Le volume n° 39 de Bien dire et bien aprandre. Revue de Médiévistique, dirigé par M.-M. Castellani et M. Marchal, est spécialement dédié à la question du rôle de la dimension ludique dans la littérature médiévale.
Sept études de cas, précédées par un avant-propos (M.-M. Castellani et M. Marchal), invitent le lecteur à analyser la question du lien entre jeu et littérature à partir de sources essentiellement françaises, datées entre le XIIe et le XVe siècle. Plusieurs questions sont posées: la dimension ludique de la danse et de la chasse au XIIIe siècle (A. Belgrado et A. Campeggiani); l’analyse de la célèbre liste des jeux d’enfants de Froissart (J. Bévant); le rôle du jeu dans le Roman de Brut (M.-M. Castellani) et dans le Jeu de paulme moralisé (M. Kamin); les formes et fonctions des jeux corporels dans les romans de chevalerie du fonds du Maître de Wavrin (M. Marchal); le cas exemplaire de la toupie entre production littéraire et culture matérielle (A. Mussou); et enfin l’exemple classique du Ludus Scacchorum, à partir d’un volgarizzamento du XIVe siècle (A. Stazzone). La revue se termine par une section de varia et des comptes-rendus de lecture qui dépassent la question spécifique du jeu au Moyen Âge.
Parmi les problématiques transversales et récurrentes du recueil, trois questions méritent une attention particulière: la portée moralisatrice et rituelle du jouer dans les sociétés médiévales; le lien entre jeu et âges de la vie; et la relation entre jeu et genre.
Dans ce cadre, le recueil s’ouvre avec la contribution de A. Belgrado et A. Campeggiani qui se distingue par l’intérêt du sujet posé: le rapport entre danse, chasse et jeu au XIIIe siècle, au croisement entre culture matérielle, histoire du littéraire et de la pensée intellectuelle, et histoire du corps. L’analyse d’une iconographie reliant danse et chasse sur un bas-relief appliqué sur une mesure de la dîme conservée au Musée national du Moyen Âge de Cluny, représente à ce sujet un exemple significatif tant pour l’étude de la dimension ludique et rituelle de la danse et de la chasse dans les sociétés médiévales, que pour la question du rapport entre jeu et genre.
Quant à la question de la portée symbolique du jeu, A. Mussou propose pour sa part un article intéressant sur la toupie en tant que métaphore, jouet et modèle cognitif. Objet d’étude emblématique de la culture ludique occidentale, la toupie est analysée ici dans une perspective diachronique et comparatiste à partir d’une multiplicité de sources différentes du bas Moyen Âge: linguistiques, littéraires, iconographiques et archéologiques. Se distinguant par ses mouvements giratoires et son équilibre précaire, la toupie dans ses multiples formes de représentation sur le long Moyen Âge, concerne en effet l’une des catégories anthropologiques et sociologiques les plus importantes pour l’analyse du jeu comme phénomène social et culturel: le vertige. Dans ce cadre, la question des âges de la vie se pose de manière significative. L’analyse d’un corpus de sources manuscrites et de plafonds peints proposée par A. Mussou, montre en effet que le motif iconographique de la toupie apparaît au Moyen Âge comme un attribut caractéristique de l’enfant.
Plus largement, la relation entre jeu et âges de la vie, souvent associée à la question du genre, est analysée dans ce volume à partir d’une variété de sources, du cas célèbre de l’Épinette amoureuse de J. Froissart (J. Bévant) à la littérature chevaleresque et courtoise du Roman deBrut (M.-M. Castellani) et des romans chevaleresques du fonds Wavrin (M. Marchal).
Quant à la portée moralisatrice du jeu, question essentielle pour les sociétés médiévales, elle est particulièrement intéressante dans l’analyse du Ludus Scacchorum, d’après un volgarizzamento du XIVe siècle (A. Stazzone), et dans le Jeu de paulme moralisé (M. Kamin), pour la fonction essentiellement didactique du jeu utile à la formation du bon chrétien.
Malgré l’intérêt des contributions proposées par ce volume, on regrette l’absence d’une réflexion introductive sur la bibliographie déjà publiée sur les jeux dans les sociétés médiévales, et plus particulièrement, sur les formes et fonctions multiples du jeu littéraire du haut Moyen Âge jusqu’à la première modernité, faisant l’objet de plusieurs études de référence. Une introduction plus approfondie à ce sujet aurait pu en effet mieux préciser les spécificités de ce recueil d’études, les choix des sources sélectionnées, et le propos général du volume par rapport aux études déjà parues sur le sujet.
Dans cette perspective, le dialogue avec l’anthropologie et la sociologie du jeu aurait pu également apporter de nouvelles clés de lecture sur des questions importantes, de la définition complexe et multiple de jeu linguistique et littéraire jusqu’à la problématique controversée de la classification des jeux, dans une perspective d’anthropologie historique, pour laquelle les sources littéraires mériteraient sans aucun doute une attention majeure.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Francesca Aceto, Rezension von/compte rendu de: Marie-Madeleine Castellani, Matthieu Marchal (dir.), Remises en jeux. Les représentations littéraires des jeux au Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq (Centre d’études médiévales et dialectales de l’université de Lille) 2024 (Bien dire et bien aprandre. Revue de Médiévistique, 39), 256 p., ISBN 978-2-907301-26-8, EUR 25,00., in: Francia-Recensio 2025/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.4.114270





