Spécialiste reconnu de l’histoire de la justice criminelle, Tom Hamilton propose une étude très originale consacrée au procès opposant Renée Chevalier (1552–1641), une dame possessionnée dans le Sénonais, à un homme de guerre, Mathurin Delacanche. Il s’agit d’un cas exemplaire permettant de reconstituer non seulement le fonctionnement de la justice royale à l’époque d’Henri IV, mais aussi de brosser le panorama d’une société engagée dans un processus de sortie de guerre à l’issue d’une quarantaine d’année de violences.
Delacanche est un ancien capitaine royaliste devenu prévôt des maréchaux de Sens, c’est-à-dire officier de police. Renée Chevalier l’accuse d’avoir pillé le château de Chaumot près de Sens, qui lui appartient, pendant l’hiver 1590–1591, et maltraité les habitants du village, notamment les femmes. L’affaire aboutit à un retentissant procès au parlement de Paris qui s’achève par une condamnation à mort en 1600.
Tom Hamilton, qui s’était familiarisé avec le monde des officiers parisiens lors de ses recherches sur Pierre de L’Estoile, a accumulé une documentation remarquable. Il s’est plongé dans l’océan des archives criminelles du parlement de Paris, mais aussi dans les actes notariés, principalement au Minutier central des Archives nationales et aux Archives de l’Yonne (Auxerre). De cette façon, il a pu reconstituer non seulement les étapes du procès, mais aussi l’identité des acteurs et des actrices, ainsi que le cadre social dans lequel ceux-ci évoluent. Les sources sur lesquelles Tom Hamilton fonde sa recherche sont certes exceptionnelles, mais elles demandent une attention considérable pour restituer la chronologie de l’affaire, l’identité des protagonistes et les étapes de la procédure judiciaire. Les documents imprimés mobilisés sont également nombreux, en particulier les traités consacrés à la justice.
L’enquête est vraiment impressionnante. Tom Hamilton montre que Renée Chevalier est dotée d’une capacité d’action peu ordinaire: elle dispose de moyens financiers importants et a l’expérience des litiges et des procédures judiciaires. Elle a d’abord dû se battre pour obtenir son héritage, dont elle avait été privée par son tuteur. Veuve de Martin Legresle en 1577 (elle avait épousé ce secrétaire du roi et greffier du Grand conseil en 1573), elle a dû se pourvoir en justice pour obtenir le paiement de son douaire. Après vingt années de veuvage, elle s’est remariée avec Charles de La Grange, sieur de Vèvres, gouverneur d’Issoudun, ce qui lui a permis de s’insérer dans un réseau nobiliaire royaliste de premier plan. De nouveau veuve en juin 1599, elle bénéficie désormais de ressources considérables et d’une liberté importante. Notons qu’elle se remaria par la suite encore trois fois …
L’affaire est particulièrement intéressante car elle semble aller à l’encontre de l’entreprise pacificatrice du monarque. De 1563 à 1598, tous les édits de pacification ont imposé le pardon et l’oubli. Seuls quelques crimes particulièrement graves, les »cas exécrables«, restent exclus de cette politique d’amnistie. Tom Hamilton brosse une histoire de cette catégorie juridique particulière, explicitement mentionnée à partir de l’édit de 1577. Le massacre n’en fait pas partie, mais les violences à l’intérieur d’un même camp si, tout comme les »ravissemens et forcemens de femmes et filles, bruslementz, meurtres et volleries faictes par prodition, et de guet à pend, hors les voyes d’hostillité, et pour exercer vengeances particulieres, contre le debvoir de la guerre, infractions de passeportz et sauvegardes, avec meurtre et pillage, sans commandement«1, comme le rappellent les articles 86 et 87 de l’édit de Nantes. Toutes les violences privées restent donc exclues du pardon royal.
Les faits reprochés à l’accusé donnent une idée du niveau de brutalité qui est celui de la société française en ces temps de guerre civile. Deux chapitres sont consacrés aux exactions commises par les soldats, et notamment à celles qui frappent les femmes. Se pensant protégé par son statut, Delacanche malmène sans relâche les villageoises quand il s’empare de Chaumot: 13 ou 14 viols seront reconnus par la justice.
De son côté, Renée Chevalier fait preuve d’une énergie considérable, mais aussi d’une capacité à mobiliser des ressources et à imposer sa volonté à la justice royale. C’est grâce à son autorité que l’affaire peut être engagée. Au niveau local, ce sont les officiers du bailliage de Sens qui mènent les premiers interrogatoires de témoins à partir de 1596. L’affaire remonte ensuite à la chambre criminelle du Parlement en 1599, où elle est instruite très sérieusement: 16 femmes et 41 hommes sont interrogés, la plupart étant des habitants de Chaumot. Il faut souligner le nombre important des témoins féminins, alors que les dépositions de victimes de viols sont rares à cette époque. Tom Hamilton n’a ainsi identifié que 78 affaires de viol sur un échantillon de 2500 procès en appel instruits par le Parlement entre 1572 et 1610.
Bien qu’il ait sans relâche déclaré que les actes commis s’étaient déroulés dans le cadre militaire, pendant la lutte contre la Ligue, Delacanche est condamné à mort en avril 1600. L’événement fait grand bruit: le Parisien Pierre de L’Estoile a ainsi noté dans son journal que »le lundi 24e de ce mois, fust pendu en Greve à Paris, le prevost de Sens, son cri (que j’ouïs) portoit pour vols, meurtres, ravissemens de femmes et filles, et autres forfaits exécrables …«2
Tom Hamilton réussit une plongée remarquable dans le temps des guerres de Religion. Il reconstitue avec précision la société villageoise, les relations d’autorité, la licence des soldats, les violences spécifiques faites aux femmes, mais aussi la capacité d’action remarquable déployée par Renée Chevalier. L’analyse du déroulement du procès est excellente. Le rôle des magistrats parisiens (Jacques Auguste de Thou, Édouard Molé) est évoqué peut-être un peu rapidement. Ceux-ci se montrent soucieux d’exercer une justice équitable, mais ils se sentent sans doute aussi beaucoup plus proches socialement de Renée Chevalier que de Delacanche.
Il s’agit en définitive d’un véritable exercice de micro-histoire, qui reconstitue patiemment toutes les dimensions du cas étudié et les positions des différents protagonistes, sans aucun a priori. Ce type d’analyse n’a guère d’équivalent dans l’historiographie du XVIe siècle français et il enrichit considérablement notre connaissance du fonctionnement le plus concret de la justice royale, après les travaux de Natalie Z. Davis sur les lettres de rémission, de Sylvie Daubresse sur le parlement civil ou de Diane Roussel sur les violences parisiennes. Notons enfin la qualité du travail éditorial réalisé par Oxford University Press.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Nicolas Le Roux, Rezension von/compte rendu de: Tom Hamilton, A Widow’s Vengeance After the Wars of Religion. Gender and Justice in Renaissance France, Oxford (Oxford University Press) 2024, 240 p., ISBN 978-0-19-287017-9, GBP 76,00., in: Francia-Recensio 2025/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.4.114144





