Cet ouvrage réunit les traductions anglaises et les commentaires de dix textes hagiographiques du haut Moyen Âge italien, concernant neuf saints et l’archange Michel. Après une introduction générale (13 pages) suivent les textes (de 5 à 24 pages), chacun précédé de son introduction et commentaire (de 6 à 15 pages; l’introduction de la »Passion« d’Apollinaire de Ravenne est la plus longue, à cause de la complexe discussion des hypothèses de datation), 30 pages de sources et de bibliographie et un index.

Trois textes bénéficient d’éditions critiques récentes, dont deux dues à Nicholas Everett lui-même, la »Vie« de Sirus de Pavie (2002) et la »Passion« de Cetheus de Pescara (2015). Pour les autres, l’auteur utilise les »Acta Sanctorum« (4), les »Monumenta Germaniae Historica« (2) et l’»Italia Sacra« (1). Pour l’»Apparition« de Michel au Monte Gargano, il aurait pu utiliser l’édition plus récente donnée dans: Pierre Bouet, Giorgio Otranto, André Vauchez (dir.), »Culte et pèlerinages à saint Michel en Occident«, Rome 2003 (qui figure dans la bibliographie), p. 1–4, accompagnée d’une traduction française, due à François Bougard, p. 7–10.

Quatre de ces hommes figurent dans la »Prosopographie de l’Italie chrétienne« (sous la direction de Charles et Luce Pietri et Janine Desmulliez, Rome 1999–2000): les évêques Eusèbe de Vercelli (353–369/370), Gaudentius de Novare (IVe–Ve s.), Vigile de Trente (après 381–398–avant 404) et Zénon de Vérone (après 356–après 360?); Cetheus, qui mourrait en 590/591, n’est, lui, pas retenu comme sûrement attesté. Enfin, Barbat de Bénévent (probablement 663–681), est bien attesté, mais postérieur à la période couverte par la »Prosopographie«. Huit de ces saints sont des évêques: outre Barbat et Zénon, Apollinaire, Gaudentius et Sirus sont des premiers évêques et Apollinaire, Cetheus, Eusèbe et Vigile sont aussi martyrs. Senzius de Blera, lui, est un ermite évangélisateur que sa Vie place au milieu du Ve s. Huit personnages sont actifs et vénérés en Italie du nord; Barbat et Michel se rattachent au Mezzogiorno lombard. Cette hagiographie concerne surtout des personnages anciens (Ier–IVe s.): ce sont les grands acteurs de la christianisation de la civilisation romaine tardive que l’on promeut comme patrons des cités (p. 1). Cette écriture hagiographique sert aussi à reconstruire les origines d’institutions ecclésiastiques que la profonde rupture des VIe–VIIe s. (Guerre Gothique, peste, conquête lombarde et récession économique) coupe de leur passé (p. 4–5). Il s’agit là (comme l’absence totale de figure féminine) d’une caractéristique générale de l’hagiographie nord-italienne tardo-antique (depuis la promotion des sépultures des martyrs par Damase à Rome en fait) et alto-médiévale; l’exemple des »Dialogues« de Grégoire le Grand (rédigés en 593–594), consacrés à des saints récents (p. 4), est peu suivi.

Huit textes sont totalement anonymes; seule la »Vie« de Gaudentius évoque un commanditaire, l’évêque Léon de Novare, et seule celle de Zénon nomme un auteur, Coronatus. Nicholas Everett adopte une perspective politique et institutionnelle, désormais classique pour la lecture des textes hagiographiques: malgré la part de fiction (et au moins Apollinaire et Sirus sont des personnages fictifs), ils éclairent les intérêts et les intentions du milieu de leur composition: pour Gaudentius et Zénon, promouvoir le saint comme patron de la ville; pour Barbat, Senzius et Vigilius, revendiquer l’autorité épiscopale sur un sanctuaire; pour Cetheus, justifier une réorganisation ecclésiastique; pour Apollinaire, Michel et Sirus, revendiquer l’autonomie d’un sanctuaire ou d’un siège épiscopal, ou la supériorité hiérarchique de celui-ci. La »Passion« d’Eusèbe obéit à des motivations plus complexes. L’auteur y fait, à partir de nombreuses sources précédentes, une histoire de la lutte antiarienne en Italie au IVe siècle, de façon à montrer Vercelli en forteresse de la défense de la foi nicéenne: le concile d’Alexandrie (362) ferait d’Eusèbe et Athanase les responsables suprêmes du rétablissement de l’orthodoxie, respectivement en Occident et en Orient. Cette tentative de promotion de Vercelli échoue cependant: la figure d’Eusèbe est largement éclipsée par celle d’Ambroise, et c’est Milan qui devient la métropole de l’Italie du Nord.

Cette démarche visant à replacer chaque texte dans un contexte qui explique les motivations de sa rédaction permet à Nicholas Everett de dater, plus ou moins précisément, ces œuvres, du moins de formuler des hypothèses de datation argumentées. L’existence, historique ou fictive, des personnages s’étale entre des origines apostoliques imprécises (Ier s.) et la seconde moitié du VIIe s. (Barbat) – l’»Apparition« de l’archange Michel constituant un cas particulier: le personnage est atemporel, et la naissance du sanctuaire est située dans une Antiquité chrétienne extrêmement vague, avec des Napolitains encore païens alors qu’il existe déjà un évêque à Siponto; l’archéologie permet de dater le début du culte chrétien sur le site autour de 500. La rédaction des dix œuvres s’étale, elle, selon Nicholas Everett, entre le milieu du VIe (la plus haute des propositions pour la »Passion« d’Apollinaire) et le premier tiers du IXe s. (pour les textes sur Barbat et Eusèbe). Ni la chronologie des personnages, ni celle des rédactions ne coïncide donc vraiment ni avec la fourchette donnée par le titre du livre (v. 350–800), ni avec celle donnée aux premières lignes de l’introduction (500–850, p. 1): on se trouve là devant une hésitation que l’auteur aurait corriger. De même, il reste quelques coquilles éparses, mais qui ne gênent pas la compréhension (sauf à la p. 176, où la chronologie des exils d’Athanase d’Alexandrie est rendue confuse: il faut lire 339–346 pour le second).

La bibliographie comporte 543 entrées (sources imprimées et renvois compris); le dépouillement a été poursuivi jusqu’en 2014, Nicholas Everett citant en outre trois de ses propres articles de 2015 et une thèse soutenue dans son université (Toronto) en 2016. Au sujet de Barbat, il ne mentionne pas l’article de Federico Corrubolo, Una nuova ipotesi di datazione della Vita Barbati episcopi Beneventani, dans: Rivista storica del Sannio, 3. Ser., 13/1 (2006), p. 47–62, qui propose, de façon très convaincante, une rédaction échelonnée en plusieurs phases, entre le milieu du IXe et la fin du Xe siècle (puisque la Vie cite un diplôme du prince Pandolf de Capoue et Bénévent de 978). Malgré quelques défauts mineurs, qui révèlent que le livre aurait bénéficié d’une dernière relecture scrupuleuse, cet ouvrage non seulement permet de lire, de façon désormais contextualisée, des sources difficiles d’accès et quasi-inconnues en-dehors des spécialistes de l’hagiographie italienne, mais aussi fournit une très abondante bibliographie; il donne surtout de solides exemples de méthode critique en ce qui concerne la datation des textes et l’interprétation de leurs enjeux; pour ces raisons, il sera extrêmement utile tant aux chercheurs utilisant des sources hagiographiques qu’à tous les historiens de l’Italie tardo-antique et alto-médiévale.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Thomas Granier, Rezension von/compte rendu de: Patron Saints of Early Medieval Italy. AD c. 350–800. History and Hagiography in Ten Biographies. Translated with an Introduction and Commentary by Nicholas Everett, Durham University (Institute of Medieval and Early Modern Studies) - Toronto (Pontifical Inistitute of Medieval Studies) 2016, XII–276 p., 2 col. pl. (Durham Medieval and Renaissance Texts and Translations, 5), ISBN 978-0-88844-565-0, EUR 30,00., in: Francia-Recensio 2018/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.1.45546