On ne peut commencer la lecture des actes du XIIe colloque du Centre international de rencontres sur le XVIIe siècle sans penser à l’adage voltairien, écrit plusieurs décennies plus tard à Catherine de Russie, tant ces études confirment la puissance évocatrice du Nord. Cet ouvrage comble un manque dans la recherche sur le XVIIe siècle en proposant une analyse des »relations littéraires, culturelles et intellectuelles entre la France et les pays de l’Europe du Nord au XVIIe siècle» (avant-propos). Perspective féconde si l’on se souvient des mouvements de populations, suite à la révocation de l’Édit de Nantes, des déplacements d’explorateurs ou philosophes, pensons aux derniers jours de Descartes à Stockholm, mais aussi des translations et des circulations de modèles littéraires et esthétiques.

L’ouvrage se compose de 18 contributions, de taille condensée et accessibles, auxquelles s’ajoutent une introduction de Pierre Ronzeaud, un index et une bibliographie, organisée en deux axes, l’un réunissant les œuvres datant d’avant 1800 et l’autre, dites »moderne«, pour les ouvrages contemporains. L’ouvrage permet plusieurs entrées, à la fois géographique, disciplinaire et thématique, qui rendent la lecture variée, aisée et enrichissante.

L’ouvrage part d’un constat paradoxal que Rainer Zaiser développe dans son article sur l’imaginaire boréal et qui problématise l’ensemble de l’ouvrage. Le concept de Nord, qui comprend l’Europe septentrionale dans un sens extensif, apparaît d’emblée multiforme, dépassant le simple »antagonisme entre les pays civilisés du Sud et les régions sauvages du Nord« (p. 19) pour participer d’une construction qui autorise l’établissement un jugement poétique, esthétique, philosophique et culturel que l’ensemble de l’ouvrage met en perspective. La représentation du Nord sert in fine des débats ouverts sur l’autre et sur la culture de référence, où l’ironie sur soi pointe, comme le montrent par exemple les articles »Comment peut-on être lapon?« de Sylvie Requemora-Gros et »La Moscovie de la Mothe Le Vayer: pays de l’Europe du Nord?« par Iona Manea. La représentation du Nord dépasse la réflexion sur soi, et ouvre le champ de l’autocritique dans laquelle »la théâtralisation de l’Autre« (p. 194) et l’impact des représentations remettent en perspective le »caractère absolu que les Occidentaux attribuent à leurs propres coutumes« (p. 180). Si la place laissée à la reine Christine (pas moins de trois articles lui étant consacrés) nous invite à confirmer la puissante fonction imaginaire du Nord, l’ambivalence de la reine, incarnation de la »barbarie nordique« (»La Reine Christine: transgression et galanterie«, par Nathalie Grande) et symbole de la transgression des règles de la bienséance et de la sexualité, ne peut ainsi exclure et occulter les échanges avec le monde des Lettrés français qui atténuent »les frontières entre la France et les pays du Nord« (p. 48), comme l’approfondit Jean Leclerc dans son article.

L’ouvrage fait ainsi la part belle aux mécanismes de circulation mais n’oublie pas la puissance créatrice de la rencontre avec l’autre. Le champ spécifique de la littérature fait l’objet de plusieurs contributions portant sur la relation entre l’Angleterre et la France qui mettent en évidence les conceptions de nouveaux modèles littéraires, construits à la fois en opposition et dans la complémentarité. Les articles de Marie-Claude Canova-Green, qui note l’ambivalence anglaise sur les comédies de Molière servant de matériau à des pièces éloignées du style français, ainsi que les contributions de Christian Zonza ou de Pascal Thouvenin offrent ainsi une perspective intéressante sur la construction de nouveaux modèles esthétiques et leur normalisation.

Force est de constater que la circulation des idées représente ainsi un croisement essentiel de ce volume. Cette problématique traverse l’ensemble des contributions, de façon indirecte ou non, avec par exemple l’étude de la lecture précise et active de La Rochefoucauld par la reine Christine (»L’exercice moraliste. Christine de Suède, lectrice de La Rochefoucauld et auteur de sentences«, par André Laidli), ou l’analyse proposée par Richard Maber, éditeur du volume, sur »Les érudits français et l’Allemagne au XVIIe siècle«. Les approches quantitatives complètent des analyses resserrées, comme la contribution de Pierre Bonnet sur Basnage de Beauval (»Tolérantisme et anticatholicisme chez les publicistes à l’aube des Lumières: le cas Basnage de Beauval«), et permettent la mise en lumière des chemins de la philosophie au XVIIe siècle européen.

Les contributions, que l’on ne peut toutes résumer ici, problématisent chacune à leur manière le vaste champ ouvert par l’interrogation implicite que porte le titre de l’ouvrage. On peut cependant noter quelques absences, sur le monde scandinave, dont les relations avec la France sont pourtant très riches à cette époque, une remarque que nous nuançons immédiatement tant les articles sur le commerce de la licorne et l’image du Lapon savent retenir l’attention du lecteur. C’est, de surcroît, une force de cet ouvrage que d’avoir pu prendre en compte les confins du monde nordique, comme, par exemple, le Groenland.

Les articles semblent confirmer le rôle d’un puissant vecteur boréal de l’imaginaire, mais appellent à nuancer son univocité et à prendre en considération la diversité de ses applications. C’est là un des intérêts principaux de cet ouvrage, qui couvre une grande région, non-unifiée et aux enjeux disparates. L’importance des personnes et des relations s’impose à la lecture de ce volume, et appelle à développer l’étude de la correspondance, »véritable moteur de la vie intellectuelle du siècle« (p. 86). Les passionnantes contributions réunies dans ce volume sauront ainsi intéresser le néophyte, les experts du XVIIe siècle et ceux de l’histoire des représentations et de l’Europe dans son sens large, en faisant aussi bien voyager le lectorat dans l’espace nord-européen que dans celui des représentations boréales.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Frédérique Harry, Rezension von/compte rendu de: Richard Maber (dir.), La France et l’Europe du Nord au XVIIe siècle: de l’Irlande à la Russie. XIIe colloque du Centre international de rencontres sur le XVIIe siècle. Université de Durham, 26–29 mars 2012, Tübingen (narr/francke/attempto) 2017, 241 p. (Biblio 17. Suppléments aux »Papers on French Seventeenth Century Literature«, 214), ISBN 978-3-8233-8054-2, EUR 68,00., in: Francia-Recensio 2018/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.1.45724