L’historien Wolfgang Benz est professeur émérite de l’université technique de Berlin où il a dirigé le Centre de recherche sur l’antisémitisme (Zentrum für Antisemitismusforschung) après avoir fait ses débuts à l’Institut für Zeitgeschichte de Munich. Il vient de consacrer le présent ouvrage, Zukunft der Erinnerung. Das deutsche Erbe und die kommende Generation à la mémoire, au souvenir et à sa survivance pour les générations futures. Benz est bien connu pour ses ouvrages de référence sur le national-socialisme, sa description complète des camps nazis, son engagement pour préserver leur mémoire et, à partir de 1965, son investissement dans l’organisation de mémoriaux. Il a à cœur de prendre la relève des rescapés des camps qui – comme il le rappelle – »guidaient les visiteurs, archivaient des fonds, sauvaient des objets et leur souvenir« (11) et s’investit dans les conseils consultatifs des mémoriaux de Dachau, de Flossenbürg, de Ravensbrück et de Sachsenhausen. Il a aussi publié plusieurs revues dont les Dachauer Hefte et la Zeitschrift für Geschichtswissenschaft.
Wolfgang Benz est un expert fort compétent, en partie grâce à ses expériences, de l’évolution de la commémoration en Allemagne depuis 1945, dont il garde une vision très critique, et qui est marquée selon lui par des déficits qui tiennent pour beaucoup à des préjugés, à des postulats moraux mal compris et surtout à une méconnaissance des faits historiques. Il salue, en revanche, la création du Musée juif de Berlin.
Après l’holocauste, selon Benz, l’antisémitisme demeure omniprésent en Allemagne, l’antijudaïsme également (71–76). Les exilés qui retournent en Allemagne après la guerre sont mal acceptés et essuient un accueil glacial, sauf dans le cas d’artistes et d’autres personnalités célèbres. Certains des anciens nazis retrouvent vite une place dans la société de l’après-guerre (42). Des traditions d’extrême-droite se pérennisent avec, par exemple, le succès du NPD qui entre en 1964 dans un Landtag (46). On pourrait se poser la question de savoir si ceci n’a pas anticipé les succès actuels de l’AfD.
Benz fait un état des lieux très complet des problématiques évoquées en RFA et en RDA, en premier lieu la mémoire du IIIe Reich et celle de la Shoah à l’Ouest et à l’Est dans un contexte de guerre froide pour éviter toute instrumentalisation et privilégier la transmission du savoir aux futures générations. Certains groupes de victimes des camps nazis comme les Témoins de Jehova, les homosexuels, les déserteurs de la Wehrmacht, les Tziganes sont longtemps bannis de la mémoire et réhabilités trop tardivement, ce qui n’aide pas à affronter les pages sombres de l’histoire allemande.
En RDA, l’antifascisme fait partie d’un programme d’État qui imprime sa marque sur l’identité de ses citoyens. Benz insiste sur la distance idéologique marquée selon l’ancrage politique des résistants au nazisme. À l’Est le primat est accordé à la résistance des communistes, à l’Ouest c’est la résistance conservatrice qui a les honneurs avec les figures centrales de Stauffenberg et de la Rose blanche. On constate que ces distinctions s’estompent doucement depuis l’unification allemande de 1990 (61–66). La Neue Wache à Unter den Linden est un lieu central de mémoire nationale pour toutes les victimes de guerres et de violence (206). D’autres lieux sont plus contestés, à commencer par les modestes »pavés de la mémoire« (Stolpersteine).
L’amnésie quasi générale de l’immédiat après-guerre fait place à une conscience plus aiguë de la responsabilité allemande dans la Shoah. Mais, en 1951, une manifestation de soutien a lieu à l’Ouest en faveur d’Otto Ohlendorf, coupable du meurtre de 90 000 personnes (76). Il faut attendre 1968 et la révolte des étudiants pour que la société allemande puisse se résoudre à rendre des comptes sur son attitude sous le régime nazi. La naissance d’une nouvelle culture allemande du souvenir n’a pas eu lieu en 1945. Le premier président de la RFA, Theodor Heuss, désigne en 1949 le 8 mai 1945 comme »une journée d’amère défaite, mais aussi de libération«. Lors du quarantième anniversaire de la défaite allemande, le président Richard von Weizsäcker considère la commémoration du 8 mai 1945 »comme une étape importante, mais pas comme la percée« vers une conscience accrue de la responsabilité (50). La diffusion du film Holocauste en 1979 met partiellement fin à l’amnésie allemande. Mais la RDA continue à considérer son travail de retour sur le passé comme supérieur à celui de la RFA (78).
Autre mémoire dont il ne faut pas éradiquer la trace, c’est celle de la RDA – estime Benz: il faut se souvenir de ses acquis (28) et prendre en compte ses aspects positifs, le sentiment de la communauté, l’entraide collective, la sécurité matérielle et psychologique qui existait avec un niveau de vie plus modeste pour tous. Cela ne signifie pas pour autant passer sur la dictature de la terreur et occulter les souffrances des victimes du régime (27–30). Certes, les centres de documentation sur le Mur et les actions de la Stasi informent également sur le quotidien des citoyens de RDA et sur les objets qui sont les symboles d’un monde disparu. Mais ils s’intéressent à des aspects superficiels et n’approfondissent pas les mythes de sa fondation, l’idéologie et le contre-projet mis en place par rapport à la RFA. Le Checkpoint Charlie, entouré de hordes de touristes, ne contribue pas non plus à l’appréhension de la confrontation Est-Ouest. En revanche, le Deutsches Historisches Museum Berlin n’occulte pas cette problématique, souvent négligée dans des représentations muséales. Benz déplore la destruction du »Palast der Republik« et la construction inutilement onéreuse d’un nouveau château impérial de pacotille qui abolit les frontières entre réalité et fiction.
Toutes les problématiques abordées par Benz dans cet ouvrage très touffu ne pourront pas être discutées de manière égale dans ce compte rendu. La guerre de Gaza montre bien la polarisation de la société: »La pitié pour le destin des enfants palestiniens ne signifie pas le refus de l’État où les Juifs doivent trouver une patrie sûre« (132). Le passé colonial de l’Allemagne est rapidement évoqué (20–25). L’extermination massive des Héréros et des Namas en particulier lors de la bataille de Waterberg en 1904 sur ordre du général von Trotha, amène tardivement le gouvernement allemand à demander pardon à la Namibie pour le caractère génocidaire des massacres perpétrés dans le Sud-Ouest africain allemand (Deutsch-Südwestafrika). Une restitution des trésors africains spoliés est étudiée.
Découpé en treize petits chapitres thématiques, c’est un ouvrage qu’il faut prendre le temps de lire et qui permet une approche différenciée des nombreuses problématiques abordées.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Anne-Marie Corbin, Rezension von/compte rendu de: Wolfgang Benz, Zukunft der Erinnerung. Das deutsche Erbe und die kommende Generation, München (dtv Verlag) 2025, 240 S., ISBN 978-3-423-28467-7, EUR 20,00., in: Francia-Recensio 2025/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.4.113981





