L’Académie autrichienne des sciences et l’Académie des sciences et littérature de Mayence ont patronné la publication des régestes de la dynastie impériale salienne en de beaux fascicules, dont les deux exemplaires ici recensés portent sur la seconde partie du règne d’Henri IV, de 1076 (paroxysme du confit entre l’empereur et le pape Grégoire VII) à 1106, date de la mort du souverain.
Les auteurs ont rassemblé dans ces volumes tous les documents illustrant année après année le règne d’Henri IV: chartes impériales, documents d’archives, extraits de chroniques et d’annales, de cartulaires monastiques, de nécrologes, de lettres pontifcales, une grande variété de sources ont été mises à proft pour dresser le panorama le plus complet possible de ces trente années de règne. Chaque régeste, qui inclut le plus souvent des extraits en latin du document originel, est complété par un long commentaire archivistique et historique, ainsi que par une bibliographie très complète, démontrant l’érudition impeccable des éditeurs. Un seul regret: les documents sont très inégalement répartis au long des 30 années ici illustrées; 54 régestes pour l’année 1084, presque autant pour les séjours italiens du souverain, mais seulement une bonne dizaine pour chacune des dernières années de règne.
Que peut-on retenir d’une histoire extrêmement mouvementée? D’abord les épisodes de la querelle des Investitures qui voit s’affronter pouvoirs impérial et pontifcal. Grégoire VII prononce en 1076 l’excommunication d’Henri IV, accueille le pénitent à Canossa, puis doute rapidement des intentions de l’empereur, dont l’excommunication est répétée près de huit fois les années suivantes. Il est vrai que le souverain ne se prive pas d’investir à tour de bras évêques et abbés tant en Germanie qu’en Italie du Nord, octroyant crosse et anneau, symboles éminents du pouvoir épiscopal, comme lors de l’investiture de l’archevêque de Trèves le 6 janvier 1079.
Son confit avec le pape amène Henri IV à passer de longs mois et même de longues années en Italie. Ces régestes permettent de mesurer ses séjours: trois mois et demi en 1077, trois ans et trois mois d’avril 1081 à juin 1084, près de sept ans de mars 1090 à avril 1097, si l’on excepte un bref retour au-delà des Alpes en 1094. Il y est accompagné par l’antipape, Clément III, qu’il a fait nommer, à la suite de son excommunication par Grégoire VII. Il y rencontre des alliés mais aussi de fortes oppositions: Mathilde de Toscane, soutien du pape, des villes lombardes et vénètes, dont Mantoue, plusieurs fois assiégée, Rome, enfn, où le château Saint-Ange, refuge pontifcal, se révèle imprenable. Près d’un quart du règne se déroule ainsi dans la péninsule, où le basileus Alexis Ier Comnène envoie de l’argent au souverain, en l’invitant à l’aider contre les Normands de Robert Guiscard.
La situation d’Henri IV dans l’Empire n’est pas meilleure. Il s’y heurte à des ennemis redoutables: Rodolphe de Souabe, le duc Welf de Bavière, Hermann de Luxembourg, les Saxons, une partie des princes laïcs et ecclésiastiques. Son temps est souvent occupé par de longues chevauchées en Saxe, pas toujours heureuses, et par des négociations infructueuses avec ses adversaires. Curieusement, en ce temps de la Première croisade, il est peu question de Jérusalem dans ces régestes. Par deux fois seulement en novembre 1102 et en janvier 1103, Henri IV fait part de son intention de supprimer le schisme, de rétablir l’unité de l’Église et de partir en pèlerinage en Terre sainte. Projet sincère ou opportunisme politique? Les régestes ne permettent pas d’en savoir davantage. Car le souverain doit aussi compter avec des dissensions familiales: son épouse Eupraxie (Adélaïde) l’accuse de mœurs dissolues, ce qui lui vaut une nouvelle excommunication en 1095. Tour à tour, ses deux fls, Conrad, puis le futur Henri V, l’abandonnent et lui font la guerre; ce dernier l’oblige à abdiquer, l’enferme à Böckelheim d’où il réussit à s’enfuir et à gagner Cologne, puis Aix-la-Chapelle et Liège, où il meurt le 7 août 1006.
Ces quelques évocations montrent l’excellent parti que l’on peut tirer de ces régestes: une documentation complète sur un règne souvent perturbé, où s’affrontent deux pouvoirs pour la domination de l’Occident, pape et empereur. Il reste à souhaiter qu’à partir de cette riche base documentaire soit écrite une synthèse qui fait défaut dans l’historiographie française.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Michel Balard, Rezension von/compte rendu de: J. F. Böhmer, Regesta Imperii. III. Salisches Haus: 1024–1125, 2. Teil: 1056‒1125, 3. Abt.: Die Regesten des Kaiserreiches unter Heinrich IV. 1056 (1050)–1106, 3. Lfg.: 1076‒1085. Nach Vorarbeiten von Tilman Struve † neubearbeitet von Gerhard Lubich, unter Mitarbeit von Dirk Jäckel, Köln, Weimar, Wien (Böhlau) 2016, VIII–308 S., ISBN 978-3-412-50597-4, EUR 62,00; J. F. Böhmer, Regesta Imperii. III. Salisches Haus: 1024–1125, 2. Teil: 1056–1125, 3. Abt.: Die Regesten des Kaiserreiches unter Heinrich IV. 1056 (1050)–1106, 4. Lfg.: 1086–1105/06. Neubearbeitet von Gerhard Lubich nach Vorarbeiten von Daniel Brauch, unter Mitarbeit von Matthias Weber, Köln, Weimar, Wien (Böhlau) 2016, VIII–191 S., ISBN 978-3-412-50598-1, EUR 57,00., in: Francia-Recensio 2017/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2017.4.43267