Comme l’indique le titre, le nouvel opus de Mathias Tranchant poursuit le travail accompli dans le premier volume. Ce dernier, déjà présenté dans les colonnes de cette revue, consistait en une étude géohistorique répertoriant les différents sites portuaires des Pyrénées à l’embouchure de la Meuse. Le deuxième volume présente les mêmes qualités: notes de bas-de-page, catalogue des sources, une importante bibliographie, un index auxquels il convient d’y ajouter plusieurs illustrations et de nombreuses cartes schématiques permettant d’éclairer le propos. Le travail accompli consiste en un changement de point de vue: l’auteur s’engage dans une vision globale sans pour autant prétendre à une modélisation impossible liée à la diversité des ports.
Mathias Tranchant se pose dans un premier temps la question de définir ce qu’est un port et montre la diversité des sites désignés par un vocabulaire particulier. Il s’interroge aussi sur les limites du port, pour se pencher sur l’aspect mettant en jeu la concession des droits sur le rivage par le pouvoir souverain qui tend à reprendre la main, entre autres, au travers des amirautés. Ceci dit, l’étendue du sujet conduit à une seule approximation: Mathias Tranchant indique, à titre de généralité, que seuls les seigneurs hauts‑justiciers avaient obtenu de tels droits, ce qui est particulièrement faux pour la Normandie.
La mise en place du semi-portuaire, pour la période considérée, tient compte de la géomorphologie du littoral, du type, des volontés politiques, comme dans le cas de La Rochelle fortifiée à l’initiative d’Henri II et renforcée par ses successeurs ... À ce titre, en comptant les ports antiques ayant survécu, deux vagues de mise en place apparaissent: une première, de l’an mil à la première moitié du XIIIe siècle, dans un contexte de croissance économique favorisant tel site plus qu’un autre; une seconde, de la seconde moitié du XIIIe siècle au XVe siècle, consistant principalement en une phase d’aménagement prenant en compte l’augmentation de la taille des navires et des progrès technologiques. Petit à petit, il se produit une spécialisation et une hiérarchisation des ports. L’auteur précise toutefois qu’il faut ajouter aux 623 sites inventoriés permettant l’accueil ou l’échouage, plus ou moins ponctuel, de petites unités.
Ceci conduit tout naturellement aux fonctions portuaires. Mathias Tranchant s’attache à l’étude des sites allant du port d’échouage aux fosses, en passant par les abris en arrière des cordons dunaires. Ces derniers peuvent disposer de rades ou de baies où mouillent les navires désireux de se mettre à l’abri des intempéries, en attendant de pouvoir accéder au port ou, pour les plus gros, en attente d’unité de moindre tonnage pour charger ou décharger, comme dans le cas de la baie de Bourgneuf: somme toute à chaque navire son type de port. Le problème consiste en premier lieu dans l’impossibilité d’accéder au port en toute sécurité, d’où l’usage de balises, la présence d’un phare ou le recours à des pilotes et des lamaneurs, dont le plus connu d’entre eux, Pierre Garcie, joue parfaitement son rôle dans ce présent travail.
Dans le même ordre d’idées se pose la question de protéger le port contre les hommes. Le problème de base est que, dans la majorité des cas, les espaces portuaires se trouvent en dehors des fortifications lorsqu’il y en a. Si le site initial du port de Bordeaux est à l’intérieur de l’enceinte, son extension se fait à l’extérieur des remparts. Une solution consiste à désarmer les navires avant d’entrer dans le port afin de prévenir toute surprise et, autant que possible, d’éviter les rixes. D’autres solutions sont mises en pratique: construire des tours à l’entrée du port, tendre une chaîne ... Une fois le navire dans le port, il lui faut stationner, pas de corps morts: il faut mouiller l’ancre ou parfois s’attacher à des poteaux, pratique généralisée dans l’estuaire de la Seine, avant de pouvoir décharger et les tasser dans les entrepôts, dont la présence sur les quais n’est attestée qu’à Bordeaux et La Rochelle. Les navires s’approchent des quais, rarement en dur, positionnent une planche et utilisent leur palan, à moins que la taille du navire n’impose l’utilisation d’allèges. À Damme, L’Écluse et Bruges, les navires peuvent avoir recours aux grues du port.
Le port n’est pas uniquement un espace accueillant des navires. Ces derniers doivent parfois composer avec des moulins ou des pêcheries, alors que des chantiers de réparations ou de constructions navales y prennent place. C’est aussi un lieu de stationnement de navires militaires, voire de deux »arsenaux« royaux, le clos des galées de Rouen et ses satellites et La Rochelle. L’activité portuaire donne lieu à la mise en place de tout un personnel spécialisé pour son fonctionnement et la perception de droits multiples plus la fiscalité – quand il ne faut pas s’acquitter de redevances princières comme les brefs de Bretagne destinés à marquer la puissance du duc.
Le dernier chapitre de l’ensemble porte sur la question environnementale. L’auteur souligne l’utilité d’une approche polymathique en la matière. Les sites portuaires comme les côtes sont sensibles au climat, aux vents, au débit des fleuves et à leur apport en sédiments, aux mouvements de la mer et à ses tempêtes: tous jouent un rôle essentiel dans l’érosion et le comblement d’un littoral en mouvement perpétuel. Entre 1369 et 1373, l’érosion et une violente tempête provoquent la disparition d’une partie de la paroisse de Chef-de-Caux, à la pointe nord de l’embouchure de la Seine. En 1352, un raz de marée submerge la baie de Bourgneuf. Si vous ajoutez l’activité anthropique: lests déchargés par les navires, plus leurs ordures et celles des communautés d’habitants, l’entretien de ports et de ces accès est problématique. Vous pouvez tenter de canaliser, d’installer des écluses, mettre au point des chasses, construire des jetées: rien n’y fait. L’homme n’a pas alors les connaissances nécessaires pour lutter contre la nature. Il doit s’adapter: des sites meurent, d’autres se déplacent.
Ces quelques lignes peinent à rendre compte de l’ampleur de la tâche accomplie par Mathias Tranchant constituant une base essentielle pour qui s’intéresse aux ports du royaume de France de la Guyenne aux Flandres durant la période considérée. Il convient de souligner la prise en compte du cadre environnemental ainsi que la qualité de l’écriture. Reste qu’un autre élément aurait pu être souligné: le rôle des tavernes et des cabarets dans la vie portuaire, mais ce serait rentrer dans une problématique qui n’a pas lieu d’être ici.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Éric Barré, Rezension von/compte rendu de: Mathias Tranchant, Les ports maritimes de la France atlantique (XIe–XVe siècle). Volume II: territoires de fortunes, Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2025, 399 p., ISBN 978-2-7535-9807-2, DOI 10.4000/13t5n, EUR 30,00., in: Francia-Recensio 2025/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.3.113185





