Les relations avec la Diète d’Empire pendant le règne du prince-évêque Adam Friedrich von Seinsheim à Bamberg et Wurtzbourg (1755/57–1779) occupent vingt mètres linéaires des archives de ces deux principautés (6) et la correspondance d’un seul représentant de Wurtzbourg à la Diète, rassemblée dans un fonds privé, couvre plus de 10 500 feuillets (167): deux nombres qui ne témoignent pas seulement du considérable travail documentaire effectué par l’auteur, mais surtout de l’importance pour les principautés ecclésiastiques, au XVIII^e siècle encore, de leur participation aux institutions d’Empire. Ces gisements archivistiques sont pourtant encore largement en friche et il faut donc saluer la parution de cet ouvrage, issu d’une thèse. Il examine avec une grande précision, sur une période assez courte (1746–1763, soit de la mort du prince-évêque de Bamberg et Wurtzbourg Friedrich Karl von Schönborn à la fin de la guerre de Sept Ans) les structures, les acteurs, les modalités et les inflexions de la politique impériale de deux principautés-évêchés souvent, mais pas toujours, en union personnelle, qui comptent parmi les plus grandes – 8 870 km2 à elles deux (19), soit tout de même près du tiers de la Belgique actuelle – et qui, après les trois archevêchés-électorats, font partie des plus actives principautés ecclésiastiques à la Diète.

Ce travail minutieux et très informé confirme d’abord les renouveaux historiographiques sur la vivace activité de la Diète de Ratisbonne, lieu de conflit, plus rarement de décision, mais avant tout de contacts, d’influences informelles et d’intense circulation des nouvelles. La façon dont Bamberg mène une politique soutenue de persuasion et de publication pour recueillir, au niveau impérial, des appuis dans son interminable querelle avec le margraviat de Brandebourg-Ansbach au sujet de la direction du cercle de Franconie en est un excellent exemple. D’une manière générale, les différentes querelles de la période, abordées dans la dernière partie – l’affaire du calendrier en Hohenlohe, le projet d’élection d’un roi des Romains, le conflit entre le Wurtemberg et la chevalerie d’Empire, la réception des nouveaux princes à la Diète – acquièrent, vues sous l’angle de la politique menée par deux principautés à la Diète, une dimension nouvelle qui souligne l’interaction constante entre les niveaux local, territorial, inter-territorial (les cercles), impérial et européen. L’effacement souvent postulé des principautés ecclésiastiques, réduites au rôle de clients des Habsbourg, en sort en partie révisé: l’implication, en tout cas celle de Bamberg et Wurtzbourg, est réelle et autonome et elle ne va pas sans frictions avec le représentant de l’empereur, en particulier sur les problèmes de rang (voir page 255 le texte assez cinglant d’un représentant des Habsbourg) même si l’alignement sur le camp autrichien pendant la guerre de Sept Ans est, quant à lui, rapide et sans failles.

Cette implication forte est exposée en détail dans les deux premières parties qui, au-delà du cas étudié, apportent de grands enseignements sur les rouages concrets du rapport entre princes et Empire, au cœur des institutions de chaque État d’Empire. Outre le prince-évêque, plus ou moins directement actif, son »référendaire secret« et, surtout, son représentant à la Diète, sont les personnages-clefs. Le fonctionnement, au rythme des départs de la poste, des relations et des instructions; la maîtrise à la Diète des procédures, des réseaux et des sociabilités (la note 62 page 71 donne un exemple de »bons procédés« sous forme de livraison de bons vins); la matérialité même des légations, de leur personnel, des lieux qu’elles louent à Ratisbonne: tout concourt à enrichir notre connaissance de cette institution qui vibre au centre d’une riche toile où convergent les bruits, les combats et les prétentions de tout le Saint-Empire.

Florian Zwießler parvient ainsi à démontrer quelle importance cruciale revêt la Diète pour ces deux importantes principautés-évêchés. Bien détaillée, la rémunération des envoyés est par exemple un indice de leur rôle éminent (77–79): elle est, et de loin, la plus élevée de tous ceux qui émargent au budget de ces princes (99). Bibra touche ainsi, comme envoyé à la Diète, 2000 florins par an de Bamberg, 2615 de Wurtzbourg, 475 du prince-évêque d’Augsbourg, sans compter quelques suppléments – en tout environ 15 000 livres tournois de ce temps, ou près de 4,7 kilogrammes d’or. Mais c’est aussi le portrait des acteurs principaux de cette politique impériale qui en révèle la véritable dimension – au long d’une copieuse addition de biographies individuelles qui peine toutefois à être une véritable prosopographie. Des hommes comme Egid Valentin von Borié, Johann Philipp Karl Joseph von Bibra ou Johann Philipp Karl Anton von Fechenbach mènent des carrières qui alternent et entremêlent les plus hauts postes dans différentes principautés territoriales (voire, en l’occurrence, des chapitres cathédraux), la participation aux institutions impériales et la représentation – souvent de plusieurs princes – à la Diète, ce qui leur permet d’acquérir un entregent et une extrême compétence dans le corps politique fractal du Saint-Empire et enrichit notre connaissance, déjà nourrie par plusieurs études, par exemple sur les juges à la Chambre de justice impériale, de cette »élite fonctionnelle professionnalisée de la politique impériale« (163) dont ils faisaient partie. Bien construit et précisément écrit, cet ouvrage offre donc, au-delà de son sujet, des enseignements importants sur les principautés ecclésiastiques dans l’Empire et sur la société politique impériale à une période charnière de son évolution. Il illustre de surcroît l’apport considérable que les études de Landesgeschichte peuvent représenter pour l’histoire générale du Saint-Empire.