Ce volume réunit les résultats d’un colloque organisé en 2019 à la bibliothèque de Wolfenbüttel, haut lieu des études dix‑huitièmistes, en lien avec la Société allemande pour la recherche sur le XVIIIe siècle. Marian Füssel fait remarquer, dans son introduction à l’ouvrage, que les questions tenant à la circulation et au contrôle des êtres humains, de données diverses et parfois vitales, d’idées, de sommes d’argent et de biens matériels – tout cela en lien avec des problèmes parfois cruciaux ( migrants, armes, monnaies d’un type nouveau, épidémies et une récente pandémie meurtrière) – sont, à la fin du premier quart de notre XXIe siècle, présentes à tous les esprits.
Mais il ajoute que ces questions étaient déjà bien présentes au XVIIIe siècle, autour de ces deux problèmes que sont la circulation d’éléments de toutes sortes et, conjointement, leur contrôle et réglementation par les autorités en place: États et collectivités publiques diverses.
S’agissant des régimes de contrôle, Marian Füssel fait référence aux recherches de Michel Foucault, en particulier à son ouvrage Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines de 1966, traduit en allemand en 1971. Et il signale que vers 1800, donc à la fin de la période envisagée dans ce volume, Friedrich Schlegel, le principal théoricien du premier romantisme allemand, estimait que la circulation était l’une des cinq divinités majeures du panthéon de l’époque, avec le crédit, la mode, l’industrie et le luxe, qui, eux aussi, circulaient plus ou moins facilement. Cela a-t-il changé depuis lors?
Et la circulation des idées – bonnes ou mauvaises, selon les points de vue adoptés – n’est-elle pas aujourd’hui un phénomène à la fois réjouissant et inquiétant, comme elle le fut au XVIIIe siècle? Mais, toujours selon Marian Füssel, il est impossible de considérer la société du XVIIIe siècle, avec ses princes et leurs pouvoirs plus ou moins limités, comme une société du contrôle permanent, au sens où l’entendait Gilles Deleuze dans ses Pourpalers 1972–1990, traduits en allemand en 1993.
Après ces considérations sur le XXe et le XXIe siècles, Marian Füssel en vient au XVIIIe et à ses essais de contrôle. Il signale (16) un projet français intéressant, mais peu connu et jamais tout à fait réalisé, d’établir une ligne aussi continue que possible, dans la perspective défensive de Vauban, de forteresses militaires depuis le Québec jusqu’à la Louisiane, afin d’empêcher les Anglais et leurs alliés de progresser vers l’Ouest comme ils le firent au XIXe siècle.
Sur le XVIIIe siècle et la notion de circulation, Marian Füssel cite, dans un esprit différent de celui de Foucault et de Deleuze, le savant Daniel Roche, avec ses travaux, en 2003 et 2011 encore, sur Les Circulations dans l’Europe moderne. XVIIe–XVIIIe siècles.
Un examen des contributions à ce volume fait apparaître une prédominance des sujets ayant trait au domaine de langue allemande, avec sept contributions sur douze: contrôle des migrations en Prusse et en Europe centrale chez Alexander Schunka; examen du phénomène des loteries, de leur contrôle, ainsi que du contrôle des moyens d’information chez Tilman Haug; lutte contre une épidémie de peste dans la principauté du Hanovre chez Ulf Wendler; activité du caméralisme, forme germanique plus étroite et plus administrative du mercantilisme, surtout appliquée à l’agriculture, plus qu’au commerce et à l’industrie, chez Christa Kamleithner; circulation exubérante de l’argent dans deux comédies allemandes des années 1740, dont l’une sur un modèle français, chez Daniel Fulda; phénomène, dans plusieurs villes universitaires allemandes (Halle-Wittenberg, Leipzig et Kœnigsberg), des ventes aux enchères de livres savants, avec les catalogues de librairie correspondants, chez Elizabeth Harding; phénomène des circuits de correspondances, avec les indiscrétions afférentes, chez Goethe et dans les cercles de la sensiblerie (die Empfindsamen) qu’il a fréquentés, chez Michael Maurer.
Rien d’étonnant donc, au regard de cette liste, si les institutions d’où proviennent les personnes ayant livré des contributions sont elles aussi (neuf sur treize, une contribution étant issue d’une coopération) situées dans le domaine de langue allemande: université de Salzbourg pour l’Autriche et, pour l’Allemagne, universités de Gœttingue, de Halle, de Munster (deux fois), d’Iéna, de Berlin et de Kiel, ainsi que la bibliothèque de Wolfenbüttel. Les autres participants au volume proviennent de la Confédération helvétique (université de Zurich, archives de la ville de Coire/Chur), des Pays-Bas (université d’Utrecht) et de Belgique (université de Gand/Gent). Rien, donc, en provenance de France, en dehors des références déjà signalées à Foucault, Deleuze et Roche: manque d’intérêt pour la recherche française et/ou de celle-ci pour le sujet abordé?
Au-delà des sept contributions concernant le secteur de langue allemande, les cinq autres s’attachent à l’ensemble des secteurs géographiques concernés – c’est le cas de celle, englobante, de Marian Füssel – ou à un secteur particulier et extérieur: Andrew Wells sur les vaccinations et quarantaines en Grande-Bretagne; Cornelis van der Haven et Renée Vulto sur la circulation des sentiments patriotiques dans les chansons aux Pays-Bas et en Suisse, à partir des notations de Johann Georg Sulzer, dans sa Théorie générale des beaux-arts (Allgemeine Theorie der Schönen Künste) des années 1770, sur la vertu communicative des sentiments mis en chansons; Tanja Bührer sur le contrôle des employés et dirigeants britanniques de la Compagnie des Indes orientales (East India Company); et enfin Martin Knauer sur la circulation des portraits (silhouettes découpées, etc.) et des bustes, des années 1770 à 1815, la période révolutionnaire et napoléonienne étant ici bien représentée, des »martyrs de la liberté« et de Marat au général Bonaparte devenu Napoléon Ier.
Au total, à partir d’un problème composite et même assez disparate, on retiendra l’impression que la question de la circulation et du contrôle de pratiquement tous les aspects de la vie humaine en société conduit à un tableau synthétique de l’Europe du XVIIIe siècle, celle-ci n’étant pas bien différente de celle observable aujourd’hui: n’y est-il pas encore et toujours question de circulation sans entraves et de contrôles nécessaires?
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Lucien Calvié, Rezension von/compte rendu de: Marian Füssel (Hg.), Zirkulation und Kontrolle. Dynamiken des 18. Jahrhunderts, Basel (Schwabe Verlag) 2025, 280 S. (Das lange 18. Jahrhundert, 4), ISBN 978-3-7574-0151-1, CHF 52,00., in: Francia-Recensio 2025/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.4.114143





