Les îles Anglo-Normandes se situent face aux côtes de Bretagne et de la Normandie continentale. Elles sont des parcelles de l’ancien duché de Normandie, et leurs habitants sont aujourd’hui les très fidèles sujets de Sa Majesté britannique. Cette situation stratégique place l’archipel sous la menace constante de la France jusqu’à la Première Guerre mondiale. Cet état de fait est à l’origine d’un colloque qui s’est tenu à Aurigny, il y a quelques années où les participants se sont intéressés aux îles Anglo-Normandes dans les relations franco-anglaises entre 1689 et 1918. Si la seconde date n’a pas besoin d’être présentée, la première nécessite quelques explications. Neutralisé en 1480 suite à une bulle de Sixte IV, l’archipel est, au siècle suivant, placé dans une situation délicate par la réforme. En 1689, le souverain britannique, Guillaume III décide de mettre fin au statu quo alors que son royaume entre en guerre avec la France. De ce fait,il convient alors de veiller de plus près à la sécurité des îles.
Dans l’introduction, le professeur Andrew Lambert replace les îles Anglo-Normandes dans un cadre d’ensemble qu’il convient de suivre afin de mieux saisir le travail accompli. Pour les Britanniques, la Manche est mer anglaise. Sa frontière, au sud, s’établit aux côtes de France. Les îles présentent de ce fait un intérêt stratégique certain afin de surveiller les côtes de Bretagne et de Normandie ou pour couper les liaisons françaises entre le port de Brest et celui du Havre. La méfiance anglaise est de mise: les Français pourraient chercher à s’emparer de l’archipel. Le doute est d’autant plus fort lorsque les relations entre les deux pays se tendent régulièrement allant jusqu’à la guerre et, bien plus encore, lorsque le royaume de France entame la construction d’un port de guerre à la fin du XVIIIe siècle à Cherbourg, travaux poursuivis tout au long du XIXe siècle. De fait, les îles s’avèrent un point de départ utile pour mettre hors d’état de nuire cette nouvelle menace.
En temps de paix, les îliens vivent du commerce maritime, de la pêche et de la contrebande, en temps de guerre de la course et de la contrebande. Lors des guerres allant de la fin du XVIIe siècle au début du XIXe siècle, les différents conflits font des îliens de redoutables corsaires pouvant nuire aux ports voisins de Granville et de Saint-Malo. Dans le cas de Granville, le nombre de prises enregistrées sur les îles Anglo-Normandes ne dépasse pas le nombre de treize. Ce maigre résultat est probablement lié à deux mondes qui se retrouvent en temps de paix dans la contrebande. Par contre, les corsaires des îles présentent un intérêt pour la couronne britannique: leur nombre et leur faible tonnage servent d’épouvantail contre les navires hollandais neutres, contraignant ces derniers, durant la guerre de Sept-Ans (1754–1763), à ne plus transporter de marchandises françaises dans leurs câles.
L’intérêt de la Grande-Bretagne pour la protection des îles apparaît tout au long du XVIIIe siècle. Au début du siècle, le gouvernement anglais se contente d’y envoyer des navires de guerre et des troupes lorsqu’une menace d’invasion se fait sentir. La guerre d’Indépendance américaine à partir de 1776, conduit à un changement. Les patrouilles maritimes de la Royal Navy sont multipliées et des renforts sont envoyés pour épauler les milices locales. La construction de tours destinées à renforcer les défenses côtières est entamée. Ces précautions s’avèrent utiles. En 1779, une première tentative française de débarquement à Jersey est un échec. Le renforcement des fortifications est poursuivi. Pourtant les îles présentent peu d’intérêt par elles-mêmes. Stratégiquement, elles sont une pièce importante dans la défense de la Manche et des approches maritimes à l’ouest des îles Britanniques.
Dans cet ordre d’idée figure la naissance de notion d’eaux territoriales. Les côtes d’Aurigny sont parfaitement visibles du cap de La Hague, le risque de conflit devient une réalité mais pas autant que les problèmes entre les pêcheurs de l’archipel et ceux du continent. Leurs querelles culminent avec la guerre des huîtres, en 1821. Un premier accord intervient l’année suivante mais il faut attendre 1839 pour que le premier traité franco-anglais fixant les zones de pêche dans la baie de Granville soit signé. Dans le même temps, des travaux hydrographiques sont entrepris afin de mieux connaître le golfe Normano-Breton. À compter de 1813, ils sont l’œuvre du côté britannique, du capitaine Martin White, et du côté français, à partir de 1829, ils sont réalisés par Charles-François Beautemps-Beaupré. Ces travaux sont non seulement utiles pour le commerce et la pêche mais aussi pour la défense des côtes de part et d’autre des côtes de la Manche.
De plus, les îles Anglo-Normandes se trouvent mêlées au tourbillon de la pensée stratégique et des gouvernements tant français que britanniques. Du côté anglais, celle-ci aboutit à la mise en place de quatre ports de sureté dans la Manche: Portland et Douvres, au nord, la pointe Sainte-Catherine, à Jersey, et le port de Braye-Bay, à Aurigny, au sud. Leur but est de disposer de ports de refuge pour les navires marchands, de point d’appui à la défense voire à l’offensive maritime. Les travaux débutent dans les années 1845 et s’accompagnent, pour Aurigny, de la construction de forts terminées en 1856. Durant cette période, cette dernière voit sa population croître et connaît une prospérité certaine. Malgré cela, un certain nombre de problèmes se posent: les plans initiaux sont remis en question par le gouvernement de Sa Majesté et la nature s’en mêle. Le port de Sainte-Catherine est abandonné car la construction de la première jetée modifie les courants ensablant le site. À Aurigny, une seule jetée est établie mais celle-ci est attaquée en permanence par le courant et les tempêtes. Malgré cela, des travaux de réparations sont réalisés pour maintenir le port de Braye-Bay en état et des torpilleurs britanniques y stationnent en période tension avec la France.
L’Entente cordiale de 1904 entame à peine la méfiance réciproque en la matière et il faut attendre la Première guerre mondiale pour y mettre fin. Durant celle-ci, la Marine française assure la sécurité de la navigation du golfe Normano-Breton et lutte contre les sous-marins allemands qui pourraient s’infiltrer. Pour cela, la France dispose, entre autres, à partir de 1917, d’une base d’hydravions à Saint-Pierre-Port mettant ainsi un point final à plusieurs siècles d’insécurité latente pour les îles Anglo-Normandes. Pour conclure, cette publication constitue un travail scientifique de qualité, appuyé par une solide bibliographie et un index qui est toujours le bienvenu.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Éric Barré, Rezension von/compte rendu de: Colin Partridge, Jean de Préneuf, Andrew Lambert (ed.), The Channel Islands in Anglo-French relations, 1689-1918, Woodbridge (The Boydell Press) 2024, 293 p., 11 col., 7 b/w fig., ISBN 978-1-78327-655-4, GBP 80,00., in: Francia-Recensio 2025/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.2.111345