Cet ambitieux ouvrage collectif, dirigé par Emmanuel Droit, Anne Kwaschik et Silke Mende, est une publication qui arrive à point nommé pour de nombreux chercheurs et chercheuses qui travaillent sur les connexions et relations historiques entre la France, l’Allemagne et l’Afrique, dans un contexte colonial, postcolonial et décolonial. Ce volume fait l’état des lieux de la recherche sur ces sujets en s’appuyant sur les travaux particulièrement actuels et pertinents qui furent présentés lors de deux journées d’étude au Centre Marc Bloch de Berlin en 2021. Dix-sept spécialistes sont réunis pour cette publication, dont on ne peut qu’apprécier la diversité des perspectives. En effet, si les historiens et historiennes sont particulièrement présents, ils le sont aux côtés de sociologues, de politologues, ainsi que de spécialistes de littérature. Tant leurs parcours que leurs objets d’étude reflètent les entrecroisements entre la France, l’Allemagne et l’Afrique: c’est indubitablement une force de cet ouvrage qui offre une multitude de points de vue.
Afin de mener à bien son objectif de faire l’état des lieux de la recherche, le volume s’appuie sur onze chapitres, dont huit en français et trois en anglais. Ils sont principalement écrits de façon individuelle, à l’exception d’une contribution à quatre mains. À cela s’ajoute une préface de Gilbert Dotsé Yigbe croisant le »passé colonial qui ne passe pas« avec les travaux d’Anton Zischka, une postface de Romain Tiquet qui replace l’ouvrage dans un contexte académique plus large, ainsi qu’une introduction des trois éditeur et éditrices présentant d’une part les différentes contributions, et, d’autre part, les inscrivant dans l’actualité sociopolitique et mémorielle. Les chapitres sont répartis selon trois grands axes, détaillés ci-dessous.
Le premier porte sur les »ordres coloniaux et rivalités impériales« et inclut un chapitre de Delphine Froment qui remet en question les représentations coloniales du Kilimandjaro comme étant une montagne »allemande«, un de Marie Muschalek sur la normalisation de la violence et du pouvoir impérial suite au génocide des Herero et des Nama en Afrique orientale allemande, et une analyse historique de l’hétéroclite diaspora camerounaise en France dans l’entre-deux-guerres, et dans un contexte de rivalité avec l’Allemagne, rédigé par Emmanuel Tchumtchoua. Le second axe, intitulé »ordres postcoloniaux«, est constitué de cinq chapitres très différents: une histoire imbriquée du premier président togolais Sylvanus Olympio et du Franc CFA (par Robin Frisch), une analyse de l’Eurafrica d’Anton Zischka au prisme de l’histoire intellectuelle (par Martin Rempe), des perspectives mémorielles franco-allemandes sur le passé colonial (par Johannes Grossmann), une analyse du dispositif de la »préfectorale« au Cameroun, vu comme un héritage colonial (par Daniel Georges Nana Komey), et une étude croisée des perspectives française, allemande et camerounaise sur une collection de restes humains conservée à Strasbourg (par Elise Pape et Agée Célestin Lomo Myazhiom). Quant à la troisième et dernière partie sur la »Guerre froide et décolonisation«, elle est composée de trois contributions. La première, par Mouhamadou Moustapha Sow, analyse les tensions liées à la visite du chef du gouvernement sénégalais en URSS et en Europe de l’Est en 1962, la seconde, de Kodzo Gozo, étudie les relations triangulaires entre la France, l’Allemagne de l’Ouest et le Togo dans les années 60, tandis que la troisième contribution de Perrine Val, examine les représentations de l’Afrique et du monde arabe dans le cinéma est-allemand, partagées entre »romantisme exotique et paternalisme socialiste«.
De par sa nature, cet ouvrage propose un ensemble de contributions très diverses, tant par les sujets abordés que par les méthodes employées. Ici le problème bien connu de l’hétérogénéité, auquel font face de nombreux ouvrages collectifs, devient une force. Tout d’abord, parce que l’ouvrage rend bien compte de l’état de l’art en mettant en avant des chercheurs et chercheuses en début ou milieu de carrière dont les travaux sont, pour la plupart, déjà connus des spécialistes de l’histoire entrecroisée franco-allemande-africaine. Il n’est évidemment pas question ici de faire un inventaire exhaustif de cette histoire entrecroisée, mais bien de rendre compte des dernières avancées. Ainsi, la cohérence de l’ouvrage ne fait aucun doute. Dès lors, il est certain que cette publication prendra une place de choix dans les bibliothèques de celles et ceux qui s’intéressent à cette histoire, tant pour la recherche que pour l’enseignement. Les différents chapitres, de bonne qualité dans l’ensemble, font écho les uns aux autres, ce qui est une autre force de ce livre. En effet, il ne tombe pas dans l’écueil des comparaisons qui n’auraient peu en commun les unes avec les autres, pour, au contraire, mettre en avant connexions et liens entre les différents objets d’étude.
À cet égard, on peut se féliciter de l’introduction d’Emmanuel Droit, Anne Kwaschik et Silke Mende, qui ont fait un excellent travail pour intégrer les contributions dans une réflexion plus large et connectée aux enjeux mémoriaux et politiques actuels, mais aussi aux évolutions de l’historiographie de ces dernières années. Là où éditeurs et éditrices scientifiques se contentent bien souvent de présenter brièvement les chapitres, on voit ici un effort louable, et couronné de succès, d’aller au-delà du simple compte-rendu de journées d’étude. Toutefois, il faut bien déplorer l’absence surprenante de contributions en allemand, qui détonne avec l’ouvrage, publié avec un titre bilingue franco-allemand, dans une collection elle aussi bilingue.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Richard Legay, Rezension von/compte rendu de: Emmanuel Droit, Anne Kwaschik, Silke Mende (Hg.), France, Allemagne, Afrique/Frankreich, Deutschland, Afrika. Représentations, transferts, relations/Repräsentationen, Transfers, Beziehungen, Stuttgart (Franz Steiner Verlag) 2024, 222 S. (Schriftenreihe des Deutsch-Französischen Historikerkomitees, 22), ISBN 978-3-515-13702-7, EUR 46,00., in: Francia-Recensio 2025/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.3.112788





