Il est impossible de ne pas être saisi d’admiration devant une telle publication: trois forts tomes qui présentent près de 2000 gravures relatives à la Révolution française et à ses échos dans le XIX siècle européen et qui les éclairent par des commentaires savants. Le maitre d’œuvre, Rolf Reichardt, historien de la Révolution française et spécialiste de l’histoire culturelle bien connu, s’est entouré depuis 2008 d’une équipe d’auteurs venus d’Allemagne, d’Autriche, de Suisse, de France, de Belgique, d’Italie, de Grande-Bretagne et des Pays-Bas. Le projet est d’une simplicité redoutable: rendre compte de la rupture dans les arts liée à la Révolution française. Ce bouleversement a été entrainé par l’expression des revendications démocratiques et nationalistes qui naît à la fin du XVIIIe siècle, précisément avec la Révolution, et l’ouvrage la suit jusqu’à la fin du XIXe siècle, même si seules les publications graphiques sont prises en considération.
Le projet se justifie amplement puisque les événements survenus en France ont été abondamment représentés immédiatement dans toute l’Europe, avant d’inspirer la constitution d’un répertoire de formes et de symboles dans lequel les artistes et polémistes ont largement puisé pour rendre compte des révolutions et des mouvements sociaux survenus dans les décennies suivantes. Il s’agit donc ici d’étudier comment un discours collectif a été mis en place, avec des échanges, des filiations et des réinterprétations en s’appuyant sur un corpus d’envers 11 000 représentations graphiques. Un lien http://prometheus.uni-koeln.de/pandora/source/show/giessen_lri permet d’accéder à la collection iconographique.
L’ensemble est organisé autour d’articles consacrés à des symboles renvoyant à des éléments factuels (»La Bastille«, »Tricolore«, »La guillotine«, ...) ou imagés (»Le balai«, »L’éteignoir«, »Le corbillard« …), à de pratiques politiques (»La constitution«, »Le serment«...), à des groupes politiques (»Les sans-culottes«, »Les émigrés« …), à des collectivités (les martyrs, le prolétariat, le peuple …), à des thématiques déjà employées (»L’âne«, »Arlequin«, »La scatologie« ...), comme à des allégories et des figures consacrées (»Le temps«, »Hercule«, »Les bulles de savon«, »Le squelette« …) ou nouvelles (»Liberté«, »Égalité«, »Fraternité« …) sans oublier ni les métaphores tirées de la zoomorphologie, de la mode, de la nature (»Lumière«) ni les entités nées de la pratique révolutionnaire (»Terreur«, »Réaction« …).
Chacune des 112 notices, comptant le plus souvent une dizaine de pages illustrées, est bâtie selon un schéma récurrent: la représentation du thème avant 1789, l’utilisation pendant la Révolution française, en France ou dans les autres pays, les prolongements dans le cours du XIXe siècle, ce qui permet de mettre en valeur les inventions introduites par l’épisode révolutionnaire. Ainsi suit-on l’arbre de la liberté depuis les traditionnels »mois« des fêtes populaires dans les années 1765 jusqu’aux arbres de 1848, en France et dans les colonies en passant par les usages ordinaires des arbres de la liberté plantés lors des grandes fêtes révolutionnaires; les arbres surchargés de cadavres tels que les caricatures contre-révolutionnaires les présentent sont cités également.
Significativement, une gravure de 1778 qui montrait un arbre de la liberté planté en opposition aux Anglais est reprise par son auteur en 1792, cette fois contre »toute armée antipatriotique« pour exalter les victoires des révolutionnaires. La tête du monarque qui ornait un bouclier a été remplacée par la mention »La Nation, la Loi, le Roi« permettant que la signification change et s’adapte à la novation politique. On saisit ainsi comment l’arbre est devenu ainsi symbole révolutionnaire dans tous les pays d’Europe.
Cette universalisation du signe révolutionnaire est illustrée évidemment par la guillotine, qui a certes succédé à la mannara napolitaine du XVIe siècle mais qui a bouleversé le rapport à l’exécution et qui s’impose comme la marque même de la Révolution rompant avec l’ordre ancien. La sidération qui se met en place en Europe est illustrée par les caricatures qui la représentent dans les pays européens, l’ouvrage reproduisant même à cette occasion une photographie de boucles d’oreilles en forme de guillotine datant du XIXe siècle. Or une telle linéarité fait problème quand un article traite de la Terreur. En parlant de »la terreur avant la Terreur«, l’auteur, Rolf Reichardt lui-même, ne prend pas en considération le fait que la terreur a été une invention thermidorienne et considère que la période suit un déroulement inéluctable, passant par l’explosion inévitable et attendue de la violence »terroriste«.
La même leçon pourrait être tirée des articles »Cannibales«, »Guerre«, »Massacre« … Sans doute la Révolution est bien ce tournant radical qui fait entrer le monde dans la modernité du politique, mais l’impression de violence qui caractériserait la Révolution dans son ensemble est rendue indiscutable et sans aucune nuance d’autant que beaucoup des œuvres gravées sont des caricatures. L’unicité de la Révolution est ainsi postulée et reportée sur l’Empire, ce qui est rendu sensible quand certains articles (»Europe«, »Globe«) font la part belle à Napoléon et à l’Empire ou quand d’autres (»Avenir«, »Rouge«) décalent le regard vers la mutation culturelle des années 1830, montrant que la Révolution participe d’un mouvement qui l’excède et auquel elle contribue en apportant des éléments. À l’évidence, les conditions même de production des œuvres considérées influencent les messages qu’elles véhiculent maintenant encore.
Cette petite réserve est de peu de conséquences devant cet apport monumental de références et de réflexions, qui est complété de façon très efficace par des présentations érudites à propos des techniques de gravure, du marché de l’art, des genres comme des grands courants et grands auteurs, sans oublier les jeux illustrés (jeux de l’oie, de cartes), les silhouettes, les éventails … tels qu’il est possible de les connaître aux XVIIIe et XIXe siècles. Ces analyses peuvent, en outre, être croisées avec des monographies concernant les grands domaines géographiques, allemand, anglais, français, italien, néerlandais et suisse, néerlandais et suisse. Dans l’immense bibliographie qui a été consacrée à la Révolution française et à ses échos en Europe cette œuvre monumentale, séduisante et très bien documentée trouvera une place durable et totalement justifiée. Elle est destinée à servir à des générations de chercheurs et d’enseignants.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jean-Clément Martin: Rolf Reichardt (Hg.), unter Mitarbeit von Wolfgang Cilleßen, Jasmin Hähn, Moritz F. Jäger, Martin Miersch, Fabian Stein, Lexikon der Revolutions-Ikonographie in der europäischen Druckgraphik (1789–1889), 3 Teilbände, Münster (Rhema) 2017, 2204 S., 475 farb., 1576 s/w Abb., ISBN 978-3-86887-041-1, EUR 220,00., in: Francia-Recensio 2018/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.1.45730