Comme Religion et communication. Un autre regard sur la prédication au Moyen Âge, un précédent volume de l’autrice publié en 2018 chez le même éditeur et dans la même collection (»Titre courant«), le présent ouvrage est un recueil rassemblant divers articles de revues et contributions à des ouvrages collectifs. Ce ne sont pas moins de 26 études que l’on trouvera ici, parues entre 1983 et 2019 (dont un tiers de travaux récents, publiés pour la première fois au cours de la dernière décennie).

Les 26 études ont été distribuées en six parties: I/ »La diversité des prises de parole« (deux chapitres); II/ »Le tournant pastoral« (cinq chapitres); III/ »Le prédicateur et ses publics« (cinq chapitres); IV/ »L’enjeu éducatif majeur: pénitence et conversion« (cinq chapitres); V/ »L’actualité de l’histoire« (cinq chapitres); VI/ »L’actualité du salut« (quatre chapitres). Cette distribution n’interdit pas les croisements thématiques d’une partie à l’autre. Par exemple on trouve dans la première un chapitre sur »Femmes et prédicateurs: la transmission de la foi aux XIIe et XIIIe siècles« (chap. II) et dans la troisième un chapitre sur »Robert de Sorbon et les femmes« (chap. XII), le même Robert de Sorbon qui réapparaît dans l’ultime chapitre, »Robert de Sorbon, le prud’homme et le béguin« (chap. XXVI). On pourrait de même rapprocher les chapitres mettant en avant la figure d’un prédicateur particulier, outre Robert de Sorbon: Foulques de Neuilly (chap. IV), Humbert de Romans (chap. XX), Federico Visconti (chap. XXI et XXIII). Certains chapitres évoquent une situation de prédication particulière, que ce soit dans le cadre synodal (chap. VIII: »La prédication synodale au XIIIe siècle d’après l’exemple cambrésien«), pour le temps des Rogations (chap. X: »Sermons donnés à l’occasion des processions des Rogations à Paris au XIIIe siècle«), pour la croisade antihérétique (chap. XIX: »La prédication de croisade contre les Albigeois en 1226«) ou encore pour le rétablissement de la paix (chap. XXI: »Le sermon de Federico Visconti, archevêque de Pise, en faveur de la paix avec Charles d’Anjou [1267]«). D’autres chapitres privilégient les grands thèmes de la pastorale de l’époque: la confession et la pénitence (chap. XIV et XV), les fins dernières (chap. XVII), les vertus et les vices (chap. XXIII et XXIV). Ce sont parfois des enquêtes plus ponctuelles, portant sur la représentation d’un groupe: les femmes, comme indiqué précédemment, le »petit peuple« (chap. IX), les ordres militaires (chap. XI), les juifs à propos de la dénonciation du Talmud (chap. XXII). Plusieurs chapitres présentent une réflexion plus globale sur les méthodes et enjeux de la prédication, tels les chapitres I (»Aux sources d’une nouvelle pastorale. Les expériences de prédication du XIIe siècle«), III (»Au commencement il y eut Paris. De l’enseignement de Pierre le Chantre aux canons du concile de Latran IV [1215]) et XIII (»Un mode singulier d’éducation: la prédication aux derniers siècles du Moyen Âge«).

Certains chapitres sont pourvus d’annexes ou appendices: sermons et reportations (chap. X, XI et XXVI), liste et chronologie des sermons de Philippe le Chancelier et d’Eudes de Châteauroux pour la croisade de 1226 (chap. XIX), exemplum du frère franciscain Jacques de Provins consigné en 1273 par Raoul de Châteauroux dans ses Distinctiones et mettant en scène un miracle de dénonciation des juifs profanateurs et de préservation d’une hostie (chap. XXII). L’ensemble du volume est complété par une table indiquant l’origine des études ici rassemblées et par deux index, respectivement des noms de personnes et des noms de lieux.

Au fil des chapitres et des échos que l’on retrouve de l’un à l’autre, plusieurs constantes se dessinent pour caractériser la prédication des XIIe–XIIIe siècles: l’influence des écoles, dès le XIIe siècle avec une figure comme Pierre le Chantre, puis plus généralement avec le développement des cursus et méthodes universitaires; le »tournant pastoral« marqué par le concile de Latran IV, dont les décisions furent à la fois l’aboutissement de réflexions et pratiques antérieures et la source d’un nouvel élan et d’une systématisation; l’importance des frères mendiants (et plus spécialement des dominicains, les »frères prêcheurs«), dont le rôle majeur ne doit cependant pas faire oublier celui qu’ont pu jouer les clercs séculiers. Ces traits généraux n’effacent pas l’attention portée aux situations locales et particulières. Une partie des études s’appuie principalement sur le milieu parisien, et sur les sources et personnages qui s’y rattachent d’une manière ou d’une autre, mais on trouve aussi une enquête sur »Prédication et pastorale dans la péninsule Ibérique« (chap. VII); celle sur les »ordres militaires sous le regard des prédicateurs« (chap. XI) élargit le champ jusqu’à l’Outremer des croisés et jusqu’aux confins de la chrétienté tenus par les Teutoniques. Les chapitres mettant en avant la figure de Federico Visconti, archevêque de Pise (chap. XXI et XXIII) ouvrent sur le domaine italien, et celui qui traquent les »échos de la dénonciation du Talmud« (chap. XXII) prolonge l’enquête vers les milieux germaniques avec Henri de Cologne et Berthold de Ratisbonne (512–519).

Il est difficile de rendre compte en quelques lignes de la richesse de la matière accumulée et analysée par Nicole Bériou, dont nous pouvons seulement laisser entrevoir ici des aperçus. L’ouvrage offre d’abord une leçon de méthode, mobilisant les différents types de sources que la recherche historique peut exploiter (les sermons et leurs sous-catégories, comme les sermons ad status, les reportations, les outils de travail des prédicateurs et notamment les exempla, les récits gardant mémoire de leur activité…), et exposant les difficultés de certaines enquêtes. Il met aussi en évidence la sensibilité pastorale et la capacité d’adaptation au public de certains clercs, conscients des réalités familiales, sociales ou économiques (comme un Robert de Sorbon prêchant sur le mariage, pages 297–301 ou un Pierre le Chantre conseillant aux curés une certaine retenue dans leurs discours sur l’usure, page 556). Quelques traits inattendus surgissent ici et là, comme à propos du lucre, l’appât du gain: cupidité voire cruauté chez l’usurier, il devient métaphoriquement positif lorsqu’il s’agit pour le fidèle d’imiter un marchand avisé afin de gagner son salut (574‑575) ou pour les prédicateurs dominicains de gagner des âmes (lucrifacere, lucrum animarum, 159–162). Les schémas préconçus sont également déjoués lorsque l’on se voit opportunément rappeler, page 296, que des exempla dénonçant la coquetterie et les artifices féminins, à grand renfort de stéréotypes misogynes, ne s’adressent pas d’abord aux femmes elles-mêmes, pour les corriger, mais à des clercs tentés de succomber à leurs charmes, alors qu’ils sont astreints à la continence.

Tel quel, du fait de son abondance et de sa diversité, l’ouvrage n’est sans doute pas destiné à une lecture linéaire. Il ne nous semble pas non plus clos sur lui-même: les riches apparats de notes invitent en effet à poursuivre par soi-même l’une ou l’autre enquête en explorant les textes et manuscrits signalés, au-delà des extraits présentés.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Marielle Lamy, Rezension von/compte rendu de: Nicole Bériou, Les pouvoirs de l’éloquence. Prédication et pastorale dans la chrétienté latine (XIIe–XIIIe siècles), Genève (Librairie Droz) 2024, 680 p., ISBN 978-2-600-00576-0, EUR 24,00., in: Francia-Recensio 2025/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.3.113165