Sous ce titre ambitieux, Jonathan Dewald nous livre une monographie de la famille de Rohan, grand lignage aristocratique breton bien connu des historiens de la noblesse d’Ancien Régime et des guerres de Religion. Le personnage le plus célèbre de la dynastie est Henri (1579–1638), l’un des principaux chefs du parti protestant au tournant des XVIe et XVIIe siècles, qui a joué un rôle moteur dans les révoltes nobiliaires contre Marie de Médicis (1611–1617), avant de combattre Louis XIII dans les guerres du Languedoc jusqu’à sa défaite, sanctionnée par la paix d’Alès (1629) et son exil à Venise.

Par-delà cette figure emblématique, les Rohan connaissent une trajectoire similaire à beaucoup d’autres lignages de leur temps. La famille, qui prétend tirer ses origines des tout premiers ducs de Bretagne, ne prend son véritable essor qu’à la fin du XVe siècle, pendant la guerre civile. Une génération plus tard, grâce à la faveur de Marguerite de Navarre, René de Rohan épouse en 1534 Isabeau d’Albret, fille de Jean III de Navarre, ce qui l’introduit dans une parentèle prestigieuse et un réseau de dimension internationale. Une nouvelle étape est franchie en 1603, avec le mariage d’Henri et Marguerite de Béthune, la fille de Sully, l’un des plus beaux partis de France.

Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, les Rohan occupent une position éminente, qu’ils consolident davantage encore après le mariage de Marguerite, la fille d’Henri, avec un Chabot. Revenus au catholicisme et au cœur du patronage royal, ils perçoivent, à partir du milieu du XVIIe siècle, d’importants revenus liés à leurs charges, construisent les magnifiques hôtels parisiens de Rohan et de Soubise que l’on peut encore admirer dans le quartier du Marais, et entretiennent une domesticité considérable. Paradoxalement, leur situation financière reste cependant fragile: ils accumulent les dettes, se ruinent en dotant leurs filles, voient leurs revenus fonciers d’éroder lentement et dépendent de plus en plus des bienfaits de la couronne. On songe ici à d’autres dynasties comme les Nevers, les Guise ou les Montmorency, qui ont connu les mêmes difficultés et ont ainsi perdu peu à peu leur capacité à peser sur les choix politiques de la couronne.

Jonathan Dewald aborde tour à tour les différents volets de cette histoire et cherche à expliquer cette apparente contradiction entre prééminence sociale et fragilité économique. Selon lui, les Rohan n’agissent pas de façon solidaire, mais plutôt comme une somme d’individus. Les conflits intrafamiliaux sont nombreux et empêchent les membres de la famille de se considérer comme un tout cohérent. En outre, ils ont le plus grand mal à conceptualiser les mutations sociopolitiques de leur époque, et ils les analysent avec une grille de lecture anachronique, façonnée par une image fantasmée du Moyen Âge. Incapables de s’adapter aux nouvelles formes de l’absolutisme, ils ne peuvent que les accompagner et tenter d’en profiter, sans pouvoir y participer véritablement.

L’ouvrage de Jonathan Dewald s’appuie sur un corpus documentaire conséquent, car les Rohan ont laissé des séries d’archives relativement complètes, bien classées et susceptibles d’être étudiées sur la longue durée. Il consacre de très bonnes pages aux femmes de la famille, en particulier celles qui ont entouré Henri: sa mère Catherine de Parthenay, son épouse Marguerite de Béthune, et sa fille Marguerite de Rohan. Il montre en particulier qu’elles ont joué un rôle fondamental dans la gestion des biens familiaux, malgré les représentations du temps qui excluaient les femmes, y compris les aristocrates, de la conduite des affaires publiques et privées. Les Rohan s’appuient, pour ce faire, sur un ensemble de collaborateurs qui font l’objet d’un intéressant chapitre où Jonathan Dewald retrace leur ascension et mesure l’audience considérable dont ils disposent auprès de leurs maîtres.

On ne peut que saluer ce travail, qui rendra service car jusqu’à présent, il n’existait pas d’ouvrages consacrés à cette famille. Mais il est dommage qu’il ignore ou néglige presque tous les travaux publiés au cours des dix dernières années en histoire socioculturelle de la noblesse, par exemple Thierry Rentet (2011)1, Éric Durot (2012)2, Sophie Vergnes (2013)3, Marjorie Meiss-Even (2014)4 … Il n’utilise pas non plus les synthèses récentes consacrées aux rapports entre l’aristocratie et le pouvoir: Cédric Michon (2012)5, Michel Figeac (2013)6, Hugues Daussy (2014)7 … Ces lectures auraient permis à Jonathan Dewald d’une part de comparer les Rohan à d’autres familles, et d’autre part d’inscrire leur trajectoire dans le cadre plus global des rapports entre l’aristocratie et le pouvoir royal.

1 Thierry Rentet, Anne de Montmorency. Grand maître de François Ier, Rennes 2011.
2 Éric Durot, François de Lorraine, Duc de Guise entre Dieu et le Roi, Paris 2012 (Bibliothèque d’histoire de la Renaissance,1).
3 Sophie Vergnes, Les Frondeuses. Une révolte au féminin (1643–1661), Seyssel 2013.
6 Michel Figeac, Les noblesses en France. Du XVIe au milieu du XIXe siècle, Paris 2013.
7 Hugues Daussy, Le parti huguenot. Chronique d’une désillusion (1557–1572), Genève 2014.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laurent Bourquin, Rezension von/compte rendu de: Jonathan Dewald (ed.), Status, Power, and Identity in Early Modern France. The Rohan Family. 1550–1715, Pennsylvania, PA (Pennsylvania State University Press) 2015, XIV–247 p., 9 b&w fig., 2 maps, 2 tabl., ISBN 978-0-271-06616-5, USD 74,95., in: Francia-Recensio 2018/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.1.45712