L’ouvrage de Werner Freitag, spécialiste d’histoire d’histoire religieuse de la Réforme à l’échelle locale, est un ouvrage de synthèse détaillée. Il s’intéresse à la Westphalie dans sa définition actuelle. En plus d’inclure le duché de Westphalie, la principauté-évêché de Münster et celle de Paderborn, l’auteur traite, entre autre, du comté de Lippe, de la Mark et du Ravensberg – et donc du conglomérat de Juliers-Berg, du comté de Waldeck, etc. L’ouvrage concerne la période de la Réformation, c’est-à-dire les réformes religieuses entre l’action de Luther et la paix d’Augsbourg pour certains territoires, ou le tournant du XVIIe siècle pour d’autres. Il n’inclut pas au sens propre la »Seconde Réforme« (le passage au calvinisme de certains territoires) mais il en aborde les préludes, non plus qu’il ne traite des territoires catholiques, à part pour y déceler des traces de l’influence du luthéranisme (p. 286–289 au sujet des pratiques funéraires). Ces choix apparaissent cohérents avec l’intention de l’auteur: examiner la Réformation comme un processus touchant trois domaines, qui sont la confession de foi, le culte et l’institution ecclésiastique.
L’ouvrage est intéressant car la Westphalie peut apparaître comme un modèle réduit de ce qui se passe dans le Saint-Empire et en Europe en général, où la complexité »fractale« (Christophe Duhamelle) de la carte politique conditionne en grande partie le cours des événements – la région est un »Fleckenteppich«, comme le dit l’auteur. Et ce, même si la Réformation en Westphalie est une réforme en retrait: Luther n’a jamais pris part directement, non plus qu’aucun grand réformateur, aux changements religieux dans cette région plutôt rurale, enclavée, et dont la langue vernaculaire, une forme de bas-allemand, entravait la diffusion des textes fondateurs comme la Bible ou les catéchismes de Luther.
Les confessions de foi adoptées venaient plutôt des villes hanséatiques et cette influence indirecte explique que 1517 ne soit pas une année significative en Westphalie, et qu’il faille dater les changements majeurs plutôt des années 1530. Pourtant, tout le spectre des expériences réformatrices semble s’y dérouler, et Werner Freitag en saisit toute la variété – même s’il les examine à l’aune d’un horizon unique, à savoir le degré de perfection (au sens d’achèvement) de la Réformation. On y rencontre un hapax sociologique, historique et anthropologique qu’est la théocratie anabaptiste de Münster (1534–1535); des territoires fidèles à la religion traditionnelle (l’Oberstift de la principauté-évêché de Münster), non traitée en tant que tel dans l’ouvrage. On évoque également la tentative de via media des ducs de Juliers-Berg ou la réforme luthérienne du comté de Lippe – dont la »Seconde Réforme« est devenue dans les années 1980 la matrice du paradigme de la confessionnalisation. Si l’auteur s’adresse aux Westphaliens à l’occasion du jubilé, qu’il se dit lui-même »Landeshistoriker«, son objet touche en réalité à des horizons plus vastes.
L’ouvrage s’organise de manière thématique tout à fait pertinente, suivant les principales orientations de la recherche sur la Réformation ces dernières années. Deux premiers chapitres traitent des mouvements de réforme religieuse – le monde catholique vers 1520 et les premières prédications réformatrices. Selon l’auteur, la contestation religieuse était marginale, voire inexistante en Westphalie dans les années 1520: la prédication luthérienne fait des débuts »timides« par l’intermédiaire de l’ordre des Augustins dès 1521, mais elle est vite réprimée. Quant aux protestations d’ordre social contemporaines de la guerre des Paysans, elles ne sont que marginalement marquées par les idées évangéliques, et c’est l’action de Johann Westermann – qui transpose les prédications luthériennes - qui ouvre véritablement l’époque réformatrice.
L’ouvrage se poursuit avec une typologie des réformes des territoires: réformations urbaines, classées en fonction de leur réussite (Lemgo ou Minden) ou de leur échec (Osnabrück), réformations princières (notamment l’échec de celle de Paderborn, dont l’archevêque-électeur de Cologne Hermann von Wied était aussi évêque), via media érasmienne des ducs de Juliers-Berg. Une place importante est réservée à la tentative de réforme anabaptiste de la ville de Münster, mais la relation qu’en fait l’auteur ne s’appuie pas sur des travaux récents qui auraient été pertinents. Werner Freitag prend aussi en compte le rôle des autorités intermédiaires ou »non-étatiques« (noblesse, curés et communautés villageoises) dans les Réformations. Elles disposaient d’une »agentivité« suffisante face à des autorités fidèles au catholicisme pour mettre en place leur propre agenda.
L’auteur s’attache ensuite à étudier ce que sont devenues les Eglises à l’échelle du quotidien des chrétiens de Westphalie. L’institution ecclésiastique (culte, pasteurs et équipement de l’église) mais aussi les pratiques de piété sont étudiées et montrent l’instauration progressive de la Réformation: l’auteur le mesure par exemple à l’aune de la catéchèse, qui passe par l’iconographie dans les années 1570. L’auteur traite enfin des multiples conflits, que ce soit l’arrivée du calvinisme, les controverses internes au luthéranisme mais aussi les nombreux cas de coexistence religieuse, à travers les formes de piété hybrides, le biconfessionnalisme et formes de simultaneum relevant du bricolage pragmatique – c’est par exemple le cas de Warendorf, où les luthériens pouvaient recevoir la communion sous les deux espèces lors de la messe catholique.
Les annexes sont à la fois très utiles et un peu décevantes. L’ouvrage fournit un court glossaire et un très grand nombre d’illustrations, de tous types, ce qui est très appréciable. Ce sont des cartes générales évidemment, mais aussi des reproduction d’imprimés, des extraits de textes – avec l’original en westphalien – utilement isolés dans des encadrés, une abondante iconographie qui inclus des photographies de bâtiments, de fresques, de monuments funéraires, de mobilier d’église, toujours commentées. On ne peut donc que regretter l’absence de table des figures. La bibliographie de fin d’ouvrage, courte, est loin d’inclure toutes les références que l’on trouvera dans les notes de fin de chapitre, et en particulier les sources de première main éditées ou imprimées. Un index des noms de personnes, en sus de l’index des lieux (qui comprend les villes mais pas les territoires) aurait été bienvenu.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Mathilde Monge, Rezension von/compte rendu de: Werner Freitag, Die Reformation in Westfalen. Regionale Vielfalt, Bekenntniskonflikt und Koexistenz. 2. durchgesehene Auflage, Münster (Aschendorff) 2016, 383 S., ISBN 978-3-402-13167-1, EUR 29,80., in: Francia-Recensio 2018/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.1.45717