L’histoire aussi a une histoire! Cela vaut également pour une institution aussi prestigieuse que les Monumenta Germaniae Historica (MGH), dont la devise, d’ailleurs, »Amor patriae dat animum« (L’amour de la patrie donne une âme), ne cache pas que l’histoire peut servir un but politique. C’était particulièrement vrai lors de la période nazie, au cours de laquelle les MGH, rebaptisés Reichsinstitut für ältere deutsche Geschichtskunde, furent comme l’ensemble de la société allemande confrontés au régime. Mais si les années 1935–1945 sont au cœur du présent volume, c’est une histoire plus large de l’institution qui est prise en compte, de 1919 à 1959. 1919 est l’année d’un nouveau et difficile départ pour l’Allemagne mais, en l’occurrence, c’est surtout celle de l’arrivée de Paul Fridolin Kehr à la direction des MGH. Quant à 1959, c’est la date de la fin du mandat présidentiel de Friedrich Baethgen.
Le volume commence par la présentation de deux recherches qui ne concernent pas les MGH, mais montrent bien l’utilité des travaux évoqués ici. Werner Tschacher revient sur le scandale »Schwerte«, ainsi appelé selon le faux nom »Hans Schwerte« porté par un ancien recteur de la Rheinisch-Westfälische Technische Hochsschule dont on découvrit, en 1995, le rôle important qu’il avait joué, sous son vrai nom (Hans Ernst Schneider), dans les instances culturelles de la SS, dont le »Ahnenerbe«. Les historiens d’Aix-la-Chapelle ont entrepris de créer une base de données sur les dignitaires de leur université de 1870 à 2003; le plus navrant est de constater que l’université ne soutient que mollement leurs efforts. L’histoire de l’édition de textes est évidemment liée à celle des archives. Mais celle-ci est loin d’être suffisamment connue, comme le déplore Sven Kriese, qui relève malgré tout, depuis un demi-siècle, des progrès en la matière: naissance d’une histoire des institutions archivistiques, attention portée à la période nazie, intégration de l’histoire des archives dans une histoire des administrations. Ce sont des biographies d’archivistes et des travaux sur les méthodes archivistiques qui sont maintenant attendus.
Herbert Zielinski, qui prépare l’édition de la correspondance entre Paul Kehr et Harry Bresslau (quelques lettres sont éditées en annexe de son article), montre comment ces deux »monstres sacrés« de l’érudition allemande ont, après la nomination en 1919 du premier à la tête des MGH à la grande déception du second, réussi à collaborer malgré de nombreuses différences, et ont ainsi assuré la survie d’une institution fragilisée par des décès et plus encore par la très difficile situation financière de l’Allemagne d’après-guerre: amor Monumentorum dat amicum, aurait-on pu dire, l’amour des Monumenta donne un ami.
La correspondance d’Ernst Kantorowicz et Lucy von Wagenheim dans les années 1930 permet de connaître les relations entre ce dernier, biographe de Frédéric II et plusieurs membres de l’équipe des MGH, y compris Paul Kehr (Eckhart Grünewald). Candidatant en 1948 à la direction des MGH, Friedrich Baethgen mit en avant son éloignement avec le nazisme. Pas à tort, et il avait beau jeu face à son challenger Theodor Mayer, mais il a joué aussi de l’ambiguïté de la place de la droite nationaliste, en particulier le DNVP (Deutschnationale Volkspartei) dans le régime nazi: hors du parti, certes, mais en partageant certaines idées comme l’expansion vers l’est. Mais Baethgen était habile et sut activer de nombreux réseaux (Arno Mentzel-Reuters).
Martina Hartmann s’est intéressée aux liens entre deux médiévistes de talent, Theodor Mayer, mais surtout Percy Ernst Schramm, avec le mouvement nazi. Non que Schramm ait été davantage compromis que Mayer. Mais après avoir servi comme historien (il écrivit notamment, sur demande, une note sur les systèmes médiévaux de succession après la mort d’un dirigeant) et chroniqueur (au journal des marches et opérations, le Kriegstagebuch des Oberkommandos der Wehrmacht), il poursuivit son travail scientifique après la guerre, revendiquant – de manière très exagérée – un simple rôle de technicien de l’histoire. Si, vers la fin de sa vie, il reconnaissait que son comportement pouvait être condamnable, il n’a cependant jamais pris de distance claire avec son passé.
Ce livre est une belle contribution à une thématique qui réserve sans doute encore de nombreuses recherches. Peut-être y aurait‑il de la place en France pour davantage d’études similaires, sur les liens éventuels des historiens universitaires avec le régime de Vichy.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Maximilian Becker, Martina Hartmann, Annette Marquard-Mois (Hg.), Menschen und Strukturen. Annäherungen an eine MGH-Geschichte 1919 bis 1959. Beiträge der Tagung im Oktober 2023 in der Akademie für Politische Bildung Tutzing, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2024, XIV–282 S., 23 Abb. (Monumenta Germaniae Historica – Studien zur Geschichte der Mittelalterforschung, 3), ISBN 978-3-447-12288-7, EUR 68,00., in: Francia-Recensio 2025/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.3.112749





