Les manuscrits juridiques du haut Moyen Âge font l’objet depuis plusieurs années d’un vif intérêt, stimulé, entre autres, par des projets collectifs d’envergure comme Bibliotheca Legum, Capitularia. Edition der fränkischen Herrschererlasse, ou encore Formulae – Litterae – Chartae; c’est le projet Capitularia, piloté par Karl Ubl à l’université de Cologne qui a accueilli les 23 et 24 mars 2025 la rencontre dont est issu le volume. Les dix contributions réunies sont organisées en cinq sections, qui n’apparaissent pas dans le sommaire mais dont Dominik Trump indique la logique dans son introduction.

Les capitulaires ouvrent la voie. Britta Mischke présente la Collectio Thuana, compilation des lois lombardes augmentée de capitulaires de 779 à 856, du ms. Paris, BnF, lat. 4613, traditionnellement datée du Xe siècle mais qu’il faudrait plutôt repousser au début du siècle suivant et localiser en Italie méridionale. Alors qu’on datait jusqu’à présent la réalisation de la collection du règne de Louis II, sur la base du fait que le capitulaire le plus récent est de 856, il faut la déplacer au tournant des IXe et Xe siècles, car le ms. peut être complété par deux feuillets de Bibliotheca Apostolica Vaticana, Reg. lat. 263. Cette découverte ne rend que plus importante la Collectio Thuana, et ce témoin qui l’a copiée, parmi les entreprises qui ont ouvert la voie au Liber Papiensis. Sören Kaschke, quant à lui, se penche sur la Collectio Augustana par le biais du meilleur de ses trois témoins, München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 3853 (troisième quart du Xe siècle, Augsbourg?). La collection est formée de deux parties sensiblement égales, l’une de contenu pénitentiel et canonique jusqu’à 922, l’autre de capitulaires jusqu’à 884, ces derniers étant organisés en cinq sous-collections, dont S. K. détermine la provenance et la sélection. L’ensemble convient bien à l’exercice du ministère épiscopal et pourrait trouver son origine en Alémanie, où cette collection ne put cependant soutenir la concurrence avec le De synodalibus causis de Réginon de Prüm.

Viennent ensuite les lois »barbares«. Daniela Schulz livre une étude de Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Cod. Guel. 50.2 Aug. 4° (première moitié du IXe siècle), témoin de petit format de la loi salique dans sa version K (Lex Salica Karolina), complétée par quatre capitulaires de Charlemagne et de Louis le Pieux. Elle y relève les traces de lecture sur une longue durée et remet en question sa provenance supposée: s’il a bien été copié en France du Nord‑Est, son passage par la bibliothèque de Wissembourg est peu probable, à en juger par les noms des personnes qui y furent inscrits sur trois de ses feuillets. Magali Coumert présente ensuite les Excerpta de libris Romanorum et Francorum, liste d’amendes et de peines pour des délits divers, d’origine bretonne et transmise par six manuscrits des (IXe–XIe siècle). En dépit de son association récurrente à la Collectio canonum Hibernensis et à la présence de gloses brittoniques, il faut renoncer à y voir une »loi des Bretons d’Armorique«, c’est-à-dire à lui accoler une dimension ethnique dont elle est dépourvue.

Deux recueils de formules occupent ensuite l’attention. Benedikt Lemke établit que Paris, BnF, lat. 4627, un des témoins de la loi salique dans sa version D, fut composé pour les besoins de la chancellerie sénonaise au temps de l’archevêque Jérémie (822‑828) et n’émane donc pas de la cour comme on l’a toujours pensé. Comme l’avait proposé Rosamond McKitterick, il s’agit d’un »ms. de notaire«, pour la réalisation duquel a été repris un modèle du VIIIe siècle où se trouvaient les Cartae Senonicae, auxquelles furent ajoutées les Formulae Senonenses recentiores. Plusieurs ajouts, dont des formules liturgiques pour l’ordalie du pain et du fromage, témoignent de son utilisation jusqu’au tournant des Xe–XIe siècles. Horst Lößlein et Christoph Walther font un travail analogue à propos de Paris, BnF, lat. 2123, copié à Flavigny vers 815 et qui contient un formulaire issu de ceux de Marculf et de Tours, augmenté de formules propres à Flavigny. Le contexte d’emploi est cette fois monastique: le livre, où se trouvent également la Collectio Herovalliana et diverses pièces relatives au droit canonique et au dogme, est conçu pour servir à l’administration de Flavigny dans tous les domaines, de la doctrine et de la discipline à la gestion des biens monastiques.

Le droit canonique, précisément, est bien représenté. Helena Geitz consacre un essai aux additions apportées à la Collectio Vetus Gallica (Lyon, début du VIIe siècle) lors du travail de révision qui fut effectué à Corbie pour son édition au VIIIe siècle, et dont le matériau est principalement d’origine pontificale, notamment la pièce la plus récente, les canons du synode romain de 721. Ces derniers étant largement diffusés, il est aisé de voir que la Vetus Gallica en transmet une version non seulement abrégée, mais aussi modifiée, principalement par l’apport d’un canon sur l’homicide. Comme cela a été constaté pour bien d’autres textes normatifs, la leçon qu’il faut en tirer est que la loi n’a rien d’intangible et que les copistes gardent vis-à-vis d’elle une certaine liberté de création, pour autant que celle-ci serve les intérêts portés par le législateur. Sven Meeder, à partir du seul témoin de la Collectio Burgundiana (Bruxelles, KBR, 8780–8793, VIIIe/IXe siècles), s’interroge pour sa part sur la nature de cet assemblage hétéroclite d’extraits de canons, de lettres pontificales, de décrets pénitentiels, de règles monastiques et de textes patristiques. Il pourrait s’agir d’un point d’étape dans un travail plus vaste, aux perspectives multiples, sans qu’il faille forcément privilégier l’interprétation en vigueur, selon laquelle sa raison d’être serait celle d’un manuel canonique à l’usage des évêques. Quant à l’ample Collectio duorum librorum prima, elle aussi transmise par un ms. unique, Milan, Biblioteca Ambrosiana, A 46 inf. (fin du IXe siècle) et qui défend les intérêts des évêques face aux métropolitains, Till Stüber suggère qu’elle aurait été composée à Laon par un même individu, à partir des sources disponibles dans la bibliothèque épiscopale, à commencer par le matériau canonique qu’avait rassemblé Hincmar de Laon.

Enfin, Matthijs Wibier attire l’attention sur les gloses apportées probablement au IXe siècle à la Lex Romana Visigothorum et que transmettent cinq manuscrits des IXe–Xe siècles; il en fournit la première édition complète.

Il était demandé aux contributeurs de répondre aux questions suivantes: existe-t-il des traits propres au manuscrit juridique, quelles traces de lecture et d’usage peut-on y observer, que dit la production juridique de la société du haut Moyen Âge? Le volume répond pleinement à ces attentes et l’on ne peut que souhaiter la multiplication de telles études qui, un manuscrit et un texte après l’autre, construisent le socle d’une histoire renouvelée de la formation du droit, de sa réception et de ses usages durant le premier Moyen Âge.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

François Bougard, Rezension von/compte rendu de: Dominik Trump, Dominik Leyendecker (Hg.), Rechtshandschriften des frühen Mittelalters, Ostfildern (Jan Thorbecke Verlag) 2025 (Quellen und Forschungen zum Recht im Mittelalter, 15), 298 S., ISBN 978-3-7995-6095-5, EUR 39,00., in: Francia-Recensio 2025/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2025.4.114406