiance lancé par une feuille anti-jésuite, fait du support un véritable »détecteur de mensonges« (»Lügendetektor«, 178) et, de là, une instance de contrôle de la véracité de l’information. La dernière partie est consacrée aux stratégies de (dé)légitimation de la confiance: à travers une approche sémantique, Maximilian Kinder retrace dans quelques feuilles du XVIe siècle, les contours d’une notion de véracité spécifiquement médiatique. Inci Bozkaya prend pour objet l’ambiguïté même du média telle qu’elle se décline dans une figure symbolique (Sinnbild), une dispute (Streitgespräch) et une allégorie du XVIe siècle; le traitement de la confiance y sert différents desseins, mise en garde morale, appel à raffermir son jugement, invitation à l’examen de soi. Christopher Bonura vient clore le parcours pour examiner la mise en scène de l’autorité médiatique dans une prophétie allemande-latine au sujet du siège de Vienne de 1683; il propose aussi de réapprécier la provenance de son contenu, puisé dans un traité ottoman du XVe siècle et réadapté pour l’occasion.

Le riche volume se place dans le champ des Kulturwissenschaften, qui se proposent d’interroger les productions culturelles dans leurs dimensions sociale, matérielle et symbolique. En raison de leur complexité, les feuilles volantes se prêtent toujours à plusieurs interprétations, qui se négocient au sein d’un processus de communication »multimédia« (Bellingradt, 152), difficile à saisir toutefois au sein du support. Fugace autant qu’affable et volubile, susceptible de porter un regard critique sur lui-même, ce premier média imprimé sait traduire l’expérience d’incertitude fondamentale qui caractérise l’époque, et qui n’est pas sans rappeler certains traits de la nôtre. Les contributions offrent ainsi des éclairages stimulants sur la possibilité même de »faire confiance« lors de moments de sa remise en cause des plus virulentes.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Ulrike Krampl, Rezension von/compte rendu de: Pia Fuschlberger, Romana Kaske, Susanne Reichlin (Hg.), Seismographen der Krise. Vertrauen und Misstrauen in frühneuzeitlichen Flugblättern, Stuttgart (Franz Steiner Verlag) 2024, 244 S., 5 s/w. Abb., 32 farb. Abb. (Jahrbuch für Kommunikationsgeschichte. Beiheft, 1), ISBN 978-3-515-13572-6, EUR 49,00., in: Francia-Recensio 2025/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.2.111331