Ce livre collectif important se présente comme à la fois un bilan historiographique et un ensemble d’études de cas inédites sur des manifestations de résistance, de dissidence et d’opposition en RDA. Ces trois termes ont été choisis pour indiquer et embrasser le champ large et graduel des refus face au régime, qui se sont exprimés diversement dans les sphères culturelles, intellectuelles, sociales et politiques et ont donné lieu à différentes typologies que présente la double introduction d’Hélène Camarade, Sybille Goepper et de Bernd Lindner. Ayant une visée à la fois ambitieuse et pédagogique, l’ouvrage se distingue par trois apports principaux: l’introduction à une réflexion historiographique destinée à un public français, le tableau de synthèse qu’il dresse des phénomènes de refus entre 1949 et 1990 et la présentation d’outils et de sources permettant de les cerner et de les étudier.

Tout d’abord, le livre peut se lire comme un véritable essai d’histoire croisée, parce qu’il réfléchit aux possibilités de comparaison entre l’histoire du nazisme et celle de la RDA, tout en intégrant des questionnements venus d’historiens français. On sait que l’abondante historiographe sur la résistance au nazisme a beaucoup évolué depuis 1945 en Allemagne de l’Ouest et qu’elle a produit une riche réflexion sémantique sur les phénomènes à intégrer et les concepts à utiliser pour analyser et hiérarchiser les manifestations aussi diverses que la résistance armée, la dissidence politique ou intellectuelle et les formes plus diffuses ou partielles d’opposition à la dictature hitlérienne. L’historiographie sur le régime est-allemand étant postérieure (elle se développe à partir de 1990), elle a su tirer profit de la fécondité de ces questionnements et propositions conceptuelles. C’est pourquoi on peut lire le présent ouvrage en miroir des synthèses déjà parues sur la résistance au nazisme, comme l’explicite d’ailleurs la contribution de Gilbert Merlio. Cet arrière-plan comparatif entre les deux dictatures allemandes a de fait structuré la recherche depuis 1990. Le décentrement par rapport à ce que serait une histoire de la RDA seule est complété par deux autres mises en perspective intéressantes pour un lectorat français: celle d’Olivier Wieviorka sur l’éventuelle transposition dans le cas est-allemand de questionnements provenant de l’histoire de la Résistance en France et celle de Jacques Semelin, qui propose une réflexion à l’échelle du bloc de l’Est sur les soulèvements et les oppositions survenus entre 1953 et 1989.

Au-delà de cet enjeu historiographique, le livre constituera vite une référence pour tous ceux qui s’intéressent au sujet même des refus multiformes exprimés face à la dictature est-allemande: il présente un maniement aisé, de par son découpage en grandes séquences chronologiques (1945–1961, les années 1970–1980, l’année 1989) ou thématiques (permettant alors de mettre l’accent sur des champs particuliers où la dissension a pu s’exprimer malgré la censure et le contrôle politique et social du régime). On pense notamment à l’espace de la culture, dessiné par des revues littéraires comme »Theater der Zeit« (Florence Baillet), des maisons de la culture notamment à Berlin-Est dans les années 1980 (Élisa Goudin-Steinmann), des artistes, des villes comme Leipzig (Jacques Poumet), ou encore des milieux spécifiques comme ceux qui s’investissent dans la protection du patrimoine religieux (Sylvie Legrand). Une dissidence s’est aussi développée à l’intérieur du socialisme et de ses institutions. Des trajectoires d’intellectuels sont analysées comme celles, plus attendues, de Wolf Biermann, de Robert Havemann (Bernd Florath) ou de Rudolf Bahro (Anne-Marie Pailhès). Une réflexion est ici menée sur les facteurs conduisant de la dissidence à l’intérieur de la RDA à l’opposition comme transfuge en RFA et sur les moyens de rester alors en contact avec la population est-allemande. Dans ce panorama, les études de cas précises n’empêchent pas la mise en lumière de grandes tendances. Le livre fournit une bibliographie et un glossaire très utiles pour les Français. Il acquiert par là un statut d’outil de travail.

Enfin, l’ouvrage offre aux lecteurs français un regard sur les sources disponibles pour traiter ces sujets qui sont, par définition, difficiles à saisir puisque clandestins ou utilisant les marges d’action laissées par le régime malgré la surveillance parfois fatale des agents du ministère de la Sécurité d’État. Les archives de la Stasi constituent bien sûr une source majeure pour écrire l’histoire des oppositions à partir des rapports des collaborateurs non-officiels. Un entretien mené par Christian Wenkel avec Bernd Florath, historien et chercheur dans l’Administration fédérale chargée des archives de la Stasi (BStU), explique quels choix politiques lors de la réunification ont conduit à la réglementation archivistique actuelle et comment ils ont rencontré les attentes de la population est-allemande.

Florath a lui-même un passé d’opposant: étudiant, il a été renvoyé de la faculté d’histoire de l’université Humboldt en raison de ses activités lors de l’affaire Biermann en 1976 et a dû se racheter en travaillant comme ouvrier avant de reprendre ses études. Il s’est engagé dans le mouvement de défense des droits civiques Neues Forum entre 1989 et 1993. On lira également un entretien croisé avec deux autres témoins, Frank Ebert et Peter Grimm, membres de groupes d’opposition et auteurs de samizdats à Berlin-Est dans les années 1980, montrant aussi l’intérêt des sources orales pour écrire cette histoire du temps présent.

On ne saurait donc trop recommander ce livre pionnier abordant un sujet aussi majeur que passionnant.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Marie-Bénédicte Daviet-Vincent, Rezension von/compte rendu de: Hélène Camarade, Sibylle Goepper (dir.), Résistance, dissidence et opposition en RDA 1949–1990, Villeneuve-d’Ascq (Presses universitaires du Septentrion) 2016, 404 p. (Histoire et civilisations), ISBN 978-2-7574-1160-5, EUR 32,00. , in: Francia-Recensio 2017/4, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2017.4.43156