Dans les dernières décennies, la traduction médiévale a suscité de nombreuses études. Publiée par Brill, la série »The Medieval Translator« réunit depuis 1987 des contributions sur ce sujet. Le dernier volume, paru par les soins de Pieter De Leemans et Michèle Goyens, assemble 24 articles qui couvrent un large espace temporel, allant du Xe siècle (Aelfric) à la Renaissance (une traduction française anonyme de Dante). D’un point de vue géographique, le spectre des traditions linguistiques est varié également, tout en offrant une étendue moins vaste. C’est la littérature anglaise (ancien anglais et moyen anglais) qui se taille la part du lion avec 11 contributions, suivie par le français (4), et plus loin par le néerlandais, le norrois et l’italien, qui collectionnent tous une étude chacun. Deux articles se penchent sur la traduction du vernaculaire vers le latin, et il est affronté également le cas de Brunet Latin, qui traduit la même œuvre, le »De inventione«, deux fois, en italien et en français

Le fil conducteur qui relie les contributions et qui donne le titre au volume est le rapport entre traduction et autorité. Au centre des travaux est donc une notion centrale pour la culture médiévale et qui, à la différence d’autres notions en usage dans l’académie, a l’avantage d’avoir été conceptualisée par les hommes du Moyen Âge eux-mêmes1.

Parmi les questionnements généraux qui traversent l’ensemble du recueil se trouve la question de la traduction de la parole divine. Le problème de la version de la Bible débouche, selon les contextes et les auteurs, sur des réponses multiples et divergentes. Celles-ci touchent souvent la question de l’acte de traduction lui-même, et présentent par conséquent un intérêt primordial dans la reconstruction d’une théorie médiévale de la traduction (articles de Paul Wackers, Marcela K. Perett, Sharon Rhodes). La question se présente en des termes semblables pour ces autres ouvrages, spirituels ou hagiographiques, qui transmettent la vérité chrétienne (Naoë Kukita Yoshikawa, Tamás Karáth, Marthe Mensah et Claude Schwerzig, Courtney Rydel).

Le rapport entre style ou forme discursive et autorité du texte sous-tend différentes analyses. Il est parfois au centre de la contribution, comme dans le cas de Graziella Pastore. Son étude porte sur une traduction de Valère Maxime, qui englobe des morceaux d’un commentaire médiéval latin (Simon de Hesdin et Nicolas de Gonesse, fin XVe siècle). Si la traduction de Valère Maxime est marquée par une profonde littéralité, la version du commentaire se distingue en revanche par une plus grande liberté. La différence dans le traitement stylistique dépend du statut d’auctoritas propre au texte-source. Michelle Bolduc aborde, quant à elle, les stratégies discursives employées par Brunet Latin à l’intérieur de ses traductions du »De inventione«. Sa persona de traducteur se déploie différemment dans sa version française, qui a la forme d’une paraphrase, et celle italienne, davantage fidèle et accompagnée d’un commentaire2 . La posture de paraphraste permet au Florentin d’établir un statut d’autorité dans le domaine de la rhétorique vernaculaire, que le rôle de commentateur ne lui garantit pas.

Serait-il donc possible que la traduction s’élever au rang de texte d’autorité? Charles Burnett aborde magistralement cette question à partir d’un cas d’étude, tirée du XIIe siècle latin. La destinée du traducteur Gérard de Crémone, bien qu’elle soit à certains égards exceptionnelle, se révèle d’un intérêt remarquable. Grâce à l’activité apologétique de ses élèves et de ses concitoyens, celui-ci a été considéré comme une autorité, en dépit du fait qu’il se soit dédié exclusivement aux traductions et qu’il n’ait pas signé ses travaux.

Quoiqu’un certain nombre d’articles s’éloignent quelque peu du sujet retenu, ainsi qu’il est inévitable dans des recueils de cette ampleur, nous pouvons saluer, en conclusion, la cohérence du volume, qui se fait remarquer également pour son ouverture. Grâce à la qualité des auteurs, l’ouvrage apporte des contributions importantes à l’étude du concept d’»auctoritas« ainsi qu’à celle de la théorie et de la pratique de la traduction médiévale.

1 Alastair Minnis, Medieval Theory of Authorship, Londres 1984.
2 Les sources utilisées par Brunet Latin (commentaire de Victorin, Boèce, etc.) n’ont pas été puisées de première main, comme l’écrit l’auteur de l’article à la p. 74, mais lui sont arrivées par l’intermédiaire d’un commentaire latin, ainsi que l’avait vu Gian Carlo Alessio, Brunetto Latini e Cicerone (e i dettatori), dans: Italia medioevale e umanistica 22 (1979), p. 123–169.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Francesco Montorsi, Rezension von/compte rendu de: Pieter De Leemans, Michèle Goyens (ed.), Translation and Authority – Authorities in Translation, Turnhout (Brepols) 2016, 391 p., 7 b/w ill. (The Medieval Translator. Traduire au Moyen Âge, 16), ISBN 978-2-503-56676-4, EUR 85,00., in: Francia-Recensio 2017/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2017.4.43272