Avec cet ouvrage exceptionnel, l’équipe des médiévistes de l’Académie autrichienne des sciences (Österreichische Akademie der Wissenschaften) parachève sa colossale édition critique des registres du pape Innocent III, commencée en 1964 avec le premier volume et à laquelle il ne manque plus qu’un dernier recueil (1215/1216), lequel sera sans doute très court en raison du peu de documents conservés. Les historiens de l’Église et du Moyen Âge ont une dette durable envers ces nombreux universitaires de langue allemande qui, depuis Othmar Hageneder avec l’Institut historique autrichien de Rome (Österreichisches Kulturinstitut in Rom), jusqu’à Andrea Sommerlechner, Christoph Egger et Werner Maleczek, ont compilé, rassemblé, édité et commenté près de quatre mille lettres conservées dans les registres pontificaux et dans les chancelleries de l’Europe latine. Une telle œuvre, qui n’a pas d’équivalent en termes de critères scientifiques, marquera la recherche et démontre combien le travail d’édition critique est essentiel aux historiens, en dépit de son côté laborieux. En faisant des choix de présentation clairs et uniformes dans le texte latin – que l’on pourra toujours contester dans le détail (virgules, annotations, pertinence de telle graphie) –, les éditeurs ont su garder la ligne de la cohérence et de la lisibilité (XLIX–LII), marque d’un savoir-faire qui tend à se perdre et d’une humilité face à la source qui fait honneur à leur profession.

Dans une introduction roborative et remarquable de précision (VII–CVII), les auteurs détaillent la tradition manuscrite du registre de l’année 1213/1214 (VII–XIII), qui s’appuie principalement sur les 33 folios d’un manuscrit avignonnais de 1367, recopiant le codex original, le Registrum Vaticanum 8, déjà édité en 1635 par François du Bosquet, devenu archevêque de Narbonne. L’étude codicologique (XIII–XXIII) s’attache à décrire les conditions matérielles du manuscrit, les graphies des deux copistes (notamment les lettrines, les abréviations, les ponctuations, les encres, les regrets), la numérotation des lettres, leur système de datation, leurs adresses et certains intitulés ajoutés par les secrétaires de la chancellerie. La présentation de l’édition (XXIII‑CVII) justifie longuement les choix ecdotiques adoptés, souvent distincts du travail de Bosquet, ainsi sur l’orthographe, les graphies fautives et les lacunes (ex.: dissimilare pour dissimulare, mittis pour mitis, etc.), notamment sur les noms propres (XXXIII‑XXXV).

L’ouvrage s’attache en outre à résumer les acquis de cette seizième année du pontificat par les principales thématiques des affaires traitées (XXXVI–XLV): la croisade, la diplomatie avec les différents souverains européens, les grandes légations, la réforme de l’Église, les missions, pour finir par une évaluation du travail de la curie. On regrettera éventuellement que cette année 1213/1214 ne soit pas plus inscrite dans une approche diachronique du pontificat, montrant par exemple comment elle se situe dans les processus de concentration administrative parallèles à l’affirmation de la plenitudo potestatis, évolution frappante entre 1209 et 1214.

À cette introduction sont associées plusieurs annexes d’une grande utilité: la liste des lettres passées dans les décrétales (LIV, complétée par leur pagination dans le corpus, 323), la concordance entre les différentes éditions, notamment Bosquet et Migne (LV‑LVIII), une table des destinataires et des datations (LIX‑LXVI), et enfin la liste des exordes stéréotypés, qui sont la marque des pratiques de la chancellerie pontificale après la réforme des années 1203–1205 (LXVII‑LXIX). Après la liste des abréviations et une belle bibliographie mise à jour sur le pontificat (LXX‑CVII) vient l’édition critique elle-même (1–312), parachevée par les incipits des lettres (315–317), les références bibliques (319–321), l’index onomastique dédoublé par lieu et par personne (325–372), et enfin huit fac-similés, purement illustratifs (Abb. I‑VIII).

Sans entrer dans le détail de l’analyse des lettres, remarquons que les présentations de chacune d’elles sont adaptées à leur importance historique. Ainsi la bulle Quia maior nunc (n° 28, 52‑60), qui convoque la cinquième croisade, fait l’objet d’un propos liminaire d’une grande utilité, ainsi que d’annotations sur les doutes de sa datation.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Olivier Hanne, Rezension von/compte rendu de: Andrea Sommerlechner (Bearb.), gemeinsam mit Othmar Hageneder, Rainer Murauer und Herwig Weigl (Hg.), Die Register Innocenz’ III. 16. Band. 16. Pontifikatsjahr, 1213/1214. Texte und Indices, Wien (Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften) 2024, CVII–373 S., 8 Farbtafeln (Publikationen des Österreichischen Historischen Instituts in Rom. II. Abteilung. Quellen. 1. Reihe), ISBN 978-3-7001-9510-8, DOI 10.1553/978OEAW95108, EUR 160,00., in: Francia-Recensio 2025/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.4.114405