Depuis une dizaine d’années, on assiste à une redécouverte des œuvres tardives du Siècle d’or espagnol, de Baltasar Gracián en philosophie politique à Murillo en peinture. Les historiens ne sont pas en reste qui s’intéressent de plus en plus souvent aux années traditionnellement qualifiées de »décadence de l’Espagne«. Par ce regain d’intérêt, ils analysent une période ouverte par les sécessions de 1640 et se termineé par l’extinction biologique des Habsbourg d’Espagne en 1700. Lecturer à l’université de Limerick, Alistair Malcom propose une réflexion neuve de la deuxième partie du règne de Philippe IV (1605–1665), considérant les années 1643 à 1665. Pour cela, il s’appuie sur son doctorat soutenu en 1999, à propos de la politique espagnole de Luis de Haro (1598–1661), neveu et successeur du comte-duc d’Olivares comme favori (valido) de Philippe IV. Par cette présente publication, l’auteur offre une mise au point des dernières recherches sur ce quart de siècle de transition entre le Siècle d’or et le Grand Siècle.

Alistair Malcolm adopte une démarche éloignée des modes historiographiques. Loin de »l’histoire d’en bas«, son étude porte sur les relations au sein de l’élite politique espagnole et sur leurs pratiques de pouvoir dans les conseils et les juntes de gouvernement. Quant à l’analyse de la monarchie polycentrique, en dehors des Pays-Bas espagnols, l’influence des possessions non ibériques du roi catholique parait ne pas avoir eu d’effet sur la politique de Madrid. En revanche, les nominations de vice-rois et de gouverneurs de ces principautés sont interprétées à l’aune des rapports de force au sein de la cour de Philippe IV et dans leurs relations avec le principal ministre (le valido). Ces présupposés trouvent leur explication dans la problématique choisie: le ministériat se complairait dans les guerres, il les nourrirait par ses appétits de puissance car les politiques belliqueuses seraient une des principales sources de leur assise. Ces considérations valent pour la monarchie espagnole avec le comte-duc d’Olivares ou Luis de Haro, et pour le royaume de France avec Richelieu et Mazarin.

Dans une première partie, Alistair Malcolm définit les limites du valimiento, en s’appuyant sur les théories du prince parfait et sur le portrait idéal de son valido. Les caractères instables du pouvoir et des hommes, développés par les penseurs néo-stoïciens tels que Gracián ou Saavedra Fajardo s’appliquent partiellement à Luis de Haro car, à la différence d’Olivares, il était affable, sincère et patient selon les témoignages de l’époque. Ces traits lui permirent d’occuper cette fonction médiatrice entre le roi et la noblesse. Contrairement à l’idée répandue selon laquelle le roi d’Espagne serait un »roi caché«, A. Malcolm confirme l’accessibilité du monarque à ses sujets, les audiences et les placets étant des moyens pour parvenir au souverain alors que les divers offices curiaux ouvraient les voies de la cour à toute une catégorie de nobles, dans les limites toutefois de l’imposant cérémonial de la plus grande cour européenne. Progressivement, entre 1643 et 1648, Luis de Haro s’imposa comme valido, écartant ses rivaux et s’aidant de ses réseaux familiaux. Sa participation à la défense de l’Andalousie et la réussite de la levée du siège de Lérida rehaussèrent son prestige à un moment où le roi perdait son épouse, Élisabeth de Bourbon (1644), ainsi que son fils, l’héritier du trône (1646).

La deuxième partie consacrée à l’étude de l’élite ministérielle expose la manière dont Luis de Haro devient un rouage essentiel du pouvoir monarchique tout en s’écartant des pratiques autoritaires antérieures: Haro agissait par la négociation et, plus subtilement encore, il déplaçait ceux qui le gênaient, les nommant à des postes éloignés de la cour. Dans ses rapports avec les villes et les territoires, il usa de certains allégements fiscaux (p. 107). Les tableaux des nominations (p. 122 et p. 150) aux présidences des conseils et aux grands postes de l’empire complètent cet argumentaire pour confirmer la centralité d’une élite qui fonctionnait en réseaux, en grande partie »interconnectée« (p. 111), dont les alliances tissent des liens étroits – amicaux ou adverses – entre les principales familles aristocratiques. L’ouverture des secrétariats, grâce à la formation dans les universités (Salamanque et les colegios mayores), offraient des gestionnaires compétents et bien souvent dévoués au valido. C’est ainsi que Luis de Haro disposa progressivement d’une clientèle dans l’administration, dont le cœur se trouvait à la chambre de Castille qui pourvoyait aux postes importants du royaume. Les testaments de ces individus témoignent de la solidarité de ce groupe. La qualité de l’argumentation et le grand intérêt de ces démonstrations offrent néanmoins un portrait trop idyllique de cette gouvernance; il doit être nuancé face aux affirmations d’une monarchie »extrêmement loyale et très stable« (p. 111) et de révoltes limitées dans les territoires de Philippe IV (p. 115). Or, durant ces années, l’empire ibérique se trouvait au bord de la désagrégation, ébranlé par les sécessions, par la révolution napolitaine et par les émeutes andalouses, sans compter les attaques françaises, anglaises et hollandaises contre les possessions d’Amérique. Ainsi doit-on fortement nuancer l’existence d’une administration gouvernementale fonctionnant très bien sous cette direction (p. 171, 176). Arndt Brendecke a récemment démontré que la monarchie croulait sous la paperasse, qu’elle n’arrivait plus à gérer les flux de rapports et de contrôles et que le conseil des Indes se trouvait débordé par l’abondance des affaires à traiter.

La troisième partie traite des rapports que le valido entretient avec la question de la guerre et de la paix entre 1648 et 1665. Alistair Malcolm en précise trois caractères; d’une part, une priorité donnée aux affaires ibériques, dont le Portugal, face aux possessions d’Italie, des Pays-Bas, d’autre part, une tendance à reporter sur l’extérieur – le Saint Empire, les Flandres, Naples … – les demandes d’assistance militaire et, enfin, une réticence constante à conclure tant que l’issue des négociations n’apparaît pas avantageuse. Derrière ces choix, réside la conviction partagée par le souverain et une grande partie de cette élite que la Providence avait choisi la maison de Habsbourg comme instrument de sa volonté sur Terre.

Les échecs militaires successifs contraignirent Haro à négocier: Alistair Malcolm dissèque les rapports de force entre les membres du gouvernement espagnol pour montrer comment s’imposa le choix de négocier au traité des Pyrénées (1659). Si le valido fut gratifié par le roi à l’aboutissement de ce traité, on peut se montrer réservé sur cette réussite diplomatique (p. 232) car Philippe IV devait abandonner sa fille aînée qui allait épouser le Roi-Soleil avec la promesse d’une dot que la monarchie se trouvait dans l’incapacité de verser; de plus, il cédait une grande partie de l’Artois sur la frontière flamande, le comté de Roussillon (avec la forteresse de Salces) et 33 villages de Cerdagne à la frontière franco-espagnole. Tout au plus, Luis de Haro réussit-il sans trop de contestation à se maintenir au plus haut niveau du gouvernement jusqu’à sa disparition deux années plus tard.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Alain Hugon, Rezension von/compte rendu de: Alistair Malcolm, Royal Favouritism and the Governing Elite of the Spanish Monarchy, 1640–1665, Oxford (Oxford University Press) 2017, XIV–305 p., 9 fig., 4 tabl. (Oxford Historical Monographs), ISBN 978-0-19-879190-4, GBP 65,00., in: Francia-Recensio 2018/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.1.45726