Le postulat sur lequel repose ce livre est que notre quotidien est façonné par des découvertes scientifiques et que celles-ci sont formulées dans une langue née dans des situations sociales précises: entre le texte et le contexte existent des relations réciproques fortes. C’est en quête de la naissance de la langue scientifique que David Banks part, en comparant les articles du »Journal des Sçavans«, paru à partir de janvier 1665, et des »Philosophical Transactions«, édité à partir de mars 1665. Ces deux périodiques, on le sait, sont tous deux liés aux académies scientifiques nationales tout en présentant un profil très contrasté. Tandis que l’Académie royale des sciences parisienne est placée sous le patronage du roi et ses membres, des savants reconnus, rémunérés pour servir la gloire du roi par les sciences, la Royal Society, ouverte à tout gentleman amateur de sciences, est (quasiment) indépendante tout en devant assurer ses propres sources de financement. Le »Journal des Sçavans« n’est qu’officieusement l’organe de la société savante française. Celle-ci ne publie que des ouvrages collégiaux non nominatifs, dans des éditions limitées prestigieuses. Aussi, les savants désireux de construire leur réputation publient sous leur nom propre dans le »Journal des Sçavans«; même après 1699, lorsqu’à l'issue d'une réorganisation interne, l’Académie royale des sciences se dote d’un périodique officiel, les délais de parution y sont tels que les savants continuent à volontiers publier dans le »Journal des Sçavans«. Doté d’un privilège, ce dernier est contrôlé par le pouvoir. Il existait peut-être un projet de périodique savant en Angleterre avant la parution du »Journal des Sçavans«. Celui-ci ne prend toutefois forme que lorsque Henry Oldenburg, un précepteur originaire de Brême, lit devant la Royal Society un extrait du périodique parisien. Il reçoit l’entière responsabilité éditoriale et financière du périodique jusqu’à sa mort en 1677. Les deux périodiques sont du reste des affaires d’un seul homme jusqu’au début du XVIIIe siècle au moins, l’abbé Bignon tentant d’instaurer un comité de rédaction, ce à quoi procède l’homologue anglais en 1752. Du point de vue formel, les deux périodiques sont très distincts. Tandis que le français incarne l’idéal de science universelle, l’anglais se spécialise, à l’instar de la Royal Society, dans les sciences naturelles ; là où le premier se consacre largement à rendre compte des livres savants, le second opte pour des relations et lettres vouées à telle découverte scientifique.
Ce point de départ est bien connu mais il n’existe pas encore d’analyse comparative des deux périodiques ni d’étude linguistique systémique fonctionnelle. David Banks définit un corpus fondé sur un échantillon pour les années 1665, 1675, 1685 et 1695, soit 77.295 mots pour les »Philosophical Transactions« et 66 447 mots pour le »Journal des Sçavans«. Il y étudie la structure thématique, l’expression de la transivité, de la modalité et de la nominalisation. Tandis que le »Journal des Sçavans« s’attache plus aux personnes, aux processus mentaux cognitifs et aux questions morales, les »Philosophical Transactions« s’appliquent plus aux choses et aux objets, aux perceptions et aux problèmes de la nature physique.
On cherche en vain une nouvelle idée dans l’ouvrage de David Banks. Il fournit des statistiques précieuses, mais qui confirment tout simplement le caractère polymathe du périodique français, et plus spécialisé dans les sciences naturelles du journal anglais. Il n’explicite pas non plus les sauts premiers de son analyse: comment il passe de l’idée d’une étude de la langue scientifique (qu’il caractérise finalement peu) à l’analyse de textes – la langue scientifique n’inclut-elle pas aussi une parole, ce qui nécessiterait d’élargir l’étude à des cas concrets de discussions de problèmes, voire de polémiques? Certaines explications ne sont pas probantes, ainsi la prédilection pour l’»extrait« ou compte rendu de livres dans le périodique français rapportée à la volonté du pouvoir, présenté comme de fait centralisé, de contrôler la pensée, donc le contenu des livres. On pourrait rappeler que la science, même parmi les membres de la Royal Society, reste une science livresque. Sur Colbert, on peut enfin consulter de la bibliographie postérieure à 1941 …
Il n’en reste que nos moyens techniques actuels permettent de manier études qualitatives et quantitatives, et de jeter des ponts plus nombreux et plus larges entre histoire et linguistique. On souhaite donc ardemment un prolongement historique à l’analyse pionnière de David Banks.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Claire Gantet, Rezension von/compte rendu de: David Banks, The Birth of the Academic Article. Le Journal des Sçavans and the Philosophical Transactions, 1665-1700, Sheffield (Equinox Publishing) 2017, 208 p., ISBN 978-1-78179-232-2, GBP 75,00., in: Francia-Recensio 2018/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.1.45705