Depuis l’ouvrage qu’il a consacré en 1981 à la redécouverte du »Girondin allemand« Konrad Engelbert Oelsner (1764–1828), Klaus Deinet (1951–2024) a interrogé, dans le sillage de François Furet, le rejeu par les gauches françaises, entre les »Trois Glorieuses« et la Commune de Paris, d’une Révolution »mimétique«.1 Il s’est ensuite fait le biographe de Napoléon III2, puis de Napoléon Bonaparte et de sa légende.3 Sa dernière biographie, ambitionne, quant à elle, de retracer la vie du dernier roi des Français, Louis‑Philippe Ier, et de cerner les caractéristiques politiques d’une monarchie »nationale« qui, née des barricades de 1830, s’effondre brutalement en 1848, contraignant le »roi bourgeois« à l’exil en Angleterre où il trouve la mort le 26 août 1850 à Claremont. L’objectif du livre de Klaus Deinet n’est évidemment pas de réhabiliter Louis‑Philippe, mais de réévaluer l’importance de son règne dans l’histoire du dix-neuvième siècle français et européen, en livrant de celui-ci une biographie intime qui, chez le fils aîné du premier prince du sang, né en 1773 sous l’Ancien Régime, est aussi politique.
Prenant appui essentiellement sur les biographies existantes, en particulier celle de Guy Antonetti (1994), et sur les mémoires des contemporains de Louis-Philippe, le livre prend en compte les travaux historiographiques les plus récents sur la monarchie de Juillet. Il se décompose assez classiquement en deux parties principales: la première, »Une vie entre les révolutions«, retrace l’existence du prince, de sa naissance au sein de la dynastie des Orléans, jusqu’aux derniers moments de la Restauration, en 1830; la seconde, intitulée »Louis-Philippe – le roi de Juillet«, logiquement plus développée, est en même temps une histoire du règne, fondée sur une périodisation qui permet d’appréhender les difficultés de ses débuts, la succession des crises qui remettent en cause sa consolidation et les raisons qui, en 1848, précipitent sa disparition.
L’attention de Klaus Deinet porte dans un premier temps logiquement sur la maison des Orléans, placée vis-à-vis de la dynastie régnante dans une double position de sujétion et de rivalité (incarnée en particulier par le père de Louis-Philippe) et qui s’en distingue notamment par l’éducation rigoureuse dispensée au prince par Madame de Genlis, selon des méthodes pédagogiques »modernes« qui ont en partie façonné sa personnalité. Spectateur circonspect de la Révolution, dont il embrasse les principes en réprouvant les violences, Louis-Philippe, prince jacobin, combat à Valmy comme à Jemappes, mais finit, après l’exécution de Louis XVI, votée contre son avis par son père, par émigrer, d’abord en Belgique avec Dumouriez, puis en Suisse, où il joue, à Reichenau, au professeur. Cette émigration, qui le mène en Amérique du Nord et à Cuba, constitue dans la trajectoire de Louis-Philippe une expérience décisive, et le conforte dans la conviction que le redressement de la France exige de pérenniser les principes fondamentaux de la Révolution, moins les excès de la Terreur. Entré au service de l’Angleterre où il s’installe à partir de 1800, Louis-Philippe y opère une réconciliation – tout au moins de façade – avec la branche aînée, échafaude des plans d’invasion de la France impériale et, en 1809, faute d’avoir pu épouser Élizabeth de Hanovre, la fille de Georges III, convole à Palerme avec Marie‑Amélie, princesse des Deux‑Siciles – une union aussi heureuse que féconde.
Cantonné, durant la première et la seconde restauration, au rôle d’»éternel prétendant au trône« (88), le duc d’Orléans s’emploie d’abord, de 1814 à 1830, à restaurer sa fortune et à embellir ses domaines, tout en cultivant, de façon consciente et délibérée, sa différence avec la branche aînée et l’entourage honni de leurs courtisans. Le Palais-Royal s’impose, à ce titre, comme le contre-modèle »ouvert«, si ce n’est progressiste, de la cour des Tuileries: les Orléans peuvent dès lors constituer une alternative dynastique qui rende possible de réconcilier la monarchie et les principes de la Révolution, et les »Français avec eux-mêmes« (267). L’éclatement des »Trois Glorieuses«, provoquée par le coup d’État monarchique contre lequel Louis-Philippe a vainement essayé de mettre en garde Charles X, transforme cette option orléaniste en réalité, la révolution de 1830 inaugurant le règne du »roi des barricades« en accouchant d’un nouveau régime qui devait durer dix-huit ans: la monarchie de Juillet, tricolore et patriote, avec, à sa tête, le duc d’Orléans devenu, enfin, Louis-Philippe Ier, roi des Français.
Klaus Deinet consacre à l’étude de la monarchie de Juillet la seconde partie de son livre, forcément plus longue que la précédente. Embrassant une périodisation pertinente de son histoire politique, cette étude décrit à la fois le régime, ses évolutions et ses contradictions, de ses débuts, difficiles, jusqu’à son effondrement en 1848. Ce dernier intervient au terme d’un processus de délitement dont Deinet estime qu’il résulte de l’incapacité de Louis-Philippe et des orléanistes à permettre l’intégration des classes les plus défavorisées dans un consensus social fondé, certes, sur un »besoin de permanence« et la promotion du mérite national, mais par trop inégalitaire et incapable d’élargir le corps électoral, soit par une réforme, soit par l’abrogation pure et simple du vote censitaire.
Attentif à rendre compte aussi bien de la politique étrangère de la monarchie de Juillet qu’aux crises qu’elle a dû surmonter, Deinet retrace, avec rythme et précision, les évolutions politiques et sociales du régime, et brosse le portrait intime et nuancé d’un »roi actif«, qui permit à la France de rester, bien qu’en probation, »une grande puissance« (269). L’appréciation finale que porte son biographe sur le roi des Français témoigne de l’acuité du premier et explique, en partie, la longévité politique du second: »Ce n’était ni un héros ni un visionnaire, pas même un homme qui aimait prendre des risques, mais un homme courageux, sur lequel on pouvait compter.« (271).
Stimulante et lucide, la biographie de Klaus Deinet fait justice des clichés trop souvent associés à Louis-Philippe et à la monarchie de Juillet, inscrivant le roi et son régime dans une histoire politique de la France post-révolutionnaire. Une prise en compte plus approfondie de la cour orléaniste aurait pu toutefois être bienvenue, et le sous-titre de l’ouvrage – »Le dernier des Bourbons« – n’est hélas pas le plus judicieux.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Thibaut Trétout, Rezension von/compte rendu de: Klaus Deinet (Hg.), Louis-Philippe. Der Letzte der Bourbonen, Stuttgart (Kohlhammer) 2023, 292 S. (Urban-Taschenbücher), ISBN 978-3-17-042080-9, EUR 28,00., in: Francia-Recensio 2025/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.3.112784





