Docteur en histoire, membre de la Société des antiquaires de Normandie, Nicolas Homshaw se passionne, entre autres, pour l’histoire de la branche aînée des Matignon. À ce titre, il nous donne une biographie de l’une de ses plus remarquables figures: Jacques III Goyon de Matignon. La famille Goyon de Matignon est née de l’union, à la fin du XIIe siècle, d’Étienne Goyon et de Luce de Matignon. Durant la seconde phase de la guerre de Cent Ans, Jean Goyon, seigneur de Matignon (ca. 1383–1450), se distingue au service du roi de France et épouse Marguerite de Mauny, héritière de la seigneurie de Torigny. Le marié vient s’installer en Normandie où ses descendants continuent de se distinguer au service du roi poursuivant un but: celui d’accroître leur dignité.

Fils de François de Matignon et d’Anne de Malon de Bercy, Jacques III naît le 28 mai 1644. Huitième de douze enfants, il est logiquement destiné à la cléricature afin de ne pas disperser le patrimoine. Il ne choisit pourtant pas le presbytérat mais l’ordre de Malte où il part faire ses premières armes. Il poursuit sa carrière militaire dans les armées du roi, porte le guidon de la gendarmerie de France, et devient maître de camp du régiment de cavalerie du roi suite à la démission de son frère Henri. Ce dernier ayant perdu ses fils, Jacques est relevé de ses vœux pour épouser sa nièce, Charlotte de Matignon. En 1677, il reçoit la survivance de la charge le lieutenant général du roi en Basse-Normandie et de gouverneur de plusieurs places que détenait son père.

A la mort d’Henri, il reçoit l’essentiel des biens de la famille, tandis qu’une autre partie revient à Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay qui a épousé Thérèse de Goyon de Matignon. Ledit marquis sera toujours un ferme soutien de son beau-frère. Dans le même temps, il poursuit tant sa carrière militaire que celle de courtisan. En 1680, il est nommé »gentilhomme d’honneur« du grand dauphin. Commandeur de l’ordre du Saint-Esprit en 1688, il gravite dans l’entourage du roi. Invité occasionnellement à Marly, le comte de Torigny invite les beaux esprits en sa demeure qu il embellit, en 1692, d’une aile qui subsiste toujours. En 1694, il est créé lieutenant général des armées du roi; cette nomination marque le point final de sa carrière militaire. Ses intérêts sont ailleurs, sa recherche de dignité implique une élévation dans la hiérarchie nobiliaire mais pour cela, il lui faut de l’argent et accroitre le nombre de ses seigneuries voire en acquérir auxquelles sont liées un titre: duché, duché pairie où une principauté.

De fait, il ne suffit de briller aux armées et à la cour: il faut aussi avoir les moyens de ses ambitions. À ce jeu, Jacques III se montre se révèle un redoutable homme d’affaire. Il vend et achète afin d’augmenter ses revenus. Il acquiert la seigneurie de Condé-sur-Noireau, la seigneurie d’Yvetot-Bocage, la baronnie de Saint-Lô tenue par Léonor de Matignon, évêque-comte de Lisieux, son frère aîné, vend à réméré à son frère cadet, Charles-Auguste, la châtellenie de Matignon qu’il rachète en 1698. S’il s’enrichit, il doit aussi faire face à des adversaires plus ou moins coriaces. Entre 1697 et 1701, il doit batailler contre à un faussaire du nom de Jean Dupont qui réclame, par droit de succession, un ensemble de terres que le plaignant estime à environ 600 000 livres. L’affaire se termine par le gibet pour le faussaire mais le comte de Torigny est aussi en procès, au tournant du siècle, pour d’autres terres correspondant mieux à ses ambitions: les principautés de Neufchâtel (Suisse) et d’Orange.

En ce domaine, le succès n’est guère au rendez-vous. Il faut d’ailleurs souligner que l’auteur détaille précisément les différents tenants et aboutissants des diverses procédures. Dans le premier cas, elles sont liées à la succession de la dernière représentante d’Orléans-Longueville, Marie d’Orléans, duchesse de Nemours, morte en 1707. Il est débouté, en 1713 de toutes ses prétentions. Dans le second cas, il s’agit de remettre en cause la cession de la principauté d’Orange obtenue par le roi du prince de Conti, alors seigneur du lieu, en discutant une succession vieille de plus d’un siècle. Le traité d’Utrecht met fin à tous ses espoirs: la principauté d’Orange disparaît. Son seul succès notable, en la matière, est d’obtenir le duché d’Estoutville que Marie d’Orléans avait donné à Henri légitimé de Bourbon en 1694. Pour y arriver, le comte de Torigny n’hésite pas à désintéresser ses concurrents et l’emporte en 1712, sans pour autant pouvoir relever le titre ducal recherché.

L’élévation dans la noblesse de sa famille, Jacques III l’obtient enfin, non pas en sa faveur mais en faveur de son fils, Jacques-François-Léonor. Il réussit à marier ce dernier à Louise-Hyppolite, fille d’Antoine Ier, prince de Monaco, duc de Valentinois et pair de France. Ce dernier n’a pas d’héritiers mâles mais de nombreuses dettes. Sous la protection de Michel de Chamillart et du maréchal de Villeroy, Jacques III obtient l’assentiment du roi, le contrat de mariage est passé en 1715. L’année suivante, le roi confirme au jeune marié, par substitution, le titre de duc de Valentinois et pair de France. En 1731, Henri Ier meurt sans héritier mâle, Jacques-François-Léonor Grimaldi devient prince de Monaco. Le comte de Torigny, mort en 1725 probablement d’une pneumonie aigüe, n’a pas vu l’aboutissement de ses espérances mais il lui laisse, entre autres, à Paris, ce qui devient l’hôtel Matignon acheté le 25 juillet 1723 au prince de Trungy.

Outre la préface signée du prince Albert II de Monaco, descendant direct de Jacques III de Matignon, l’auteur s’est livré à un méticuleux travail de recherches présentant toutes les qualités scientifiques requises. Il est à noter l’importance des pièces annexes comportant la transcription des principaux actes ayant servi à la rédaction de cette étude. Un petit bémol doit pourtant être signalé: des paragraphes pouvant atteindre plusieurs pages.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Eric Barré, Rezension von/compte rendu de: Nicolas Homshaw, De Torigny à Monaco, un gentilhomme bas-normand en quête de dignités: Jacques III Goyon de Matignon (1644–1725), Saint-Lô (Société d’archéologie et d’histoire de la Manche) 2025, 241 p. (Etudes et documents, 47), ISBN 978-2-9513290-5-8, EUR 22,00., in: Francia-Recensio 2025/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.2.111335