Cette nouvelle édition de la Vita de l’abbé Guillaume de Hirsau (1069/1071–5 juillet 1091; BHL 8919), fondée sur onze manuscrits, surclasse la précédente, due à Wilhelm Wattenbach (MGH SS 12, 209–225, a. 1856) et qui ne reposait que sur quatre des cinq manuscrits de l’une des deux branches de la tradition. Le manuscrit souabe, du XIIe s., retenu ici comme texte de base, était inconnu jusque-là et appartient à l’autre branche. Le titre choisi est conventionnel mais inspiré du manuscrit de Ratisbonne, également du XIIe s., car le manuscrit souabe en est dépourvu.

L’»Introduction« (1–95), particulièrement fouillée, présente Guillaume et sa Vita (1–10), s’interroge sur l’auteur et le lieu de composition (10–14), la date et le but poursuivi (14–27), le contenu et la structure (27–33), les sources et modèles (34–39), la tradition et la réception (39–50), décrit les manuscrits et les éditions (50–85), classe ceux-là (85–92) et expose les principes d’édition (92–95).

L’auteur de la Vita reste anonyme (le nom de Haimo est une invention de Jean Trithème, auteur des Annales Hirsaugienses au début du XVIe s.) mais c’est un moine de Hirsau nostalgique de Guillaume et hostile à son successeur, Gebhard, qu’il juge compromis avec le pouvoir temporel. Il a probablement composé son œuvre d’un seul jet peu après le décès de celui-ci le 1er mars 1107. Par là, Denis Drumm réfute les thèses anciennes d’une composition contemporaine de Gebhard et d’une rédaction en deux temps, avec une version originelle peu après la mort de Guillaume suivie d’un remaniement lorsque Gebhard est devenu évêque (1105–1107).1

Guillaume avait été élu dès 1069 mais avait attendu la mort de l’abbé Frédéric pour être consacré (1071). C’était incontestablement un grégorien: en 1077, il célébra Pâques à la cour de l’antiroi Rodolphe de Souabe, il donna asile à l’abbé Bernard de Saint-Victor de Marseille, légat de Grégoire VII évadé après avoir été capturé par les partisans d’Henri IV, et ce dernier ordonna à l’évêque de Strasbourg Werner II une expédition punitive contre Hirsau.

L’hagiographe magnifie le rôle de Guillaume dans la réforme de Hirsau et dans l’émancipation de son abbaye vis-à-vis de la puissance séculière en gommant le rôle initial de l’avoué, le comte Adalbert II de Calw, attesté par les sources diplomatiques. Cette réforme, certes lancée par Guillaume mais qui perdure en fait après sa mort, passe par l’élaboration de coutumes monastiques inspirées de celles de Cluny, par sept fondations (dont le prieuré de Reichenbach et Saint-Pierre d’Erfurt) et trois réformes de monastères (Tous-les-Saints de Schaffhouse à la demande des comtes de Nellenburg, Petershausen de Constance, Combourg). Soulignons l’introduction de frères lais, souvent vus dans l’historiographie française comme une innovation cistercienne.

Une liste des »Abréviations et sigles« (97–98) précède les »Sources et bibliographie«, qui sont mêlées (99–111) – ce que l’on peut regretter. En revanche, l’on ne reprochera pas à l’éditeur une bibliographie presque exclusivement germanophone tant la littérature en langues étrangères sur la réforme de Hirsau est quasiment inexistante: l’historiographie francophone se limite ainsi à des monographies périphériques2 ou à des écrits de seconde main.

Les coquilles sont rarissimes et faciles à corriger: le manuscrit inutile Clm 14966a de la Bayerische Staatsbibliothek (80–81) est bien entendu une copie du Clm 14473, le manuscrit de Ratisbonne décrit plus haut (72–75), et non du Clm 14443, qui est un exemplaire du De claris mulieribus de Boccace. Certaines précisions manquent ou tardent: la référence BHL de la Vita Willihelmi ne figure nulle part; l’on aurait préféré apprendre la date d’accession de l’abbé Gebhard à l’évêché de Spire dès qu’il en est question (12) au lieu de devoir l’attendre (15); l’éditeur donne sa nomination à l’abbatiat de Lorsch comme postérieure à celle à l’évêché de Spire (12) en renvoyant à une source qui les date du même jour, la Toussaint 1105 (15, note 88). L’éditeur paraît trop prudent quand il hésite à suivre Dieter Blume, qui a repéré dans la Vita rien moins que onze citations de celle de saint Ulrich (BHL 8362), due à Bern de Reichenau (34): une telle masse lève tout doute sur l’emprunt. Inversement, les trois passages parallèles à la Vita s. Leonis (BHL 4818) sont trop banals pour que l’on y voie assurément des citations de celle-ci.

À la suite de la Vita proprement dite (113–167) sont édités deux autres textes; il aurait été pertinent de changer les titres courants en conséquence. D’abord, l’Épitaphe métrique (BHL 8920), dont la version brève, en 31 vers (168–170), est une œuvre autonome, plus ou moins contemporaine de la Vita et dont on ne sait si elle reproduit une éventuelle inscription funéraire. En revanche, la version longue, en 48 vers (170–172), transmise par deux manuscrits rédigés vers 1487, transcrit peut-être une épitaphe placée sur la tombe de Guillaume à Hirsau et attestée en 1493; elle était récitée lors de processions comme le montre le vers 38 – et non 39 (33); épitaphe longue et inscription funéraire semblent liées à l’introduction à Hirsau, en 1458, de la réforme de Bursfeld, ce grand mouvement de retour à l’observance bénédictine inauguré dans les années 1430 et qui a marqué le monachisme de l’espace germanique au sens large. Ensuite, l’Hymne (173–174), composée indépendamment de la Vita dès la première moitié du XIIe s., plus probablement à Admont qu’à Hirsau et dont la tradition se cantonne aux quatre manuscrits autrichiens, parmi lesquels trois volumes estivaux du Grand Légendier d’Autriche: ce semble un remaniement du matériau hagiographique de Hirsau destiné à des monastères d’Autriche.

L’apparat savant des éditions est substantiel. L’apparat critique n’indique les variantes graphiques que pour les noms propres car l’actualisation éventuelle de leurs graphies est pertinente pour établir la tradition manuscrite. Les leçons du manuscrit d’Erfurt, le plus divergent, ne sont données que si elles ne sont pas isolées. L’ouvrage se termine avec les annexes et index attendus: concordance avec l’édition de Wattenbach (175–176) et table des chapitres dans le ms. de base (177–178: 36 §) et dans le ms. d’Erfurt (179–180: 30 §); index des citations (183–184) et des noms et matières (185–195).

Nul doute que cette belle édition conduira les chercheurs allemands à de nouveaux travaux sur la réforme de Hirsau. L’on souhaiterait qu’elle décide aussi les historiens étrangers, notamment français, à se pencher enfin sérieusement sur cet avatar germanique de la réforme monastique et du moment grégorien du XIe s.

1 Wattenbach, éd. citée, 209. Stephanie Haarländer, Was ist ein Reformabt? Beobachtungen an der Prosavita Wilhelms von Hirsau (1069‑1091), dans: Dorothea Walz (dir.), Scripturus vitam. Lateinische Biographie von der Antike bis in die Gegenwart. Festgabe für Walter Berschin zum 65. Geburtstag, Heidelberg 2002, 461–473.
2 Brigitte Meijns, Hirsau dans la plaine côtière flamande? La prévôté de Watten, les évêques de Thérouanne et la réforme de l’Église sous Grégoire VII (1073–1085), dans: Jeff Rider, Benoît-Michel Tock (dir.), Le diocèse de Thérouanne au Moyen Âge. Actes de la journée d’études tenue à Lille le 3 mai 2007, Arras 2010, 81–97.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Bruno Saint-Sorny, Rezension von/compte rendu de: Denis Drumm (ed.), Die Vita Abt Wilhelms von Hirsau. Vita Willihelmi abbatis Hirsaugiensis, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2025, VII–195 S., 1 Abb., 1 Diagramm (Monumenta Germaniae Historica. Scriptores rerum Germanicarum in usum scholarum separatim editi, 86), ISBN 978-3-447-12337-2, EUR 50,00., in: Francia-Recensio 2025/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.4.114274