Aucun médiéviste n’ignore l’ampleur de l’œuvre historique du professeur Horst Fuhrmann (1926–2011), président des Monumenta Germaniae Historica de 1972 à 1994, correspondant étranger de l’Institut de France depuis 1998. Ses travaux sur la Donation de Constantin, qu’il réédita en 1968, sur les Fausses Décrétales du Pseudo-Isidore, dont il rénova l’étude (1972–1974), ou encore sa publication de l’impressionnant colloque de 1986 sur les faux et les faussaires au Moyen Âge sont connus de tous. On ne s’étonnera donc pas que les MGH, dans le cadre de leur prestigieuse série des »Schriften«, aient veillé, sous la direction de Martina Hartmann, à une réédition d’articles du savant, autour du thème majeur qu’il scruta, celui de la réforme de l’Église et de son principal inspirateur, Grégoire VII.

On trouvera donc dans ce beau volume relié 28 articles édités entre 1965 et 2003, avec pagination primitive dûment indiquée et index (où l’on a la surprise de voir Agnès de Poitou indiquée comme concubine de l’empereur Henri III). En fin de volume figure la bibliographie de l’historien, numérotée et classée thématiquement (elle se termine par les éloges funèbres de l’érudit). La préface signale que Horst Fuhrmann avait préparé cette édition et donc fait lui-même le choix des contributions republiées, qui alternent entre rapports généraux, sans notes, et articles d’érudition aux généreux bas de page. L’axe des analyses est naturellement celui du droit canonique, toujours replacé dans son contexte politique, ecclésiologique et social.

Les articles sont classés en deux parties égales de 14 unités, la première centrée sur Grégoire VII et l’esprit de la réforme de l’Église, la seconde examinant diverses sources d’époque. Le premier ensemble, de contenu plus général, concerne le pape réformateur et le »Dictatus papae«, texte emblématique de son pontificat (no 3 et 4), ainsi que son presque successeur Urbain II (no 10 et 11) et aussi l’œuvre et la personnalité de Manegold de Lautenbach (no 12 et 13). S’y lisent aussi des mises au point sur l’universalité de l’Église romaine (no 5), la prétention des papes à une image impériale (no 6), les conciles œcuméniques (no 7) et la sainteté fonctionnelle des pontifes (no 8). Cette partie initiale comprend des études qui, ayant fait date, sont couramment citées dans la littérature de recherche internationale. Le grand rapport de synthèse de 1985 (no 1) rappelle que les décisions de Grégoire VII ont été motivées par des conceptions religieuses et non par des principes juridiques estimés intangibles. Les analyses conduites sur le »Dictatus papae« insistent sur le fait que le pape était ni plus, ni moins expert en droit canonique que ses prédécesseurs et soulignent sa tendance à systématiser et durcir les prescriptions. Sur Eudes de Châtillon-Urbain II, qui a souvent retenu le médiéviste, on relève d’abord la mise au point (no 10) sur le débat de Gerstungen (1085) entre clercs impériaux et romains, leur divergence venant en premier lieu de l’utilisation de collections canoniques d’âge et d’organisation opposés. Suit l’important article (no 11) sur les idées du pape de la croisade sur le mouvement des chanoines réguliers, alors en pleine évolution. L’édition de quatre documents importants termine cette contribution bien connue.

La deuxième partie, de dimension comparable, analyse de manière plus monographique plusieurs textes d’époque réformatrice. En raison de leur moindre notoriété, en France du moins, on en précisera plus nettement le contenu. Quatre articles (no 15 à 18) portent sur le biographe de Grégoire VII, Paul de Bernried († vers 1150). Respectivement: sur le rapport entre la vita du pape et son célèbre registre de lettres; sur la diffusion de la biographie; sur l’autre œuvre de Paul, la vita B. Herlucae; enfin sur des analyses modernes de l’auteur médiéval. La consultation de la bibliographie d’Horst Fuhrmann montre qu’il s’agit là d’un de ses centres d’intérêt les plus anciens, abordé au début de sa carrière.

Des contributions portant sur diverses collections canoniques réformatrices suivent. Ainsi (no 19) sur le petit traité »De ordinando pontifice« de 1047–1048, d’origine française sans doute et très antisalien. Horst Fuhrmann insiste sur son caractère finalement isolé et marginal. La collection en 74 titres, considérée souvent comme le »premier code juridique de la réforme pontificale«, fait l’objet d’une étude (no 20) où est revu le rôle de source joué par les Fausses Décrétales du Pseudo-Isidore. Le dossier no 21 concerne un manuscrit du XIe siècle de la Donation de Constantin, tandis que les deux suivants s’attachent à des discussions grégoriennes relatives à des lettres du pseudo-Clément. Les papes des années 1100 Urbain II et Pascal II sont évoqués (no 14) à partir de lettres transmises par la collection dite »Polycarpus«. Toutes deux concernent la France actuelle (Grenoble et Maguelonne).

Les articles no 25 et 26 partent de formules attribuées à l’archevêque Adalbert de Hambourg-Brême (1043–1072). L’une semble le décrire souhaitant ériger autour de son siège une province de douze évêchés. Horst Fuhrmann montre que la phrase dérive d’un texte des Décrets pseudo-isidoriens et que cette conception d’un modèle idéal de douze diocèses avec ou autour d’un archevêque a circulé au Moyen Âge. On la retrouve par exemple évoquée en Belgique seconde lors de la recréation par Urbain II du siège d’Arras en 1094. L’autre réinterprète, en la privant heureusement de tout caractère trivial ou cynique, la formule si non caste, tamen caute relative au mariage des clercs: le dernier adverbe fait en réalité référence aux règles du mariage chrétien.

Le recueil s’achève (no 28) par une analyse de la fable dite du pape Léon et de l’évêque Hilaire. Ce pontife non identifié, hérétique, aurait été confondu en concile par Hilaire de Poitiers et conduit à une mort honteuse. Horst Fuhrmann y voit un écho de la controverse entre Léon Ier et Hilaire d’Arles en 445, transformé en miracle de saint Hilaire de Poitiers renforcé par les légendes des trépas accablants de Judas et d’Arius. Le récit, passé entre autres dans la »Légende dorée«, est à l’origine de représentations iconographiques, par exemple sur un tympan de l’église de Semur-en-Brionnais, du XIIe siècle, commodément reproduit dans le cahier de dix illustrations qui achève ce livre assurément de la meilleure valeur et de la plus grande utilité.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Patrick Corbet, Rezension von/compte rendu de: Horst Fuhrmann, Papst Gregor VII. und das Zeitalter der Reform. Annäherungen an eine europäische Wende. Ausgewählte Aufsätze, hg. von Martina Hartmann, unter Mitarbeit von Anna Claudia Nierhoff und Detlev Jasper, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2016, X–596 S., 11 farb. Abb. (Monumenta Germaniae Historica. Schriften, 72), ISBN 978-3-447-10162-2, EUR 80,00., in: Francia-Recensio 2018/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.1.45548