Théodore Leschenault de La Tour (1773–1826) est un naturaliste français méconnu que l’histoire des sciences n’a guère, jusqu’à maintenant, mis en avant. En cela, l’ouvrage de Michel Jangoux vient combler un vide historiographique. Théodore Leschenault est originaire de Bourgogne et rejoint Paris en 1798 pour se former au Muséum d’histoire naturelle, alors dirigé par Antoine-Laurent de Jussieu. Rapidement repéré, il est choisi pour participer à l’expédition conduite par Nicolas Baudin dans les terres australes, d’abord comme élève, puis chef botaniste. C’est le début d’une longue carrière de voyageur naturaliste qui l’amène à parcourir, en zoologue et botaniste, la Nouvelle-Hollande (Australie), Java, l’Inde, le Sri Lanka, l’Île Bourbon (île de La Réunion), le Brésil et les Guyane néerlandaise et française. Il n’est pas un scientifique de cabinet, un homme des vastes synthèses, mais plutôt un naturaliste de terrain, curieux de la diversité du monde, méticuleux et soucieux de rapporter au Muséum des »objets d’histoire naturelle« les plus divers. Pour exemple, son herbier conservé au Muséum de Paris, qui a récemment fait l’objet d’un recollement, réunit plus de 2500 échantillons (28).

C’est aux voyages de Théodore Leschenault que Michel Jangoux a consacré son dernier ouvrage. L’auteur est un zoologiste belge spécialisé en biologie marine, professeur émérite de l’université libre de Bruxelles et de l’université de Mons, ancien directeur du Centre Interuniversitaire de Biologie marine, et membre depuis 2005 de la Classe des Sciences de l’Académie royale de Belgique. Outre ses publications zoologiques, Michel Jangoux a déjà consacré plusieurs ouvrages aux voyages scientifiques de la fin du XVIIIe siècle. Il a proposé une édition commentée du Journal de voyage aux Antilles de Nicolas Baudin entre 1796 et 1798 (PUPS, 2009), puis les prémices de son voyage dans les terres australes (PUPS, 2013) qui embarque Théodore Leschenault en octobre 1808, et enfin un ouvrage consacré au capitaine Noury et son voyage en Polynésie de 1847 à 1850 (2017, Académie royale de Belgique).

C’est ce double regard qui anime ouvrage, à la fois zoologiste et historique. L’étude comporte une très brève introduction et un développement (11–189) structuré en sept chapitres chronologiques qui traitent de ses origines chalonnaises et de l’expérience parisienne du naturaliste (chapitre 1), de son voyage aux terres australes (chapitre 2), puis aux Indes orientales néerlandaises (chapitre 3), de son retour en France où il est notamment employé comme inspecteur des bergeries de 1811 à 1813 (chapitre 4), puis de ses voyages à Pondichéry, en Inde et à Ceylan (chapitre 5), de l’Île Bourbon à la Guyane (chapitre 6), et enfin de son ultime retour en France. Un huitième chapitre conclusif permet de dresser un bilan de l’œuvre naturaliste de Théodore Leschenault, notamment grâce un très utile tableau des nouvelles espèces qu’il a récoltées (180–186) de vertébrés (13 mammifères, 13 oiseaux, 7 reptiles, un amphibien, la grenouille des Mascareignes, et 49 poissons) et de plantes (57). Comme le souligne Philippe Jangoux, cela démontre l’éclectisme des récoltes animales et végétales du naturaliste afin d’abonder les collections du Muséum, bien plus qu’une ferme volonté »de décrire officiellement tel ou tel organisme qu’il aurait découvert« (178). Enfin, l’ouvrage comporte, outre la bibliographie et deux index (bâtiments et personnes cités), quatre annexes brièvement introduites et constituées d’extraits de divers documents de Théodore Leschenault (191–248). Se succèdent ainsi son rapport sur le département du Calvados en tant qu’inspecteur des bergeries (1813, Annexe 1), un discours »sur les avantages de la culture des sciences naturelles« (1815, Annexe 2), des extraits de son Journal sur »les teintures indiennes« (Annexe 3), et enfin un »rapport sur les établissements faits sur les bords de la Mana«, en Guyane, établi à la demande du ministre de la Marine afin d’estimer »la possibilité d’y installer colons et plantations« (1823, Annexe 4).

L’ensemble de l’ouvrage emmène le lecteur en voyage avec le naturaliste. Les sources manuscrites consultées sont nombreuses (249–251) tant dans les archives municipales, départementales que nationales, en France métropolitaine comme en outre-mer (La Réunion); certaines sont conservées au British Museum. L’ouvrage est illustré d’une centaine de gravures et de photographies. Certaines proviennent de l’herbier de Théodore de Leschenault ou d’autres naturalistes comme A. Bonpland qui décrit en 1813 les plantes issues des graines récoltées par Leschenault et cultivées au jardin de Malmaison. Le travail soigneux d’édition et d’illustration de l’Académie royale de Belgique met en valeur les très belles illustrations, souvent de bonne taille, imprimées sur papier épais. L’auteur a ajouté une quarantaine de photographies actuelles d’espèces animales qui viennent en regard des descriptions effectuées par Théodore de Leschenault dans son Journal zoologique.

Le livre chemine au plus près des voyages et des récoltes du naturaliste, laissant une place conséquente aux citations, sans développer de réflexion plus générale et sans s’inscrire explicitement dans les renouvellements épistémologiques de l’histoire des savoirs qui s’intéresse de plus en plus à ceux qui ont longtemps été considérés comme des acteurs secondaires de l’histoire des sciences, mais dont le rôle de médiateurs s’avère pourtant essentiel. On peut regretter qu’un certain nombre de documents iconographiques ne soit pas datés (83, 85, 87, 88, 94, 121, 139, 140, 147 pour s’en tenir aux chapitres 4 et 5), qu’il n’y a pas de références précises des citations issues du Journal zoologique, ou encore que soient mêlées par ordre alphabétique les sources primaires imprimées et la bibliographie secondaire, mais il n’en reste pas moins que l’ouvrage de Michel Jangoux est informatif, écrit de façon vivante et avec un souci constant de rendre accessible les découvertes du naturaliste, et qu’il redonne légitimement voix à un acteur oublié de l’histoire naturelle du premier quart du XIXe siècle.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Étienne Bourdon, Rezension von/compte rendu de: Michel Jangoux, Leschenault de la Tour (1773–1826), voyageur naturaliste. De la Nouvelle-Hollande à Java et de l’Inde à la Guyane, Bruxelles (Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique) 2024, 264 p. (Mémoire de la Classe des Sciences. Collection in-8, 4e série, 13), ISBN 978-2-8031-0956-2, EUR 45,00., in: Francia-Recensio 2025/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.3.112994