Cet ouvrage est le deuxième volume, sur cinq prévus, de l’édition entreprise par Guilhem Ferrand du riche fonds des inventaires après décès dijonnais de la fin du Moyen Âge. L’introduction est, en toute logique, bien plus courte que dans le premier volume puisqu’elle se limite à quelques remarques sur l’évolution de la forme des inventaires dans la seconde décennie du XVe siècle, la plus notable étant qu’ils sont désormais plus précis dans la désignation des objets et dans la précision relative à leur description. L’explication de cette évolution n’est pas fournie ici, puisque l’auteur annonce qu’une analyse globale sera développée dans un volume ultérieur, afin d’offrir une meilleure prise de hauteur vis-à-vis de l’ensemble du fonds.

Les premières pages attirent aussi l’attention vers un cahier de papier figurant à la fin du compte du bailliage de Dijon pour l’an 1417 et qui contient 16 autres inventaires après décès, tous établis par le personnel habituel de la mairie mais dont les biens décrits concernent les droits du duc (bâtardise, confiscation des biens d’un criminel, biens vacants en l’absence d’héritiers, etc.). Outre leur emplacement à la fin du compte ducal, ils se distinguent par le fait qu’ils contiennent régulièrement la relation de la mise en vente des biens inventoriés, ce qui permet à la fois de suivre le cheminement de la procédure, mais aussi et surtout de noter les variations de vocabulaire désignant les objets ainsi que celles relatives à leur valeur entre la taxation et la vente. Ce cahier sera lui aussi édité dans un volume ultérieur, en espérant que des réponses expliquant sa présence à cet endroit puissent être fournies.

Les 154 inventaires édités dans ce volume suivent les mêmes règles que celles établies dans le premier, l’auteur ayant pris soin d’avertir que la priorité est donnée à la présentation des inventaires et des biens qu’ils contiennent, au détriment de l’identification exacte des noms ou des lieux. L’appareil critique reste malheureusement très mince, comme cela est assumé par l’auteur qui renvoie néanmoins à des éditions partielles de certains inventaires réalisées par Françoise Piponnier. Il faut par ailleurs signaler que l’inventaire 196 n’est en fait pas établi par la mairie, puisque le clerc Odot de Verranges est désormais procureur du bailliage de Dijon, ce qui explique pourquoi le document concerne un habitant de Saint-Jean-de-Losne et est établi dans cette ville; il s’agit donc d’un document de l’administration princière. Pour le reste, on observe une augmentation progressive du nombre d’inventaires conservés par année qui peut être imputée aux aléas de la conservation comme au développement de l’administration urbaine. 21 inventaires sont ainsi conservés pour l’année 1413, 23 autres pour 1414, tandis qu’entre 13 et 19 inventaires annuels sont présentés pour la période allant de 1415 à 1419. Comme le note l’auteur, les responsables sont plus minutieux dans la description qu’ils font des biens inventoriés, sans doute pour affiner leurs estimations. On relève ainsi régulièrement l’origine de certains vêtements et accessoires, qu’ils proviennent de Flandre, de Champagne ou encore de Normandie. Cet accroissement de détails souligne aussi le développement de véritables marqueurs de traçabilité des biens, leur région d’origine renforçant ou atténuant leur valeur en fonction de la réputation de qualité des diverses productions. À ce titre, si le volume est agrémenté d’un index rerum et d’un index nominum, il serait bon d’y ajouter un index locorum afin de mieux mesurer l’ampleur des échanges et de la circulation des biens.

S’il n’est pas possible à ce stade de fournir une vue de l’ensemble du corpus, notons que les inventaires contenus dans ce deuxième volume élargissent le spectre social des métiers représentés dans la ville par rapport au volume précédent. On relève ainsi les inventaires après décès de deux bouchers, de quelques fourniers et boulangers, de fabricants de serge, ainsi que de deux barbiers. Les métiers liés à la vigne sont bien représentés, puisque le principal corps identifié dans ce volume est celui des vignerons, avec les inventaires de seize d’entre eux et de dix épouses d’autres membres de la profession. On trouve encore les inventaires de quatre tonneliers et de deux femmes de tonneliers. Les serviteurs du duc de Bourgogne sont également représentés, avec notamment trois sergents princiers et deux cuisiniers dont l’un était au service du duc de Brabant. On note également les inventaires des biens de trois nobles, à savoir un écuyer, un chevalier et un bâtard. Trois autres individus sont seulement qualifiés de »bourgeois«, l’un de ces inventaires concernant en fait son épouse. Comme dans le premier volume, des inventaires après décès sont encore réalisés après la mort de six prêtres dont l’un, Jehan Curart, était aussi chorial de la Sainte-Chapelle ducale (inventaire 118). Plusieurs de ces ecclésiastiques possédaient un bréviaire chez eux, ce qui est logique, et Jehan Lalemere possédait en outre une bourse dans laquelle se trouvait la somme conséquente de 268 écus d’or (219).

Le nombre d’inventaires après décès de femmes est particulièrement intéressant, puisqu’on en compte pas moins de 47, chiffre qui monte à 52 si l’on inclut les inventaires après décès de couples, soit environ un tiers du volume édité: proportionnellement le double du précédent. La plupart d’entre elles sont des épouses d’artisans ou de commerçants, mais certaines appartiennent à l’élite urbaine, bien que cela ne soit pas indiqué dans l’appareil critique. C’est particulièrement le cas de l’inventaire des biens de la femme de Jean Aubert (133), dont le prénom Alix aurait pu être restitué ici en faisant appel à la bibliographie,1 et dont la carrière du mari auprès des ducs et duchesses est bien connue comme l’indiquent les références citées en note de bas de page.2 Le document recense l’ensemble des biens situés dans l’hôtel de Jean Aubert, qui a en outre été échevin de la ville durant plusieurs années;3 et montre notamment que le couple possède plusieurs tableaux, dont un où l’officier ducal s’est fait représenter avec une »ymaige de Nostre Dame«. Le degré de détail permet encore d’apprécier la liste précise des livres détenus par le couple comme le De Consolatione (Consolation de Philosophie) de Boèce, le Testament de Jean de Meung, des chroniques, un livre de droit et même une Légende dorée copiée de la main de Jean Aubert. Des romans sont également présents, comme le Roman de la Rose de Jean de Meung que l’on retrouve aussi chez le clerc Jean Girost (164). Ce dernier possède encore un manuel notarial ainsi que des registres qui ne sont finalement pas confiés à son héritière, ce qui fournit ainsi quelques informations sur l’objet écrit dans la maison.

La longueur de certains inventaires témoigne de la richesse d’une partie des habitants comme de la diversité de leurs activités. Celui du marchand Gaspar de Limyer de Milan en fournit un très bel exemple (205). Il possède en effet de nombreuses pièces d’armures de provenances italiennes, suisses ou encore germaniques, des bourses, des accessoires vestimentaires et autres textiles, ainsi que des épices, dont les diverses origines fournissent un aperçu des déplacements commerciaux qu’il a pu effectuer durant sa vie. Le chevalier Girard de Grandval, seigneur de Mornay dans le comté de Bourgogne, possédait quant à lui deux chevaux d’une valeur totale de 40 écus et plusieurs armes et éléments d’armures dans l’hôtel de l’Écu de France où il résidait à Dijon. Ce chambellan du roi et du duc portait aussi avec lui de nombreuses lettres relatives à ses droits seigneuriaux et à des procédures en cours au parlement de Dole. On retrouve ces inventaires de lettres comme il y en avait déjà dans le premier volume. Si la plupart sont généralement des lettres de dettes dues aux défunts comme dans l’inventaire après décès de l’ancien échevin Pierre Chauchart (208),4 d’autres donnent une idée de la fortune foncière des élites urbaines comme le montrent les lettres inventoriant les maisons et vignes possédées par le bourgeois Regnault Aymé (197), tant à Dijon que dans les localités voisines. Perrenot Godin tenait pour sa part plusieurs »papiers de dettes« contenant les listes des individus auprès desquels il devait les recouvrer, ainsi qu’un »papier des bestes« dans lequel il indiquait les noms des personnes auxquelles il louait des bêtes dont il précisait le nombre et les espèces; il gardait en outre d’autres lettres d’héritages, censes et rentes, tandis que la fin de l’inventaire montre que sa veuve bénéficie de dons ducaux en son nom propre et en celui de son premier époux.

Ce deuxième volume s’avère donc aussi riche et intéressant que le premier, aussi bien sur le plan de l’histoire matérielle et sociale que de l’histoire économique, et aiguise la curiosité sur le contenu des inventaires postérieurs.

1 Cécile Becchia, Les Bourgeois et le prince. Dijonnais et Lillois auprès du pouvoir bourguignon (1419–1477), Paris 2019, vol. annexes Dijon, 71.
2 On peut ajouter aux références indiquées Jean-Baptiste Santamaria, Un maître prévaricateur à la Chambre des comptes de Lille sous Philippe le Bon: Roland du Bois, dans: Revue du Nord 380 (2009), 421–447.
3 Becchia, op. cit., vol. annexes Dijon, 4–5.
4 Ibid., 4.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Rudi Beaulant, Rezension von/compte rendu de: Guilhem Ferrand (avec la collaboration de Jean-Pierre Garcia), Les inventaires après décès de la ville de Dijon à la fin du Moyen Âge (1390–1459). Tome II: 1409–1419, Toulouse (Presses universitaires du Midi) 2025, 646 p., ISBN 978-2-8107-1313-4, EUR 25,00., in: Francia-Recensio 2025/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.3.113170