Ce livre issu de la thèse de doctorat soutenue par Dörthe Buchhester devant l’université de Greifswald, est consacré à l’action et à la situation de princesses de maisons du nord et de l’est de l’Empire au début de l’époque moderne. L’auteure ancre son ouvrage dans le champ des études de genre ainsi que dans celui des recherches sur »la famille princière« au-delà de l’histoire dynastique traditionnelle, même si ce sont bien deux lignages princiers, les Greifen de Poméranie et les Ernestins de Saxe, qui forment le cadre de l’analyse. C’est donc la princesse en tant qu’actrice sociale et comme vectrice culturelle qui est au cœur de ce livre.

L’introduction établit de manière stimulante les liens entre l’histoire du genre et l’approche sociologique. La thèse a du reste vu le jour dans le cadre d’un projet financé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft intitulé »Transferts culturels dans les cours princières allemandes au tournant du Moyen Âge et de l’époque moderne«. On comprend dès lors les deux ambitions principales de ce travail: non seulement rendre compte des changements à l’œuvre à cette époque charnière, en déplaçant la perspective vers le cas particulier de princesses »réformées«, mais aussi croiser de manière dynamique les apports récents de l’histoire du livre, de la lettre et de l’écrit en général, pour enrichir l’histoire culturelle de la cour, qui a été renouvelée en profondeur ces dernières années. Les implications politiques de la place qu’occupent les femmes dans les alliances entre les lignages protestants après la défaite de Mühlberg (1547), ne sont pas éludées. L’auteure éclaire ainsi, à partir du genre, certains aspects finalement peu étudiés de l’histoire du nord de l’Empire, notamment la manière dont la branche ernestine parvient à surmonter la perte de la dignité électorale et le rôle des stratégies matrimoniales dans la recomposition des équilibres au sein du camp protestant après le démantèlement de la Ligue de Smalkalde. L’objectif est de démontrer que les liens familiaux, et plus particulièrement le noyau familial restreint, jouent à partir du XVIe siècle un rôle central dans les transferts culturels et l’éducation des enfants, tout en mettant en lumière le rôle spécifique des femmes dans cette évolution. Une place importante est consacrée à l’action de Marie de Saxe (1515–1583), épouse du duc Philippe Ier de Poméranie, à travers ses lectures et sa correspondance. D’autres princesses font l’objet d’analyses poussées, notamment la demi-sœur du duc Philippe Ier , Georgia Posthuma (1531–1573), fille du duc Georges de Poméranie et de sa seconde épouse Marguerite de Brandebourg (Philppe Ier étant issu du premier mariage de Georges).

L’analyse s’organise autour de deux thèmes centraux. Ce sont dans un premier temps l’éducation et les lectures de la princesse qui sont étudiées. La période envisagée offre à ce titre un terrain d’observation particulièrement propice car elle voit l’établissement de la première bibliothèque ducale à la cour de Poméranie, un type d’espace fortement marqué par l’emprise et la présence des femmes. Dans un deuxième temps, la princesse apparaît comme actrice, par sa correspondance, de la communication entre les cours. Le lecteur est donc invité à considérer la princesse tour à tour comme lectrice et comme épistolière, deux postures qui, ainsi mises en regard, confèrent à cet ouvrage une grande cohérence.

De nombreux éléments de la première partie renouvellent l’approche de la lecture et des bibliothèques; nous ne pourrons en citer que quelques-uns ici. Ainsi, l’expression »bibliothèque de famille«, particulièrement parlante, permet à l’auteure d’identifier de manière subtile les usages et les usagers d’une bibliothèque ducale. Au-delà de la valeur symbolique du livre dans la société de cour allemande et protestante du XVIe siècle, ce sont également la matérialité et le maniement de l’objet qui apparaissent, ainsi lorsqu’un ouvrage est commandé sur papier afin de ne pas abîmer exemplaire sur parchemin déjà présent dans la bibliothèque. L’éducation occupe selon l’auteure une place de choix dans les usages du livre à la cour poméranienne. La formation de la princesse dans les appartements réservés aux femmes (Frauenzimmer) est également étudiée dans cette première partie qui accorde une grande importance aux lieux de vie et de formation des femmes de la cour, le chapitre consacré à l’éducation des ducs offrant un contre-point particulièrement opportun dans la perspective de l’histoire du genre. À la cour de Poméranie, les compétences de base (lecture, écriture, catéchisme) sont acquises sans distinction de genre et dans les appartements des princesses avec une nouveauté importante dès le XVIe siècle: tous les enfants doivent savoir écrire.

Les écrits analysés dans un deuxième temps sont avant tout de nature épistolaire; ils éclairent d’un jour original les contacts entre la Poméranie, la Saxe et la principauté d’ d’Anhalt à la fin du XVIe siècle. La présence d’une correspondance relativement importante des deux épistolières que sont Marie de Saxe et Georgia Posthuma permet des comparaisons et un examen fondé sur les thèses de Niklas Luhmann: la correspondance entre Georgia et sa mère Marguerite de Brandebourg, notamment, est présentée comme fondant un système de communication lui-même producteur de »connexion«, qui permet à chaque correspondant d’agir en vue de la conservation du lien, et ce à la faveur de chaque acte épistolaire. Cette approche a le mérite de souligner l’importance des attentes partagées dans la communication épistolaire tout en éclairant les inférences d’acteurs qui lui extérieurs, comme par exemple lorsque le duc Philippe, qui s’oppose formellement à toute visite de Marguerite à Georgia, impose ses règles à la correspondance entre mère et fille, bien conscient que cet échange est potentiellement un lieu de contestation de son pouvoir. La relativisation d’une étude uniquement »informative« de la correspondance, désormais largement admise parmi les historiens, est fréquemment soulignée par l’auteure qui offre une typologie détaillée des fonctions de la lettre. Sans nier les apports de ces développements, on peut se demander si une telle approche n’appauvrit pas la démonstration en réduisant la communication épistolaire à un système dont les buts ne seraient rien d’autre que la communication elle-même.

La structure claire de ce livre par ailleurs bien écrit permet une lecture agréable. Le goût pour les sources et la capacité de l’auteure à en insérer l’interprétation dans des réflexions théoriques font de cet ouvrage une contribution importante à l’histoire de la cour et du genre, avec des apports multiples dans des domaines tels que l’histoire de la famille, celle du livre, celle de la communication et celle de l’épistolarité.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Indravati Félicité, Rezension von/compte rendu de: Dörthe Buchhester, Die Familie der Fürstin. Die herzoglichen Häuser der Pommern und Sachsen im 16. Jahrhundert: Erziehung, Bücher, Briefe, Frankfurt a. M. (Peter Lang Edition) 2015, 341 S., 9 s/w Abb. (Medieval to Early Modern Culture/Kultureller Wandel vom Mittelalter bis zur Frühen Neuzeit, 15), ISBN 978-3-631-66083-6, EUR 64,95., in: Francia-Recensio 2017/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2017.4.43375