En février 2022, à l’université de la Sarre, à l’occasion de son 60e anniversaire, d’anciens et actuels doctorants et post-doctorants, ainsi que des étudiants et collaborateurs du professeur Dietmar Hüser, ont présenté leurs travaux scientifiques. Les contributions rassemblées dans cet ouvrage, issu de cette conférence, illustrent l’étendue des domaines de recherche appréhendés dans une perspective transnationale. C’est également l’occasion d’une mise au point sur les perspectives historiographiques de l’histoire contemporaine transnationale, caractéristique du parcours scientifique de Dietmar Hüser.

L’histoire contemporaine, définie par Hans Rothfels comme »l’époque des contemporains et son traitement scientifique«1,s’est imposée en Allemagne de l’Ouest à partir des années 1950. Elle se distingue comme discipline universitaire dès 1945, avec la création de l’Institut de recherche sur la politique nationale socialiste (Institut zur Erforschung der nationalsozialistischen Politik) à Munich en 1949, devenu en 1952 Institut d’histoire contemporaine (Institut für Zeitgeschichte). Longtemps centrée sur l’événementiel, la discipline s’ouvre dans les années 1970 à l’histoire sociale et structurelle, puis à l’histoire culturelle dans les années 1980–1990. Les historiens s’intéressent alors aux transferts socioculturels, à l’américanisation, à l’occidentalisation et à l’européanisation, dépassant les paradigmes nationaux pour adopter une perspective transfrontalière.

Les perspectives transnationales font désormais partie du répertoire courant des sciences historiques. La recherche en histoire contemporaine, en particulier, s’effectue désormais de plus en plus au-delà des cadres nationaux établis. Les auteurs de l’ouvrage tiennent compte de cette exigence en prenant l’Europe occidentale comme référence centrale – selon un mouvement débuté dans les années 1990 – non comme simple addition d’histoires nationales, mais comme espace de transferts et d’échanges complexes. L’Europe reste cependant une construction spatiale et conceptuelle mouvante, aux contours variables selon les contextes et les chercheurs et chercheuses. L’histoire contemporaine européenne et transnationale mobilise diverses méthodes: comparaison historique,2 transfert culturel,3 histoire croisée4 et comparaison culture-transfert.5 La chaire de Dietmar Hüser à Sarrebruck, depuis 2013, incarne cette orientation transnationale, centrée sur l’Europe occidentale (France, Allemagne, Espagne, Luxembourg, Belgique, Italie) et les interdépendances globales, notamment transatlantiques.

Les contributions portent sur trois axes principaux: politique et société, culture populaire, et sport (notamment le football). Elles explorent les cultures politiques, les structures partisanes, l’intégration européenne, la politique de la mémoire, ainsi que la circulation et l’appropriation des cultures populaires, avec un accent sur les années 1960.

Dans la partie »Politique et société« (»Politik & Gesellschaft«), Gwendolin Lübbecke analyse le Palais de la Porte Dorée à Paris comme  »double lieu de mémoire«, illustrant l’évolution de la mémoire française du colonialisme et de l’immigration. Melanie Bardian étudie la Sarre comme enjeu de diplomatie culturelle américaine après 1945, montrant la création de la bibliothèque germano-américaine pour promouvoir l’intégration européenne. Katrin Gross et Jürgen Dierkes examinent les jumelages de villes entre RFA, RDA et France, soulignant le rôle de la société civile et les différences d’objectifs: valorisation pour la RDA, échanges pour la RFA. Sarah Alyssa May s’intéresse aux attitudes eurosceptiques lors des premières élections européennes de 1979 dans la presse franco-allemande. Étienne Dubslaff retrace le parcours des sociaux-démocrates du SDP/SPD en RDA, qui a rapidement contesté le régime du SED; il montre que, malgré la reconnaissance à la Table ronde centrale (Zentraler runder Tisch) de décembre 1989, la génération fondatrice a été marginalisée après la fusion avec le SPD ouest-allemand.

Dans la deuxième partie, »Culture populaire« (»Populärkultur«), Jasmin Nicklas propose un concept d’analyse historique du »culte« pour étudier la circulation transnationale des phénomènes de masse (séries, technologies, football). Lukas Schaefer analyse le rôle du cercle »Filmkritik« dans la modernisation du cinéma ouest-allemand, en s’appuyant sur la Nouvelle Vague française et les réseaux européens de critiques. Maude Williams étudie les transferts musicaux entre RFA et France dans les années 1960 et la forte diffusion d’artistes français en Allemagne, mais la difficulté inverse pour les artistes allemands en France. Ann-Kristin Kurberg s’intéresse à l’impact des émissions télévisées transfrontalières (»Spiel ohne Grenzen«, »Europarty«) sur la réconciliation entre France et Allemagne, soulignant leur rôle dans l’intégration européenne et la persistance de stéréotypes.

Enfin dans la dernière partie, »Sport«, Bernd Reichelt décrit la culture footballistique entre Metz et Neunkirchen avant 1914, marquée par la professionnalisation et l’internationalité, et rappelle le rôle pionnier de Walther Bensemann. Daniel Kazmaier analyse la médiatisation du Tour de France, montrant que le cyclisme devient sujet littéraire et que des coureurs comme Guillaume Martin deviennent écrivains. Ansbert Baumann interroge la nationalité des sportifs à travers Edmond Haan, Alsacien devenu international français après avoir perdu sa nationalité allemande. Alexander Friedman élargit la perspective à la région Saar-Lor-Lux, étudiant la réception du football luxembourgeois par l’URSS et la RDA, qui utilisaient ces matchs à des fins de propagande. Philipp Didion retrace enfin l’engagement politique et sportif d’Adolf Müller-Emmert, député SPD, qui a utilisé le sport comme vecteur d’intégration européenne et de rapprochement international.

En s’appuyant sur les paradigmes de recherche établis, les contributions de cet ouvrage doivent donner un nouvel élan à la recherche transnationale sur les phénomènes historiques contemporains, tout en soulignant l’apport de Dietmar Hüser à cette dynamique scientifique.

1 Hans Rothfels, Zeitgeschichte als Aufgabe, dans: Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte 1 (1953), 2.
2 Hartmut Kaelble, Der historische Vergleich. Eine Einführung zum 19. und 20. Jahrhundert, Francfort-sur-le-Main 1999.
3 Michel Espagne, Les transferts culturels franco-allemands, Paris 1999.
4 Michael Werner, Bénédicte Zimmermann, Vergleich, Transfer, Verflechtung. Der Ansatz der Histoire croisée und die Herausforderung des Transnationalen, dans: Geschichte und Gesellschaft 28 (2002), 607–636.
5 Dietmar Hüser, Kultur-Transfer-Vergleich – Zur Amerikanisierung in Frankreich und Westdeutschland nach dem Zweiten Weltkrieg, dans: Rainer Hudemann, Hélène Miard-Delacroix (dir.), Wandel und Integration. Deutsch-französische Annäherungen der fünfziger Jahre – Mutations et intégrations. Les rapprochements franco-allemands dans les années cinquante, Munich 2005 (Oldenbourg), 497–517.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Paul Maurice, Rezension von/compte rendu de: Philipp Didion, Sarah Alyssa May, Jasmin Nicklas (Hg.), Zeitgeschichte transnational. Politik – Gesellschaft – Kultur – Sport in Deutschland, Frankreich und Europa. Festschrift für Dietmar Hüser, Stuttgart (Franz Steiner Verlag) 2024, 308 S., 3 s/w Abb. (Schriftenreihe des deutsch-französischen Historikerkomitees, 21), ISBN 978-3-515-13562-7, DOI 10.25162/9783515135696, EUR 64,00., in: Francia-Recensio 2025/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.3.112786