Cette étude porte sur la place des femmes à la cour de France dans la deuxième moitié du XVIe siècle et sur la circulation de l’information dans l’univers curial. D’emblée, Una McIlvenna déconstruit le mythe de l’»escadron volant« de Catherine de Médicis. L’expression, employée pour la première fois dans »Les amours de Henri IV«, ouvrage anonyme publié en 1695, désigne le groupe de jeunes femmes que la machiavélique Italienne aurait utilisé pour séduire les principaux acteurs du jeu politique, afin de leur extorquer des informations ou de les compromettre. À la fin du XVIIe siècle, la réputation de Catherine de Médicis n’était plus à faire: c’était une »femme ambitieuse et méchante«, qui cherchait à maintenir son autorité à tout prix en suscitant les »divisions publiques« et en dressant les grandes maisons du royaume les unes contre les autres, comme l’expliquaient »Les amours de Henri IV«. La cour elle-même était vicieuse et corrompue, gangrenée par l’athéisme, la magie, la lâcheté, la perfidie et les assassinats! Et c’est dans ce cadre que Catherine de Médicis aurait mobilisé »un Escadron Volant […] composé des plus belles femmes de la Cour, dont elle se servoit à toutes mains pour amuser les Princes et les Seigneurs, et pour découvrir leurs plus secrettes pensées«. »Les amours de Henri IV« s’inscrivent dans une longue généalogie de textes hostiles à Catherine de Médicis, qui ont commencé à être diffusés dans les années 1570, quand les huguenots travaillaient à disqualifier la figure de la Florentine qui avait cherché à les anéantir lors de la Saint-Barthélemy.
La cour de France a connu, au XVIe siècle, une explosion de ses effectifs, et les femmes y ont tenu une place grandissante. Parallèlement, la cour a été soumise à un processus de publicisation de son activité, qui culmina quand Catherine de Médicis fut accusée de gouverner dans son unique intérêt et de vouloir détruire la noblesse du royaume en encourageant les rivalités entre maisons aristocratiques. Plusieurs auteurs ont souligné la place des femmes à la cour, et notamment Brantôme, dont le »Recueil des dames« propose une remarquable galerie de portraits féminins et une collection d’anecdotes souvent scabreuses.
Una McIlvenna associe la question de la position des femmes à la cour à celle de la réputation. Après avoir fait la généalogie du mythe de l’escadron volant dans un chapitre liminaire, elle présente deux études thématiques portant sur le développement de la littérature satirique prenant pour cible les mœurs de la cour, et sur la diffusion de l’information à l’époque des guerres de Religion. Elle examine ensuite trois cas de dames compromises dans des affaires jugées scandaleuses: Isabelle de Limeuil, Françoise de Rohan et Anne d’Este.
Les dames occupent une place de plus en plus importante à la Renaissance, et si Castiglione a souligné le caractère central qu’elles doivent jouer dans la civilisation des mœurs aristocratiques, elles demeurent sur le plan légal des êtres soumis aux hommes, et subissent parfois des violences terribles. Una McIlvenna rappelle ainsi que Françoise de La Marck a été assassinée en 1577 par son mari, René de Villequier, l’un des proches d’Henri III. L’affaire scandalisa, mais Villequier ne fut pas inquiété. La réputation de la cour se dégrada considérablement dans les années 1570 et 1580. Des pasquils manuscrits dénonçaient les mœurs dissolues des dames et des courtisans; les textes publiés se multipliaient également. La littérature pamphlétaire parvint à son apogée à l’époque de la Ligue (voir les travaux de Tatiana Debbagi-Baranova).
Jamais on n’avait publié autant de textes de combat; jamais on ne s’en était pris aussi directement aux acteurs du jeu politique, qu’il s’agisse de l’entourage royal, dans un premier temps, puis du roi lui-même en 1589. Comme à Venise, pour laquelle les travaux sur la dissémination de l’information sont nombreux (Filippo De Vivo, Elizabeth Horodowich, etc.), Paris devint à la fin du XVIe siècle un lieu de production et de diffusion de l’information exceptionnel, et les autorités monarchiques ne parvinrent pas à maîtriser cet incessant flux de mots.
Les trois études de cas proposées par Una McIlvenna sont particulièrement intéressantes. Isabelle de Limeuil fut la première victime des pratiques de destruction de la réputation féminine à la cour des derniers Valois. Maîtresse du premier prince de Condé – qui était marié –, Isabelle de Limeuil donna naissance à un enfant en mai 1564, ce qui ne pouvait être toléré à la cour. Elle fut immédiatement enfermée dans un couvent. Pour mieux détruire sa réputation, on proclama qu’elle avait voulu empoisonner le prince de la Roche-sur-Yon. Ce type d’accusation, pratiquement impossible à récuser, fut repris en 1588 pour disqualifier Charlotte-Catherine de La Trémoille, qui fut accusée d’avoir assassiné son mari (le second prince de Condé) après l’avoir trompé.
Una McIlvenna propose une analyse passionnante des moyens utilisés par l’accusée pour se défendre et susciter la sympathie. Finalement, Condé parvint à faire évader Isabelle de Limeuil, mais l’affaire avait pris une dimension européenne et les huguenots cherchèrent à toute force à détourner le prince de sa maîtresse car celle-ci était catholique. Condé se remaria avec Françoise d’Orléans-Longueville, et son ancienne maîtresse épousa Scipion Sardini, un proche de la reine mère.
Françoise de Rohan, qui ne fut pas traitée d’empoisonneuse, incarna le modèle de la femme abusée. En 1556, elle reçut une promesse de mariage de la part de Jacques de Savoie, duc de Nemours. Una McIlvenna insiste sur la valeur de la parole donnée dans la société du XVIe siècle, et sur la prédominance de l’oralité dans la culture aristocratique. Françoise de Rohan donna naissance à un enfant, mais Nemours ne l’épousa pas (il devait finir par se marier avec Anne d’Este, duchesse douairière de Guise, en 1566). L’affaire, portée en justice par Françoise de Rohan, ne fut réglée qu’en 1580, quand la plaignante accepta de se déclarer divorcée du duc de Nemours. Cela revenait à reconnaître la validité de l’engagement initial. En contrepartie, elle obtenait des terres et des rentes. Son fils, Henri, n’avait pas une position facile, et c’est sur lui que, finalement, retomba la condamnation sociale. Placé dans l’ordre de Malte, il devint grand prieur d’Auvergne, mais se comporta de façon violente, et c’est lui qui fut enfermé.
Le dernier cas étudié est celui d’Anne d’Este, veuve du premier duc de Guise, qui se remaria avec Nemours. Fortement engagée dans la vendetta familiale qui finit par coûter la vie à l’amiral de Coligny, elle fut par la suite l’une des promotrices de la Ligue, avec sa fille, la duchesse de Montpensier, après l’assassinat de son fils, Henri de Guise, en décembre 1588. Anne d’Este et la duchesse de Montpensier ne furent pas épargnées par la propagande royaliste. On disqualifia leur combat en faisant d’elles des femmes lubriques, prêtes à séduire les hommes pour assouvir leur soif de vengeance et de pouvoir.
Fondé avant tout sur la littérature imprimée du temps, le livre d’Una McIlvenna met en évidence le caractère extrêmement fragile de la réputation féminine à la Renaissance. Si Anne d’Este était assez bien connue (voir les travaux de Christiane Coester), Françoise de Rohan et Isabelle de Limeuil l’étaient bien moins avant qu’Una McIlvenna ne se penche sur elles. Le temps des guerres de Religion fut celui du scandale: scandale de l’hérésie, scandale du chaos politique et de la violence, mais aussi scandale de l’honneur bafoué ou de la réputation entachée, et l’image des femmes en sortir particulièrement malmenée.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Nicolas Le Roux, Rezension von/compte rendu de: Una McIlvenna, Scandal and Reputation at the Court of Catherine de Medici, Abingdon-New (Routledge), 2016, X–224 p. (Women and Gender in the Early Modern World), ISBN 978-1-4724-2821-9, GBP 95,00., in: Francia-Recensio 2018/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.1.45728